Terralaboris asbl

Indemnités dues à la rupture : questions de cumul

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2022, R.G. 2020/AB/702

Mis en ligne le mardi 27 juin 2023


Cour du travail de Bruxelles, 21 décembre 2022, R.G. 2020/AB/702

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 décembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles rejette une demande de paiement d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ainsi que pour non-respect de la protection liée à l’exercice du congé de paternité, ces deux indemnités ne pouvant être postulées dès lors qu’existe dans le secteur (banques) une C.C.T sectorielle interdisant le cumul de l’indemnité pour stabilité d’emploi qu’elle prévoit avec une indemnité de protection légale ou conventionnelle.

Les faits

Un employé d’une institution bancaire, engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en 2013, devient père d’un premier enfant en 2017. Il prend à cette occasion les dix jours de congé de paternité auxquels il a droit et prend ensuite un congé parental du 6 août au 6 septembre 2018. En novembre 2018, il devient père pour la seconde fois et prend, suite à cette seconde naissance, son congé de paternité jusqu’au (vendredi) 7 décembre.

Ce même jour, il est convoqué en vue d’un entretien d’évaluation qui doit se tenir le jour de la reprise du travail, étant le lundi suivant. Lors de celui-ci, il est informé de la rupture de son contrat de travail moyennant paiement d’une indemnité. Une lettre de licenciement lui est remise à l’issue de l’entretien. Elle confirme la dispense de préavis et le paiement d’une indemnité de rupture compensatoire de trois mois et quinze semaines de rémunération.

Le licenciement est contesté immédiatement et les motifs de la rupture sont demandés, conformément à la C.C.T. n° 109. Diverses sommes sont également demandées. La banque répond, contestant tout lien entre la rupture et le congé de paternité. Elle expose que les motifs du licenciement sont étrangers à celui-ci, des griefs étant faits quant à la qualité du travail ainsi qu’aux performances de l’intéressé, son comportement étant également visé. L’employeur renvoie à une évaluation faite pour l’année 2018, qui confirmerait une baisse de performance par rapport à l’évaluation précédente.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui fait partiellement droit à la demande, allouant une correction de l’indemnité compensatoire de préavis ainsi que de l’indemnité de protection du secteur bancaire (et précisant également le point de départ des intérêts). L’intéressé est cependant débouté de sa demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ainsi que d’indemnité de protection liée à l’exercice du congé de paternité (ce chef de demande contenant une version subsidiaire, étant l’octroi, pour le même montant, d’un dommage moral pour licenciement abusif).

Position des parties devant la cour

L’appelant sollicite le paiement des deux indemnités en cause ainsi qu’une nouvelle correction des montants alloués par le tribunal.

La banque soutient quant à elle que les indemnités elles-mêmes ne sont pas cumulables en droit.

La décision de la cour

La cour procède en premier lieu à la vérification de la rémunération prise en compte pour l’assiette de l’indemnité compensatoire de préavis, s’agissant essentiellement de fixer les avantages contractuels (usage privé d’un GSM et frais professionnels forfaitaires).

Après avoir réglé la question des intérêts, la cour calcule le « salaire courant » servant de base pour la fixation de l’indemnité de stabilité d’emploi sectorielle (article 2, § 3, de la C.C.T. du 2 juillet 2007).

Elle en vient ensuite à l’indemnité de protection liée au congé de paternité, fixée à l’article 30, § 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Les dix jours pendant lesquels le travailleur peut s’absenter à l’occasion de la naissance d’un enfant dont la filiation est établie à son égard – jours à prendre dans les quatre mois à dater de l’accouchement – font l’objet d’une règle anti-cumul à la même disposition (§ 4, alinéa 4), qui dispose que l’indemnité due en cas de non-respect par l’employeur de ses obligations à cet égard ne peut être cumulée avec d’autres indemnités prévues dans le cadre d’une procédure de protection particulière contre le licenciement. Elle ajoute qu’il faut prendre ici également en compte l’article 2, § 3, alinéa 2, de la C.C.T. sectorielle, qui contient une règle de non-cumul entre l’indemnité qu’elle prévoit et « toutes autres indemnités de protection, légales ou conventionnelles ».

La cour reprend la position des parties, étant d’une part, pour l’employeur, qu’il n’y a pas lieu d’interpréter cette clause, le cumul étant expressément prohibé, et d’autre part, pour le travailleur, que ce cumul est possible vu que les indemnités ne poursuivent pas le même objectif et ne réparent pas le même dommage.

La cour aborde dès lors le débat relatif à cette question de cumul, précisant que, si l’on pourrait défendre que l’indemnité de stabilité d’emploi du secteur n’est pas strictement parlant une indemnité prévue dans le cadre d’une procédure de protection particulière contre le licenciement (au sens de l’article 30, § 4, de la loi du 3 juillet 1978), au motif qu’elle trouve sa cause non dans le licenciement mais plus sûrement en amont de la décision de licencier dans le non-respect par l’employeur de la procédure, par contre l’indemnité de protection liée au congé de paternité constitue bien une indemnité de protection légale avec laquelle l’indemnité de stabilité d’emploi ne peut être cumulée (article 2, § 3, alinéa 2, de la C.C.T. sectorielle). Le texte de la C.C.T. ne prête pas à une autre interprétation et la cour s’écarte de la position du travailleur, qu’elle considère comme un postulat érigé en principe applicable à toute situation, voulant que les indemnités soient cumulables si elles ne réparent pas le même dommage et si elles ne trouvent pas leur origine dans la même cause.

La cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 (Cass., 20 février 2012, n° S.10.0048.F), dont elle précise que, si celle-ci a admis le cumul entre une indemnité de protection au sens de la loi du 19 mars 1991 et celle de stabilité d’emploi prévue dans le secteur des assurances, l’enseignement de cet arrêt doit être compris par rapport aux spécificités des dispositions visées et ne peut être transposé tel quel à la présente espèce. Reprenant un extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, elle souligne qu’il n’est tenu compte de la cause des indemnités dont le cumul est envisagé qu’après qu’ait été constatée l’absence de disposition interdisant celui-ci, situation radicalement différente.

L’appel est dès lors rejeté sur ce point.

Aussi la cour passe-t-elle à l’examen du caractère abusif du licenciement. C’est au travailleur à établir que le licenciement est lié à la prise du congé de paternité. Or, cette preuve n’est pas apportée en l’espèce. Le non-respect de la procédure préalable est une faute mais le préjudice engendré par celle-ci est réparé forfaitairement par l’indemnité de stabilité d’emploi. La cour rejette qu’un sentiment d’injustice ressenti par l’intéressé puisse donner lieu à un dommage moral, un tel sentiment étant « probablement commun à la plupart des ruptures décidées unilatéralement par l’employeur ».

Enfin, elle procède à l’examen du droit à une indemnité dans le cadre de la C.C.T. n° 109, qui contient également des dispositions spécifiques en cas de cumul d’indemnités.

Elle souligne tout d’abord que sont exclus du champ d’application de celle-ci (en vertu de son article 2, § 3) les travailleurs qui font l’objet d’un licenciement pour lequel l’employeur doit suivre une procédure spéciale fixée par la loi ou par une C.C.T. Par « procédure spéciale » sont visées dans les commentaires faits par les auteurs de la C.C.T. avant celle-ci la procédure au sens de la loi du 19 mars 1991 et celle suivie pour les conseillers en prévention dans le cadre de la loi du 20 décembre 2002. Il s’agit d’exemples. Les travailleurs visés étant exclus du champ d’application de la C.C.T., la cour précise qu’ils n’ont pas le droit d’opter pour l’une ou l’autre des indemnités mais doivent, en cas de procédure sectorielle comme en l’espèce, se satisfaire des seules garanties offertes par la réglementation de secteur. La cour y voit une justification possible dans la circonstance qu’un entretien préalablement au licenciement doit avoir lieu et qu’au cours de celui-ci, le travailleur doit être informé des raisons qui ont abouti à ce que l’employeur envisage le licenciement. Il s’agit d’une même démarche que celle de la C.C.T. n° 109, la cour soulignant que la sanction du non-respect de la procédure paraît en outre aussi dissuasive, sinon plus, que celle de la C.C.T. n° 109, et ce vu le montant de l’indemnité en cause.

Il y a en outre, dans le texte de la C.C.T. n° 109, une autre règle visant, celle-ci, expressément une interdiction de cumul. L’article 9, § 3, de la C.C.T exclut en effet le cumul de l’indemnité prévue avec toute autre indemnité due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, le texte admettant une dérogation portant sur l’indemnité de préavis, l’indemnité de non-concurrence, l’indemnité d’éviction, ainsi que l’indemnité complémentaire payée en plus des allocations sociales. Il n’y a dès lors pas de droit pour l’intéressé à postuler le paiement de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Intérêt de la décision

C’est bien évidemment la question du cumul des indemnités qui fait l’intérêt particulier de cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles. Il est en effet fréquent de voir réclamer, suite à la rupture du contrat de travail, en plus de l’indemnité compensatoire de préavis, divers montants au titre d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et de dommages et intérêts pour licenciement abusif, chacune de celles-ci couvrant un aspect particulier du licenciement contesté (motif, brusquerie, détournement du droit, etc.).

S’il est généralement procédé à l’examen de ces chefs de demande sans que ne soit posée la question d’interdiction de cumul visée à l’article 9, § 3, de la C.C.T. n° 109, l’on peut brièvement signaler que, dans un autre arrêt du 21 décembre 2022 (C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2022, R.G. 2021/AB/347), la Cour du travail de Bruxelles a considéré que l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable sollicitée par un travailleur devrait s’effacer devant l’indemnité qu’il obtiendrait en raison d’un abus de droit de licencier, approche qui se concilie, selon la cour, parfaitement avec la hiérarchie des sources des obligations dans les relations de travail entre employeur et travailleur, telle que fixées par l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.

Dans la présente espèce, la question s’est complexifiée du fait de l’existence de deux protections spécifiques contre le licenciement, l’une figurant dans la loi du 3 juillet 1978 et l’autre dans une convention collective de travail sectorielle. La cour du travail a retenu que les textes en cause ne souffraient pas d’interprétation et que, l’interdiction de cumul étant explicite, le chef de demande devait être rejeté.

La cour du travail a également précisé, dans l’arrêt commenté, la distinction entre l’espèce analysée et celle ayant abouti à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2012 (n° S.10.0048.F), où aucune règle expresse d’interdiction de cumul ne figurait et dont l’enseignement n’est dès lors pas transposable à toute situation où plusieurs indemnités sont postulées au motif qu’elles auraient une cause distincte et répareraient un préjudice spécifique.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be