Terralaboris asbl

Procédure de révision d’office d’un certificat A1

Commentaire de C.J.U.E., 16 novembre 2023, AFF. n° C-422/22 (Z C/TE), EU:C:2023:869

Mis en ligne le jeudi 29 février 2024


C.J.U.E., 16 novembre 2023, AFF. n° C-422/22 (Z C/TE), EU:C:2023:869

Dans un arrêt du 16 novembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne précise la procédure à suivre par l’institution émettrice de documents A1 en cas de révision d’office : il n’y a pas lieu dans cette hypothèse de recourir à la procédure de conciliation avec l’institution compétente d’un autre État membre.

Les faits

Un entrepreneur polonais y exerçant habituellement son activité (non salariée) signe en 2016 un contrat avec une société établie en Pologne en vue de fournir des prestations de services en France. Un certificat A1 est dès lors délivré à l’intéressé, confirmant qu’il relève de la législation polonaise en matière de sécurité sociale pour la période concernée (un an).

Un réexamen d’office intervient et l’institution sociale polonaise constate que celui-ci n’exerçait son activité que dans seul État membre, étant la France.

Une décision est dès lors prise le 1er décembre 2017 de retirer le certificat A1 et de constater, conformément à l’article 11, paragraphe 3, sous a) du Règlement n° 883/2004, que l’intéressé n’était pas soumis à la législation polonaise. Pour l’institution polonaise, il y a lieu d’appliquer l’article 11 du règlement et non l’article 13. Elle n’a dès lors pas suivi la procédure préalable de l’article 16 du Règlement n° 987/2009 en vue d’une coordination avec l’institution française compétente.

Un recours a été formé contre tribunal régional de Torun. La juridiction a considéré qu’il y avait lieu à application de l’article 13, au motif que l’intéressé n’avait pas travaillé dans un seul État membre pendant la période litigieuse. L’institution de sécurité sociale n’ayant pas enclenché la procédure de coordination avec l’institution française, il l’a invitée à le faire et, dans l’immédiat, a pris une décision provisoire, considérant que l’intéressé dépendait de la sécurité sociale polonaise, le certificat A1 étant maintenu.

La Cour d’appel, saisie par l’institution de sécurité sociale, a confirmé le jugement.

Un pourvoi en cassation a été introduit devant la Cour suprême, l’institution de sécurité sociale considérant que les juges du fond auraient dû renvoyer l’affaire vers elle afin qu’il soit procédé au réexamen du certificat A1 en collaboration avec l’institution française.

La Cour suprême polonaise a décidé de poser deux questions à la Cour de Justice.

Les questions préjudicielles

La première question est relative à l’obligation de l’institution d’un État membre qui a délivré le certificat A1 et qui souhaite d’office - sans que ceci ait été demandé par l’institution compétente de l’État membre concerné - annuler, révoquer ou invalider le certificat. La Cour suprême demande à la Cour de justice si cette institution est tenue de mener une procédure de conciliation avec l’institution compétente de l’autre État membre par analogie avec les règles en vigueur en application des articles 6 et 16 du Règlement n° 987/2009.

Dans une seconde question, la Cour suprême demande si la procédure de conciliation doit être menée avant même l’annulation, la révocation, ou l’invalidation du certificat émis ou si cette annulation, révocation ou invalidation est, conformément à l’article 16, paragraphe 2 du Règlement n° 987/2009 préliminaire et provisoire, devenant définitive si l’institution concernée de l’autre État membre ne formule pas d’objection ou d’avis contraire.

La décision de la Cour

La Cour décide d’examiner ensemble les deux questions posées.

Elle les synthétise comme suit : la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 5, 6 et 16 du Règlement n° 987/2009 doivent être interprétés en ce sens que l’institution émettrice d’un certificat A1 qui, à la suite d’un réexamen d’office des éléments qui sont à la base de la délivrance de celui-ci, constate l’inexactitude de ceux-ci, peut retirer ledit certificat sans engager préalablement la procédure de dialogue et de conciliation avec les institutions compétentes des États membres concernés en vue de déterminer la législation nationale applicable (Considérant 32).

La Cour rappelle qu’un certificat A1 peut être retiré d’office par l’institution émettrice, et ce même sans que celle-ci soit saisie d’une demande de réexamen ou de retrait de la part de l’institution compétente d’un autre État membre. Elle renvoie à l’article 5, paragraphe un du Règlement n° 987/2009, qui ne précise ni ne limite les hypothèses d’un tel retrait. Elle considère dès lors que la disposition vise toute hypothèse de retrait du certificat.

Par ailleurs son caractère contraignant repose sur le principe de coopération loyale entre États (article 4, paragraphe 3, TUE), qui implique également un autre principe, celui de la confiance mutuelle. Les institutions des autres États membres sont dès lors en droit de s’attendre à ce que l’institution émettrice se conforme à son obligation d’apprécier correctement les faits à la base de la délivrance de ces certificats et procède à un examen diligent de l’application de son propre régime de sécurité sociale. La Cour renvoie ici à son arrêt ALTUN (C.J.U.E., 6 février 2018, Aff. n° C-359/16 (ALTUN et alii – procédure pénale).

Ces principes impliquent l’obligation pour l’institution émettrice de vérifier tout au long de l’exécution de l’activité en cause si les mentions qui y figurent sont toujours exactes, ce qui peut ne pas être le cas dans la mesure où les modalités des activités du travailleur ont pu évoluer par rapport à la situation initiale. Dans ce cas, l’institution émettrice doit retirer le certificat s’il n’est plus conforme.

La Cour poursuit que l’article 5 du Règlement n° 987/2009 fait certes obligation à l’institution émettrice qui fait l’objet d’une demande de réexamen et de retrait adressée par l’institution compétente d’un État membre d’adopter celle-ci dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation entre institutions, mais cette obligation n’existe pas lorsqu’elle souhaite retirer ce certificat A1 d’office. L’obligation de respecter cette procédure n’est pas prévue ici. Il faut dès lors considérer que cette procédure ne constitue pas un préalable obligatoire aux fins du retrait d’office du certificat A1 par l’institution émettrice qui a constaté l’inexactitude des éléments à la base de sa délivrance. La Cour souligne également que cette interprétation est cohérente au regard de la nature, de la finalité et des conditions de mise en œuvre de la procédure de dialogue et de conciliation.

La Cour passe ensuite en revue les diverses hypothèses où le recours à cette procédure est prévue. Soulignant encore que le retrait d’office d’un certificat A1 par l’institution émettrice trouve son origine non dans l’existence d’un différend entre les institutions compétentes, mais dans la constatation par l’institution émettrice (qui a effectué les vérifications qui s’imposent afin de vérifier le respect des obligations qui sont les siennes dans le cadre des principes de coopération loyale et de confiance mutuelle) que les mentions ne correspondent pas à la réalité.

Elle souligne ensuite que le certificat A1 n’est pas un acte constitutif de droits mais un acte déclaratif et que son retrait ne saurait conduire à la perte de tels droits.

Après son retrait, la législation applicable sera déterminée conformément au titre II du Règlement n° 883/2004 et il sera alors éventuellement recouru à la procédure de dialogue et de conciliation en cas de divergence de vues entre les institutions quant à la détermination de la loi applicable. Le Règlement prévoit en son article 6 l’application provisoire d’une législation et l’octroi - provisoire également - des prestations. Ceci permet d’assurer à la fois la protection du travailleur concerné et de garantir qu’il soit soumis à tout moment à une seule législation nationale.

Ce mécanisme ne dispense cependant pas l’institution émettrice d’informer, une fois qu’elle a pris la décision de retirer d’office le certificat A1 en raison de l’inexactitude des mentions qui y figurent, autant les institutions concernées que la personne elle-même et de leur communiquer toutes les informations et les données nécessaires aux fins de l’établissement et de la détermination des droits de cette personne.

La Cour répond dès lors sur la question préjudicielle (globale) que l’institution émettrice d’un certificat A1 qui, à la suite d’un réexamen d’office des éléments qui sont à la base de la délivrance de ce certificat, constate l’inexactitude de ces éléments, peut retirer celui-ci sans engager préalablement la procédure de dialogue et de conciliation prévue à l’article 76, paragraphe 6 du Règlement n° 883/2004 tel que modifié par le Règlement n° 465/ 2012 avec les institutions compétentes des États membres concernés en vue de déterminer la législation nationale applicable.

Intérêt de la décision

Dans son arrêt ALTUN, la Cour de justice avait longuement repris l’objectif poursuivi par les certificats A1, indispensables dans le cadre des règlements de coordination, dans la mesure où il ne peut y avoir d’affiliation qu’à un seul régime de sécurité sociale.

La Cour a rappelé que tant que le certificat n’est pas retiré ou déclaré invalide, il s’impose. Au cas où les institutions des États membres concernés ne se mettraient pas d’accord, dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation entre États membres, il y a lieu d’en appeler à la Commission administrative. Ceci vaut même en cas d’erreur manifeste d’appréciation sur les conditions d’application des règlements. La spécificité de l’affaire ALTUN est que la Cour y a abordé la question du recours frauduleux ou abusif aux normes de l’Union. L’interdiction de fraude et de l’abus de droit a été réaffirmée comme un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables.

Elle y a confirmé que lorsque l’institution de l’État membre dans lequel les travailleurs ont été détachés a saisi l’institution émettrice d’une demande de réexamen et de retrait vu des éléments recueillis dans le cadre judiciaire ayant permis de constater une fraude et que l’institution émettrice s’abstient de prendre en considération ces éléments aux fins de réexaminer le bien-fondé de la délivrance des certificats, le juge national peut, dans le cadre d’une procédure diligentée contre les personnes soupçonnées de fraude, écarter ceux-ci si sur la base des éléments obtenus et dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable il constate l’existence d’une telle fraude.

La présente affaire précise les obligations de l’institution émettrice lorsqu’elle envisage de son côté d’office de retirer ou d’invalider les certificats émis au motif qu’ils ne correspondraient pas à la situation initialement constatée. Dans cette hypothèse, il n’y a pas lieu de recourir préalablement à la procédure de dialogue et de conciliation mais d’informer à la fois les institutions et les personnes de la décision prise.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be