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Complément de reprise du travail : conditions permettant de bénéficier des mesures transitoires

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 6 juin 2023, R.G. 2022/AN/52

Mis en ligne le jeudi 11 janvier 2024


C. trav. Liège (div. Namur), 6 juin 2023, R.G. 2022/AN/52

Dans un arrêt du 6 juin 2023, la Cour du travail de Liège (division Namur) revient sur les mesures transitoires adoptées suite au Décret wallon du 2 février 2017 supprimant le complément de reprise du travail.

Les faits

Un travailleur, sous contrat de travail depuis le 10 juin 2010, a bénéficié, sur les conseils de son syndicat, d’un complément de reprise du travail à charge de l’ONEm, (article 129bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991). Ce complément devait faire l’objet d’une prolongation annuelle, ce qui a été le cas jusqu’en 2017, sans difficulté.

Lors de la demande de prolongation en 2018, l’ONEm a constaté que le travailleur prestait pour un nouvel employeur. Le contrat de travail avait effectivement été rompu en novembre 2016 au motif d’une force majeure médicale et le travailleur avait retrouvé aussitôt du travail dans le cadre de contrats d’intérim pour une autre société. Il avait ensuite signé un nouveau contrat de travail à durée indéterminée en juillet 2017 avec l’entreprise mère de celle pour laquelle il avait presté dans le cadre de ses contrats d’intérim. Alors qu’il y avait changement d’employeur, l’intéressé avait continué à solliciter la prolongation du complément de reprise du travail pour le même employeur.

Dans ses explications, celui-ci exposa que son syndicat était au courant du changement d’employeur et qu’il n’avait pas été informé de la perte subséquente du complément. Il précisa que les documents lui étaient envoyés non complétés et qu’il devait uniquement signer.

L’ONEm décida d’exclure le travailleur pour la période du 1er juillet 2017 au 30 septembre 2018 et de récupérer le complément en cause. Il expliqua, dans sa motivation, les conditions d’octroi de celui-ci, parmi lesquels figure celle du maintien en service auprès du même employeur.

La procédure en première instance

Un recours fut introduit devant le tribunal du travail de Liège (division Namur). Dans le cadre de cette procédure, le travailleur appela son syndicat en intervention forcée et garantie de toute somme qu’il serait amené à devoir restituer à l’ONEm.
L’ONEm introduisit une demande reconventionnelle concernant les montants à rembourser.

Le tribunal statua par jugement du 3 mars 2022, confirmant l’exclusion mais réformant la décision administrative sur la question de la récupération pour une partie de la période, le tribunal faisant application de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Les débats furent rouverts en ce qui concerne les chiffres.

La demande à l’égard du syndicat fut rejetée, l’intéressé étant en défaut d’établir un dommage. En effet, pour le premier juge, à supposer même qu’il eut disposé d’informations plus complètes, la situation n’aurait pas été différente, puisqu’il n’avait de toute manière pas droit au complément litigieux.

L’appel

Appel est interjeté par le travailleur. Un appel incident est formé par l’ONEm, qui conteste la limitation de la récupération. Quant au syndicat, il n’introduit pas d’appel incident, sollicitant la confirmation pure et simple du jugement.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu l’article 129bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, dont elle reprend le texte. La cour souligne son § 3, qui est relatif à la condition litigieuse, étant que le travailleur doit être resté en service auprès du même employeur. Il est également précisé que la demande doit être renouvelée en cas de reprise du travail auprès d’un autre employeur et que le travailleur qui a introduit une demande d’allocations doit déclarer les événements qui font obstacle à l’octroi du complément, dans les formes et délais applicables à la déclaration d’un événement modificatif. Il appartient à l’organisme de paiement de fixer le droit pour le mois considéré, sans qu’aucune pièce justificative ne doivent être introduite, en partant de l’hypothèse que le chômeur continue à satisfaire aux conditions requises pour l’octroi du supplément en cause jusqu’à ce que l’organisme de paiement reçoive une demande d’allocations comme chômeur complet, une demande d’allocation de garantie de revenus ou une déclaration d’un événement modificatif.

La cour en vient au Décret de la Région wallonne du 2 février 2017 relatif aux aides à l’emploi à destination des groupes cibles. Celui-ci a abrogé ces compléments de reprise du travail, maintenant cependant leur octroi pour les demandes déjà introduites et susceptibles, le cas échéant, de prolongation. Des mesures transitoires ont ainsi été arrêtées afin d’assurer la sécurité juridique des régimes en cours (la cour souligne), les compléments de reprise du travail étant maintenus pour une série de bénéficiaires (ceux engagés avant l’entrée en vigueur, ceux ayant introduit au moment de l’entrée en vigueur une demande d’octroi ou de renouvellement et ceux ayant introduit une demande de renouvellement après l’entrée en vigueur du décret – 1er juillet 2017).
Il y a maintien jusqu’au 30 juin 2020 au plus tard pour les compléments à durée indéterminée ou jusqu’à leur terme pour ceux accordés à titre temporaire.

La cour renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 avril 2023 (C. const., 27 avril 2023, n° 69/2023), qui avait été saisie de questions préjudicielles par le Tribunal du travail de Liège (division Liège), à propos des dispositions du décret (article 28, 2°, qui a abrogé l’article 129bis de l’arrêté royal et article 36 limitant l’octroi du complément de reprise du travail à durée indéterminée au 30 juin 2020). La Cour constitutionnelle a conclu que le législateur décrétal avait suffisamment atténué les effets de la suppression de ce complément par un régime transitoire permettant de continuer à le percevoir pendant trois ans au maximum après son entrée en vigueur. Les mesures sont ainsi compatibles avec l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 12.1 de la Charte sociale européenne révisée.

La cour constate en l’espèce que le travailleur est entré au service d’un nouvel employeur après l’entrée en vigueur du décret et qu’il ne peut dans ces conditions se prévaloir des dispositions transitoires de l’article 36, n’entrant en effet dans aucune des catégories visées (soit les travailleurs dont l’engagement a pris cours avant l’entrée en vigueur du décret, ceux dont l’engagement a fait l’objet d’une demande d’octroi ou de renouvellement avant celle-ci ou ceux dont l’engagement a fait l’objet d’une demande de renouvellement (et non une nouvelle demande d’octroi) après cette entrée en vigueur). La cour confirme dès lors que l’intéressé n’avait pas droit au complément visé.

La circonstance que la société qui l’avait engagé après ses contrats d’intérim conclus avec une de ses filiales formerait avec celle-ci une unité technique d’exploitation – ou à tout le moins une unité économique d’exploitation – ne peut être prise en compte pour retenir qu’il y aurait même employeur au sens de la disposition. La cour relève que l’article 129bis lui-même faisait clairement la distinction entre les deux notions (employeur/employeurs relevant du même groupe) et qu’il n’y a aucune référence à la notion d’unité technique ou économique d’exploitation.

Elle examine ensuite le fondement de l’appel en garantie du syndicat et la demande de dommages et intérêts subsidiaire à l’égard de celui-ci.

Elle reprend les obligations de mise à charge de ceux-ci par la Charte de l’assuré social ainsi que par les articles 24, § 1er et 26 bis de l’arrêté royal organique chômage. Ces dispositions peuvent permettre de mettre en cause la responsabilité de l’organisme de paiement et d’obtenir le paiement de dommages et intérêts. Il faut cependant qu’il y ait un dommage. Dans un arrêt du 28 octobre 2019 (Cass., 28 octobre 2019, S.18.0075.F), la Cour de cassation a jugé que l’obligation de restituer un paiement indu ne constitue pas en soi un dommage au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil dès lors que celui sur qui pèse cette obligation n’a aucun droit à l’avantage faisant l’objet du paiement. La cour renvoie également à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 22 avril 2015, R.G. 2013/AB/858), qui a suivi la même logique, s’agissant de vérifier les conditions de la mise en cause de la responsabilité d’un syndicat. La cour a conclu que le lien de causalité doit être écarté lorsqu’il est constaté que le dommage tel qu’il s’est produit concrètement se serait également réalisé avec certitude sans ladite faute.

En l’espèce, des indications précises sont à apporter sur le formulaire de renouvellement et la cour rejette l’explication du travailleur selon laquelle le formulaire lui était systématiquement adressé en blanc à charge pour lui de le signer. Lorsqu’un formulaire contient une erreur, le chômeur ne peut en effet invoquer la responsabilité de l’organisme de paiement puisque son préposé ne remplit ce document que sur la base des informations fournies par le demandeur. La cour renvoie ici à diverses décisions de jurisprudence ainsi qu’à la doctrine de M. SIMON (M. SIMON, « Activités du chômeur, récupération des allocations de chômage et responsabilité [ONEM et organismes de paiement] : jurisprudence 2013–2018 », CUP, Actualités et innovations en droit social, vol. 182, 2018, Liège, Anthémis, page 385).

Pour la cour, l’intéressé peut donc se voir reprocher d’avoir apposé sa signature sur un formulaire comportant des informations inexactes. Cette signature a rompu le lien causal entre la faute qu’il reproche à son syndicat - étant le défaut de vérification quant aux données - et le dommage qu’il invoque.

Dans le même ordre d’idées, la cour constate que l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social ne peut trouver à s’appliquer, le travailleur ne démontrant pas une erreur, qu’elle soit due au syndicat ou à l’ONEM. 

Enfin, la cour confirme la position du premier juge sur la limitation de la récupération au motif de bonne foi, et ce vu que le travailleur, engagé par un nouvel employeur appartenant au même groupe que le précédent, a pu considérer qu’il était resté au service du même employeur et qu’il ne devait pas effectuer de plus amples déclarations. La cour limite dès lors la récupération aux 150 dernières allocations.

Intérêt de la décision

La décision commentée contient un rappel de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 27 avril 2023, rendu suite à une demande de questions préjudicielles posées par le tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège (div. Liège), 22 février 2022, R.G. 20/2.601/A et 20/2.904/A – décision commentée) sur la compatibilité des dispositions du Décret (reprises ci-dessus) avec l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, qui garantit notamment le droit à la sécurité sociale et l’article 12.1 de la Charte sociale européenne.

Pour la Cour constitutionnelle, qui a conclu à l’affirmative, le législateur décrétal a cherché, d’une part, à simplifier la législation en matière d’aides à l’emploi en faveur des groupes-cibles et, d’autre part, à rendre ces aides plus efficaces. Il s’est agi de rendre plus « lisible » un système d’aides à l’emploi des groupes-cibles jugé trop complexe et de rendre les mesures d’aides à l’emploi plus efficaces, c’est-à-dire plus faciles à mettre en œuvre par les acteurs du marché de l’emploi, ce qui est de nature à favoriser l’embauche des travailleurs des groupes-cibles (B9).

Cette réforme s’inscrit dans une réforme globale à la suite du transfert aux régions de la compétence en matière de politique de l’emploi axée sur des groupes-cibles .

L’arrêt est également l’occasion de rappeler les conditions dans lesquelles une demande de dommages et intérêts contre l’ONEm ou l’organisme de paiement peut aboutir, le principe étant qu’il y a lieu d’établir un dommage dû à une faute de ces organismes et que ne constitue pas un tel dommage la privation d’un bénéfice (prestation sociale) auquel l’on n’aurait de toute façon pas eu droit même en l‘absence de cette faute.


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