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Fonds de Fermeture : répétition d’indu et règles de prescription

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 19 septembre 2022, R.G. 21/164/A

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 19 septembre 2022, R.G. 21/164/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 19 septembre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle l’évolution de la question : avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2013 insérant dans la loi du 26 juin 2002 un article 72/1, le délai de prescription en cas de répétition d’indu était de 10 ans. Il est actuellement ramené à 3 ans (hors hypothèses de l’erreur du Fonds et de manœuvres du travailleur).

Le litige

Un travailleur fait l’objet d’une demande en justice introduite par le Fonds de Fermeture en remboursement d’un montant de l’ordre de 5.000 € perçus indûment selon l’institution. Est également demandé le taux légal d’intérêt à partir de la date d’un (premier) envoi recommandé.

Les faits

Les faits à l’origine de cette demande de remboursement sont que l’intéressé, déclaré en tant que salarié par une (autre) personne physique pour deux trimestres en 2010, a obtenu condamnation de celle-ci au paiement de sommes par un jugement du tribunal du travail de Liège du 4 mai 2011, jugement rendu par défaut. Suite à cette décision, l’huissier instrumentant a rendu une attestation d’irrécouvrabilité, suite à laquelle une demande d’intervention a été introduite auprès du Fonds, qui a versé un montant correspondant à des rémunérations, pécules et une indemnité de rupture.

Parallèlement, l’Auditorat du travail avait ouvert une enquête dont il est apparu que 22 travailleurs (dont l’intéressé) avaient été déclarés frauduleusement comme travailleurs salariés alors qu’ils n’avaient accompli aucune prestation de travail pour cet ‘employeur’.

Une procédure a été introduite devant le tribunal correctionnel de Liège, qui a jugé établie la prévention d’assujettissement frauduleux. Il a en conséquence été décidé par l’O.N.S.S. de désassujettir certains travailleurs et le Fonds de Fermeture a été informé. Celui-ci a dès lors demandé le remboursement des montants payés, par pli simple d’abord, en date du 12 mai 2014, et par courrier recommandé, le 8 décembre 2015. L’intéressé avait, entre-temps, informé le Fonds de l’introduction d’un recours judiciaire contre la décision de l’O.N.S.S.

En 2020, l’Office a informé le Fonds de la conclusion de l’affaire, étant que le recours avait été déclaré non fondé.

Le Fonds a alors repris le dossier et a adressé de nouveaux rappels à l’intéressé. Il a finalement introduit la procédure le 19 janvier 2021.

Position des parties devant le tribunal

Le défendeur invoque d’abord une question de prescription, au motif du texte de l’article 72/1 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises. Vu l’absence de délai de prescription pour la récupération de l’indu dans la loi du 26 juin 2002, il estime qu’il s’agit d’une lacune intrinsèque auto-réparatrice, la demande du Fonds devant être soumise au délai de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ou à celui de l’article 72/1 de celle du 26 juin 2002. Il plaide également à titre subsidiaire la nullité de la notification de l’indu (vu l’absence de certaines mentions sur la décision).

Sur la question de la prescription, le Fonds soutient qu’il faut retenir le délai de prescription de 10 ans prévu à l‘article 2262bis du Code civil. Il estime que la lacune n’est pas auto-réparatrice et considère également que la décision de récupération est valable.

Avis de M. l’Auditeur du travail

Pour l’auditeur du travail, le délai de prescription est de 10 ans, la lacune n’étant pas auto-réparatrice. Pour ce qui est des mentions que devait comporter la décision administrative, il rappelle que l’article 72/1 de la loi du 26 juin 2002 n’est pas applicable pour les paiements intervenus avant son entrée en vigueur. Les formes qu’il prévoit ne devaient dès lors pas être respectées.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend l’article 72/1 de la loi du 26 juin 2002 relatif à la répétition de l’indu, rappelant qu’il est le fruit d’une modification législative intervenue par la loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses. Le nouveau texte concerne les paiements effectués à partir du 11 août 2013.

Il en vient ensuite à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans deux arrêts (C. const., 10 mars 2011, n° 34/2011 et C. const., 19 décembre 2013, n° 182/2013). Dans ces deux décisions, la Cour a conclu à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, vu l’absence de disposition relative au délai de prescription de l’action en répétition de l’indemnité de fermeture (arrêt n° 34/11) et de l’indemnité de transition (arrêt n° 182/2013).

Sur le plan théorique, le tribunal rappelle la doctrine de M. Paul MARTENS (Paul MARTENS, « Le juge légiférant », J.L.M.B., 2012, p. 557-559), qui a repris la distinction entre les lacunes intrinsèques et extrinsèques et, parmi celles-ci, celles qui sont auto-réparatrices et celles qui ne le sont pas. En cas de lacune intrinsèque ou auto-réparatrice, le comblement peut être fait par le juge sauf s’il requiert un régime procédural totalement différent ou implique une violation d’un autre texte constitutionnel, si le juge se trouve face à des choix que seul le législateur peut opérer, si la nouvelle règle doit faire l’objet d’une réévaluation des intérêts sociaux (par le législateur) ou enfin si elle implique une modification d’une ou de plusieurs dispositions légales.

En l’espèce, étant acquis que le paiement est intervenu avant l’entrée en vigueur de l’article 72/1 de la loi du 26 juin 2002, le tribunal entreprend de rechercher le délai de prescription. Il examine, pour ce, si la lacune constatée par la Cour constitutionnelle est auto-réparatrice, étant de savoir si la réparation de la discrimination peut intervenir à l’initiative du juge. Tel n’est pas le cas, la Cour ayant dans son arrêt du 10 mars 2011 envisagé deux possibilités en ce qui concerne l’indemnité de fermeture - étant qu’elle peut être considérée soit comme une prestation de sécurité sociale au sens large soit comme un élément de rémunération-, celles-ci impliquant des délais différents.

Pour le tribunal, cette seule énonciation de la Cour indique à suffisance qu’un choix du législateur doit intervenir. Il n’appartient pas au juge, comme le relève expressément le jugement, d’appliquer tel ou tel délai de prescription, les indemnités pouvant être considérées à la fois comme de la rémunération ou des prestations de sécurité sociale. Il souligne encore que dans son Rapport annuel de 2011, la Cour constitutionnelle, lorsqu’elle renvoie à l’arrêt du 10 mars 2011, a constaté une lacune intrinsèque mais non une lacune auto-réparatrice.

Ultérieurement, le législateur est intervenu, instaurant un délai de prescription, repris à l’article 72/1 de la loi mais ceci ne signifie pas que ce délai doit être appliqué pour les situations anciennes.

Le tribunal conclut qu’il ne peut réparer la lacune constatée et que la prescription applicable est de 10 ans. La demande n’est dès lors pas prescrite.

Par ailleurs, répondant aux objections du défendeur en ce qui concerne les griefs au niveau de la forme, le tribunal rappelle également l’absence de disposition particulière à l’époque du paiement en ce qui concerne la motivation des décisions de répétition d’indu.

Enfin, sur le fond, le tribunal considère que le versement des indemnités n’a pas de cause, vu la décision du tribunal correctionnel en ce qui concerne l’assujettissement frauduleux.

Il fait dès lors droit à la demande du Fonds de Fermeture.

Intérêt de la décision

La situation examinée par le tribunal du travail dans ce jugement du 19 septembre 2022 est antérieure à la modification de la réglementation en la matière par les articles 10 et 11 de la loi du 30 juillet 2013 portant des dispositions diverses. Celle-ci est venue compléter la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises, qui ne contenait pas de délai de prescription pour la répétition d’indu.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 mars 2011 concerne la loi du 28 juin 1966 relative à l’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises avant son abrogation par la loi du 26 juin 2002 et l’arrêt du 19 décembre 2013 a été rendu à propos de la loi du 12 avril 1985 chargeant le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprises du paiement d’une indemnité de transition.

L’on notera que lorsque la loi du 28 juin 1966 a été abrogée et qu’est entrée ainsi en vigueur celle du 26 juin 2002, la question n’a pas été abordée dans le nouveau texte. Ce n’est que par la loi du 30 juillet 2013 que la situation a été régularisée.

L’article 72/1 ainsi introduit dispose que la répétition des paiements versés indûment se prescrit par trois ans à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué. Il est ramené à 6 mois, en cas d’erreur du Fonds, le paiement devant résulter uniquement de celle-ci et le travailleur n’ayant normalement pas pu se rendre compte de cette erreur. En cas de fraude, de dol ou de manœuvres frauduleuses du travailleur, le délai est porté à 5 ans.

Est exigé actuellement l’envoi de la décision de répétition par lettre recommandée à la poste, des mentions particulières devant y figurer et ce à peine de nullité (constatation de l’indu, montant total de celui-ci et mode de calcul, dispositions en infraction desquelles des paiements ont été effectués, délai de prescription pris en considération et justification, possibilité d’introduire un recours auprès du tribunal du travail compétent dans un délai de 30 jours après la présentation du pli recommandé au travailleur et ce à peine de forclusion). La disposition précise encore que le dépôt du pli recommandé à la poste interrompt la prescription.


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