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Personnel d’ambassade : non-paiement du double pécule de vacances

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 juillet 2022, R.G. 2021/AB/254

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Cour du travail de Bruxelles, 19 juillet 2022, R.G. 2021/AB/254

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 juillet 2022, la Cour du travail de Bruxelles statue, dans un cas de non-déclaration et de non-paiement du double pécule de vacances, sur la réparation du préjudice subi par le travailleur : celle-ci doit intervenir en nature afin de replacer celui-ci dans la situation la plus proche possible de laquelle il se serait trouvé sans la faute commise par l’employeur.

Les faits

Un travailleur de nationalité belge et domicilié en Belgique a été engagé par une représentation étrangère en 1999 en qualité de cuisinier. Il exerçait cette fonction auprès du diplomate lui-même. L’engagement s’est fait via un contrat de travail rédigé en langue espagnole, s’agissant d’un contrat de travail d’ouvrier. L’intéressé a été assujetti au régime belge de sécurité sociale des travailleurs salariés, étant déclaré en qualité d’employé. Il n’a pas perçu de pécule de vacances pendant toute la durée de la relation de travail (double pécule). La rémunération normale pour les jours de vacances lui a été payée.

Il a été licencié en avril 2015 moyennant un préavis à prester, préavis écourté, une indemnité correspondant au solde lui ayant été versée.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant une indemnité compensatoire de préavis complémentaire ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et le paiement des doubles pécules de vacances.

Par jugement du 21 décembre 2017, la demande a été accueillie en partie, l’indemnité compensatoire de préavis ayant été admise (mais dans un montant moindre que celui postulé) ainsi que celle pour licenciement manifestement déraisonnable. Le tribunal a cependant fait droit à la totalité de la demande en ce qui concerne les arriérés de doubles pécules de vacances.

Appel a été interjeté par l’employeur sur ce poste uniquement (ainsi que sur la remise des documents sociaux y afférents). Un appel incident est interjeté par le travailleur, portant sur le montant des pécules et sur la base des intérêts moratoires.

La décision de la cour

La cour admet que la loi applicable est la loi belge, l’application de la loi espagnole étant réclamée par l’employeur. Elle renvoie à la Convention de Rome du 19 juin 1980, qui autorise les parties à choisir la loi applicable, le choix pouvant être exprès ou résulter des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause et le choix pouvant être total ou partiel. Le choix a été fait de la loi belge en matière de sécurité sociale et, également, pour le droit du travail. Des éléments de la cause, il ne ressort pas que le choix aurait été fait de la loi espagnole, même si certaines similitudes existent entre celle-ci et le contrat de travail.

Il y a dès lors lieu d’appliquer les lois coordonnées du 28 juin 1971.

Celles-ci ne s’appliquent pas aux catégories de personnes bénéficiant d’un autre régime légal de vacances annuelles et la cour rejette, en conséquence, les objections de l’Etat étranger, qui fait valoir l’existence d’un autre régime légal d’une part et le fait que la loi ne s’appliquerait pas à un membre du personnel d’une mission diplomatique étrangère en Belgique de l’autre.

Sur ce second point, l’Etat étranger considérant que les pouvoirs publics étrangers en Belgique doivent être assimilés aux pouvoirs publics belges (et donc que leur personnel doit être exclu de l’application de la loi du 28 juin 1971), la cour rappelle que, si les travailleurs du secteur public belge sont exclus du champ d’application de la loi du 28 juin 1971, c’est parce qu’ils bénéficient d’un autre régime légal de vacances annuelles et qu’il n’est pas utile d’interpréter cette notion pour déterminer si elle vise ou non les membres du personnel d’une mission diplomatique étrangère. Ce qu’il faut savoir est si ces personnes bénéficient d’un autre régime légal de vacances annuelles.

Pour ce qui est du droit au pécule de vacances, la cour rappelle que les ouvriers ont droit à un pécule de vacances égal à 15,38% des rémunérations ayant servi de base au calcul de la cotisation due pour ce pécule (majoré éventuellement d’une rémunération fictive pour des journées assimilées). Ce pourcentage inclut d’une part la rémunération des jours de vacances et, d’autre part, le double pécule. Celui-ci est, à la différence des employés, payé par l’O.N.V.A. ou une caisse de vacances, ceux-ci ne pouvant subordonner le paiement du pécule au versement par l’employeur des cotisations correspondantes. L’intimé avait dès lors droit à ce pécule pour son occupation au service de la partie appelante.

La cour envisage ensuite si l’Etat étranger est, du fait du non-paiement, débiteur éventuel de celui-ci ou si sa responsabilité doit être engagée.

Elle conclut à l’obligation pour ce dernier d’indemniser en nature. En effet, l’employeur n’est pas débiteur du pécule de vacances d’un ouvrier. La partie appelante avait l’obligation de déclarer l’intimé en qualité d’ouvrier, ce qu’elle n’a pas fait, l’ayant déclaré erronément comme employé. De ce fait, elle n’a pas payé les cotisations sociales destinées au financement des pécules de vacances des ouvriers et elle a ainsi manqué à ses obligations légales. Ceci constitue une faute, la cour rappelant que la transgression matérielle d’une disposition légale ou réglementaire peut entraîner la responsabilité civile de son auteur. Ceci si elle est commise librement, c’est-à-dire sans contrainte et consciemment, soit en pleine possession de ses facultés. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 9 février 2017, n° C.13.0143.F), elle précise qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur de la faute se rende compte qu’il commet celle-ci ni qu’il ait l’intention de la commettre.

La réparation en nature est la réparation la plus appropriée, qui replacera le travailleur dans la situation la plus proche possible de celle dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de faute. L’employeur doit dès lors être condamné au paiement des arriérés bruts.

Se pose néanmoins encore un problème, étant la prescription de la demande, les arriérés en cause étant réclamés à partir de l’année 2010.

La cour reprend la règle de prescription en matière de pécules de vacances, étant que celle-ci est de trois ans, en vertu de l’article 46bis des lois coordonnées le 28 juin 1971. Celle-ci n’est cependant pas applicable en l’espèce, dans la mesure où cette prescription vise l’action en paiement du pécule dû en vertu de la loi et de son arrêté royal d’exécution, alors qu’en l’espèce il s’agit d’indemniser le travailleur du préjudice subi. La circonstance que cette indemnisation est accordée en nature et sous la forme du paiement d’arriérés de pécules ne modifie pas son essence (13e feuillet). La faute n’est pas uniquement de nature civile, mais également pénale, étant la non-déclaration et le non-paiement des cotisations. L’élément matériel est ainsi établi.

Quant à l’élément moral, il consiste dans le fait d’avoir agi de manière contraire à la loi, librement et consciemment. L’on ne pourrait, pour la cour – qui renvoie à diverses décisions de la Cour de cassation –, exclure l’élément moral qu’en cas de force majeure, d’erreur invincible ou d’une autre cause de justification. Les fautes commises en l’espèce constituent des infractions instantanées, commises trimestriellement, et qu’elles se prescrivent, dès lors, individuellement.

Le travailleur restant en défaut d’établir l’unité d’intention (étant le but d’éluder l’application des règles du droit belge et de devoir payer les cotisations sociales), elle retient que celui-ci a pu se tromper, non comme l’aurait fait un employeur raisonnable et prudent, mais néanmoins sans intention quant aux déclarations à faire et aux cotisations à payer, vu la qualité d’ouvrier de l’intéressé. C’est dès lors l’infraction instantanée qui doit être retenue.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles présente au moins deux points d’intérêt importants. Le premier est relatif à l’application du droit belge à la demande d’arriérés de doubles pécules de vacances, la question étant examinée dans le cadre de la Convention de Rome. La cour rappelle que les parties peuvent choisir la loi applicable, et ce pour la totalité ou une partie seulement de leur contrat.

Par ailleurs, le double pécule de vacances dû en application des lois coordonnées du 28 juin 1971 est une obligation visée par les articles 218 et 223 du Code pénal social. L’infraction en l’espèce est double, s’agissant non seulement de la non-déclaration, mais également du non-paiement des cotisations.

Selon un principe général maintes fois répété par la Cour de cassation, la réparation doit intervenir en nature et celle-ci est fixée à l’équivalent du montant brut des pécules impayés. S’agissant par ailleurs non d’une action en paiement des pécules eux-mêmes (ce qui n’est pas à charge de l’employeur, s’agissant d’un ouvrier), mais d’une indemnisation, vu le préjudice subi, la prescription triennale n’est pas d’application.

Ces quelques principes sont résumés par la cour en une excellente synthèse.


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