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Action en aggravation du taux d’incapacité permanente suite à un accident du travail : la présomption de causalité de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 ne s’applique pas

Commentaire de Cass., 12 décembre 2022, n° S.20.0062.F

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Cour de cassation, 12 décembre 2022, n° S.20.0062.F

Terra Laboris

Rétroactes

Par arrêt du 5 septembre 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) avait jugé que la présomption de causalité de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 doit trouver à s’appliquer dans l’hypothèse de l’action en aggravation intentée en application de l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987, étant l’action en aggravation introduite après l’expiration du délai de révision.

(La décision de la cour du travail a été précédemment commentée)

La Cour de cassation vient de casser cette décision, par arrêt du 12 décembre 2022.

Les faits

Les faits ont été rappelés dans le commentaire de l’arrêt de la cour du travail.

Suite à un accident du travail survenu en 1992, le travailleur avait introduit une demande d’aggravation 24 ans plus tard, considérant que les suites de la hernie (lésion initiale) s’étaient à ce point aggravées que le taux d’incapacité permanente devait être porté à 10%.

L’arrêt de la cour du travail

La cour a rappelé les deux présomptions légales des articles 9 et 7 de la loi (présomption de causalité et présomption que l’accident est survenu par le fait de l’exécution). Pour l’action en aggravation, d’autres dispositions interviennent, étant les articles 72 L.A.T. pour l’action en révision et 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 en cas d’aggravation définitive après l’expiration du délai de révision.
Pour la cour, la question était de déterminer les dispositions applicables à l’action en aggravation introduite par le demandeur. Le délai de révision avait expiré en 1996 et les premières plaintes dataient de 2008. Aucune action en révision dans le délai de l’article 72 n’avait été intentée, de telle sorte que seule pouvait s’appliquer à la demande l’action prévue à l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987.

Sur la question de l’imputabilité à cet accident (qui avait été consolidé sans séquelles) des lésions survenues de nombreuses années plus tard, la cour a retenu que le dossier médical permettait de conclure à l’existence d’une contestation d’ordre médical.

Elle décida d’appliquer la présomption de causalité, s’appuyant essentiellement sur la jurisprudence en matière de lésions tardives.

Aussi, chargea-t-elle un expert de dire s’il pouvait être exclu, avec la plus grande certitude que permet l’état d’avancement des sciences médicales, que l’aggravation de la pathologie mise en évidence par l’imagerie médicale survenue de très nombreuses années après une guérison sans séquelles consolidée était en relation causale, fût-elle partielle, avec l’accident.

Nous avions écrit en commentaire à cette décision que c’était à notre connaissance la première fois qu’était admise l’application de la présomption de causalité à l’action en aggravation prévue à l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987, étant traditionnellement retenu que cette présomption joue dans le cadre de l’action en réparation uniquement. La question est d’importance, puisque les règles en matière de preuve sont tout à fait distinctes de la situation où il appartient à la victime de prouver le lien causal. La mission confiée à l’expert judiciaire par la cour du travail reflétait cet allègement considérable de la charge de la preuve dans le chef du demandeur, puisque – comme il est régulièrement prévu dans les missions d’expertise dans les hypothèses de réparation des séquelles de l’accident – la cour le chargeait de donner son avis sur la question de savoir s’il pouvait être exclu que l’aggravation de la pathologie soit en relation causale avec l’accident, celle-ci pouvant même être partielle.

Le pourvoi

Selon les termes du pourvoi, la présomption prévue par l’article 9 de la loi ne s’applique pas à la demande d’allocation d’aggravation. Dans le cadre de celle-ci, le demandeur en allocation ne bénéficie pas d’une présomption de causalité entre la modification de l’état de sa lésion et l’accident survenu sur les lieux du travail ou sur le chemin du travail. Il doit donc démontrer que l’aggravation est en lien causal avec l’accident du travail ou l’accident survenu sur le chemin du travail.

Il fait en conséquence grief à la cour du travail d’avoir décidé que la présomption légale que consacre l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 s’applique également dans le cadre d’une action en aggravation fondée sur l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987, ce qui implique qu’il appartient à l’assureur-loi de la renverser en apportant la démonstration de l’absence d’imputabilité à l’accident du travail des séquelles invoquées par la victime, ainsi que d’avoir libellé la mission de l’expert sur ce fondement, à savoir qu’il devait être examiné par l’expert « s’il peut être exclu, avec un haut degré de vraisemblance que permettent les sciences médicales, que cette aggravation des séquelles présente un lien causal, fût-il partiel ou indirect, avec l’accident du travail ».

L’arrêt de la Cour de cassation

Dans un bref attendu, la Cour accueille le pourvoi : l’article 9 de la loi s’applique à toute lésion dont l’existence est invoquée dans le cadre de la procédure en reconnaissance de l’accident du travail et de l’incapacité de travail qui en résulte mais non à la demande tendant à une allocation d’aggravation, que l’article 9, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail réserve à la victime dont l’état résultant de l’accident du travail s’aggrave de manière définitive après l’expiration du délai de la demande en révision des indemnités visée à l’article 72, alinéa 1er, de cette loi.

Intérêt de la décision

Cette mise au point de la Cour de cassation vient confirmer que le champ de la présomption de causalité est limité à l’action en indemnisation (étant l’action introduite en réparation des séquelles) mais que celle-ci ne vaut pas pour les procédures en aggravation qui pourront être initiées ultérieurement.

Quoique la Cour se prononce ici uniquement sur l’action en aggravation après le délai de révision, sa conclusion devrait à notre sens être identique pour celle formée dans le cours de celui-ci (art. 72 LAT).


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