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Secteur chômage : étendue de l’obligation d’information et de conseil de l’organisme de paiement

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 29 juin 2022, R.G. 2021/AL/608

Mis en ligne le mardi 31 janvier 2023


Cour du travail de Liège, division Liège, 29 juin 2022, R.G. 2021/AL/608

Terra Laboris

Dans un arrêt du 29 juin 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que, dans le cadre de son obligation d’information et de conseil, l’organisme de paiement est tenu d’une obligation de vérification, étant qu’il doit croiser les banques de données auxquelles il a accès pour vérifier les informations administratives données par ses affiliés.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage introduit depuis 2015 ses cartes de contrôle par voie électronique. Après un engagement dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée en 2018, le paiement des allocations de chômage est interrompu pendant plus de vingt-huit jours et il doit, selon la réglementation, faire une nouvelle demande d’allocations. Cette obligation figure sur les cartes de contrôle en version « papier ». Elle est rappelée sur la feuille d’information de son organisme de paiement, qui elle-même renvoie à d’autres documents d’information plus explicites, dont le site web de l’ONEm.

Sont précisées sur celui-ci les modalités pour l’introduction de la demande après une interruption de chômage, les démarches à accomplir et les formulaires à utiliser. Sur le site web de l’organisme de paiement, d’autres informations sont encore données, dont les étapes à suivre. Il y est précisé que, si le demandeur d’allocations répond à toutes les conditions pour recevoir une allocation de chômage, il percevra une indemnité à compter de la date de la demande et à la condition que le dossier de chômage soit en ordre, information suite à laquelle sont données des précisions en vue de compléter le dossier. Les délais d’introduction des dossiers auprès de l’ONEm devant être respectés sont repris. L’obligation de demande de nouvelles allocations ne figure cependant pas dans le manuel d’utilisation pour les cartes de contrôle (non plus que sur le site web www.socialsecurity.be).

A l’issue de sa période d’occupation, l’intéressé s’inscrit au FOREm comme demandeur d’emploi mais n’introduit pas de nouvelle demande, chose que ne sera régularisée que trois mois plus tard. Il continue à rentrer ses cartes de contrôle par voie électronique, les cartes des deux premiers mois étant validées. Il est alors réengagé à temps plein.

Après trois semaines, l’organisme de paiement lui écrit, signalant qu’il est dans l’impossibilité de payer les allocations de chômage au motif qu’il ne s’est pas réinscrit. S’étant présenté auprès de celui-ci et se voyant demander le C4 (qu’il n’avait pas reçu), il effectue une démarche auprès de son employeur précédent et signe une demande de reconnaissance de force majeure pour introduction tardive de la demande d’allocations.

Après avoir reçu le C4, l’organisme de paiement introduit la demande auprès de l’ONEm, qui la refuse. La motivation de la décision est que le dossier doit parvenir dans un délai de deux mois prenant cours le lendemain du premier jour pour lequel les allocations sont demandées et que, en l’espèce, alors qu’il demande les allocations à partir du 2 juillet 2018, le bureau de chômage n’aurait reçu un dossier complet que le 5 octobre, soit en dehors du délai légal. Les allocations ne peuvent dès lors lui être versées qu’à partir de cette date.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, le demandeur précisant qu’il n’avait pu se rendre plus tôt auprès de son organisme de paiement vu les exigences de son nouvel emploi et l’absence de délivrance du C4.

Dans le cadre de ce recours, l’organisme de paiement est mis à la cause par l’auditorat.

L’objet de l’action est dès lors le bénéfice des allocations de chômage pour une période de cinq semaines, soit à partir de la date à laquelle la demande devait être introduite et celle où il a retrouvé un nouvel emploi.

Le jugement rendu par le tribunal le 15 novembre 2021 déboute l’intéressé, confirmant la décision de l’ONEm.

Un recours est formé devant la cour du travail.

La décision de la cour

La cour reprend les articles 133 de l’arrêté royal organique et 91, 92, § 2, et 95 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, qui règlent la question relative au bénéfice des allocations de chômage après une interruption de celui-ci de vingt-huit jours consécutifs. La procédure est rappelée.

La cour constate avec le premier juge que le dossier a été rentré en dehors du délai. Elle écarte l’argument de l’absence de C4, ceci n’étant pas un cas de force majeure empêchant l’introduction de la demande à temps.

Elle rejette également les explications de l’appelant relatives à l’absence d’informations eu égard au fait qu’il introduisait ses cartes de contrôle par voie électronique.

L’ONEm étant très clair quant à la procédure à respecter dans les informations figurant sur son site web, la cour ne peut que conclure que la décision est correcte.

La question se pose, dès lors, du bien-fondé de la réclamation de l’appelant à l’égard de l’organisme de paiement, à qui il réclame des dommages et intérêts.

La cour examine, en conséquence, le respect par l’organisme de paiement des obligations mises à sa charge en application de l’article 3 de la Charte de l’assuré social. Elle reprend la doctrine (M. SIMON, « Chapitre 3 – Institutions compétentes et responsabilités », in G. GAILLIET et alii (dir.), Chômage, 1re éd., Bruxelles, Larcier, 2021, pp. 28-31), selon qui l’organisme de paiement doit être proactif dans le traitement du dossier.

Elle renvoie également à l’article 24, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal, qui contient les obligations spécifiques des organismes de paiement, étant qu’ils doivent conseiller gratuitement le travailleur et lui fournir toutes informations utiles concernant ses droits et ses devoirs à l’égard de l’assurance chômage.

Avec de nombreux renvois à la jurisprudence récente, la cour confirme que l’assuré social est en droit d’attendre, dans le cadre du devoir d’information et de confirmation de l’organisme de paiement, le respect d’une obligation de vérification. Elle cite un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 24 juin 2019, R.G. 2018/AL/113), selon lequel l’on peut attendre d’un organisme de paiement qu’il croise les banques de données auxquelles il a accès pour vérifier les informations administratives données par ses affiliés.

Un rappel est fait des contours de cette obligation de vérification, avec renvoi aux décisions de jurisprudence correspondantes.

La cour constate, en l’espèce, que l’intéressé a validé sa carte de contrôle pour les mois de juillet et août, soit largement avant l’échéance du délai, et que l’organisme aurait dû vérifier si la demande d’allocations avait également été introduite. Si ceci avait été fait et signalé à temps pour l’intéressé, il aurait obtenu les allocations de chômage pour la période considérée. Il y a dès lors faute et celle-ci a causé un dommage, qui correspond aux allocations elles-mêmes.

La cour fait dès lors droit à la demande.

Intérêt de la décision

L’obligation d’information et de conseil mise par la Charte de l’assuré social à charge des institutions de sécurité sociale est très étendue. Il a très rapidement été admis en jurisprudence que l’institution doit jouer un rôle proactif dans l’instruction administrative d’un dossier. Cette obligation de proactivité est particulièrement poussée dans la matière du chômage, dans laquelle des obligations distinctes sont imposées à l’ONEm et à l’organisme de paiement.

Dans l’arrêt commenté du 29 juin 2022, la Cour du travail de Liège reprend des applications jurisprudentielles de l’étendue de cette obligation, considérant qu’elle comprend également une obligation de vérification. Celle-ci implique le croisement des banques de données auxquelles l’organisme de paiement a accès aux fins de vérifier les informations administratives données par les affiliés.

La cour y a cité, parmi les cas rencontrés en jurisprudence, l’hypothèse où un assuré social introduit une demande de dispense afin de suivre des études : l’organisme de paiement a pour obligation à ce moment (la cour souligne) de vérifier si l’assuré social répond aux conditions pour obtenir la demande de dispense (condition de l’article 93 de l’arrêté royal). En tant qu’organisme de paiement, il pouvait à cet égard et immédiatement vérifier le nombre de jours d’allocations de chômage (plusieurs décisions étant citées, dont C. trav. Bruxelles, 13 septembre 2018, R.G. 2017/AB/197).

De même, lorsqu’un chômeur veut suivre une formation alors que, manifestement, il n’a pas reçu le nombre suffisant d’allocations pendant la période de référence, l’organisme de paiement doit signaler immédiatement la chose de manière à ce que, si l’intéressé introduit malgré tout sa demande, il le fasse en connaissant le risque de se voir opposer un refus.

Sur le devoir d’information d’initiative des institutions de sécurité sociale, dans le cadre du secteur chômage, l’on peut encore citer l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2020 (n° S.19.0034.F – précédemment commenté), qui a trait aux devoirs respectifs de l’ONEm et de l’organisme de paiement.


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