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Responsabilité du travailleur : article 18 L.C.T. et car policy

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 27 janvier 2022, R.G. 18/3.571/A

Mis en ligne le mardi 16 août 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 27 janvier 2022, R.G. 18/3.571/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 27 janvier 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle le caractère impératif de l’article 18 de la loi sur les contrats de travail et son application en cas de réclamation par l’employeur du coût de dommages causés à un véhicule de société.

Les faits

Un travailleur engagé en 2015 comme conducteur de chantier par une entreprise générale de construction a notifié sa démission deux ans et demi plus tard, soit en novembre 2017. En cours de route, il a pu bénéficier d’un véhicule de société et une convention de mise à disposition a été signée, ainsi qu’une convention de géolocalisation par GPS ProDongle.

En cours de préavis de démission, l’intéressé a été victime d’un accident de la route pendant ses heures de travail et l’employeur lui a fait signer une reconnaissance de dette pour les dégâts occasionnés au véhicule, document dans lequel l’employé s’estime redevable et responsable du paiement des réparations, qu’il s’engage à prendre en charge, en ce compris une griffe sur le capot. La facture de réparation atteindra un montant de l’ordre de 2.800 euros.

La société procède par ailleurs à des retenues sur rémunération. L’intéressé, conteste via son organisation syndicale, faisant état de nombreux frais de déplacement qu’il a exposés, d’heures supplémentaires prestées, et réclamant une prime de fin d’année non payée (année de la rupture).

Les échanges n’aboutissant pas, une procédure est introduite par l’intéressé devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) concernant une demande de paiement de dépenses professionnelles pour frais de déplacement effectués en début de contrat avec son véhicule privé, de retenues illicites (dégâts au véhicule), de salaire et sursalaire pour des heures supplémentaires, ainsi que de la prime de fin d’année au prorata.

La décision du tribunal

Le tribunal déboute l’intéressé de sa demande de frais de déplacement, aucun manquement à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1978 n’étant constaté et la commission paritaire (n° 200) ne prévoyant rien à cet égard, non plus que le contrat.

Pour ce qui est des heures supplémentaires, il rappelle les principes à cet égard, étant que la preuve de la prestation de celles-ci incombe au travailleur, tant sur le plan de la réalité que du nombre, ainsi que de l’accord ou, à tout le moins, de l’approbation tacite de l’employeur. Sur la base des éléments de fait, le tribunal retient des heures supplémentaires incontestablement prestées et dues. Une réouverture des débats intervient cependant pour une partie de la période de prestation.

La question de la prime de fin d’année est rapidement évacuée, dans la mesure où il s’agit d’une démission et où la commission paritaire n° 200 exclut, dans sa convention collective du 9 juin 2016, les travailleurs qui démissionnent et n’ont pas une ancienneté d’au moins cinq ans dans l’entreprise.

Le tribunal réserve davantage de développements aux retenues sur salaire et à la demande reconventionnelle de l’employeur. Est en cause l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, qui prévoit les cas dans lesquels la responsabilité du travailleur peut être engagée. Une car policy a été signée entre les parties et celle-ci concerne notamment les accidents et dommages pendant les heures de travail. Elle dispose, dans l’hypothèse où le travailleur fait un accident « en tort », que, si cet accident intervient avec un tiers ou sans nécessité de l’intervention de la compagnie d’assurances, celui-ci prend à sa charge la différence entre le coût total des réparations et le montant couvert par celle-ci (franchise). Si le montant des réparations est inférieur à la franchise, ce montant est pris en charge par le travailleur.

Pour ce qui est de la responsabilité en cas d’infraction ou d’accident en-dehors des heures de travail, il est prévu que le travailleur est seul responsable tant civilement que pénalement et qu’il prendra à sa charge la totalité des coûts de réparation du véhicule ainsi qu’une éventuelle majoration de la prime imposée à la société.

En l’espèce, la société a procédé à des retenues à concurrence de 802 euros, question sur laquelle le tribunal examine la conformité de la car policy à l’article 18 de la loi. Il ne ressort en l’espèce pas des éléments du dossier qu’il y ait eu une faute lourde ou un dol. Quant à l’existence d’une faute légère habituelle, elle ne peut résulter de la circonstance que l’intéressé aurait eu plusieurs amendes de stationnement, vu qu’il n’y a aucun rapport entre l’un et l’autre. Le tribunal rappelle le caractère impératif de l’article 18, auquel le travailleur ne peut renoncer avant la fin du contrat. La convention qui lui a été soumise doit dès lors être écartée. Le tribunal conclut sur ce point à l’obligation pour l’employeur de rembourser les retenues indûment pratiquées.

Enfin, l’employeur ayant introduit une demande reconventionnelle portant d’une part sur la prise en charge de frais de réparation pour des dégâts commis durant les heures de travail et d’autre part sur le paiement d’amendes pénales, le tribunal fait la distinction entre les deux postes.

La demande reconventionnelle est jugée prescrite pour le premier et – surabondamment –, le tribunal rappelle la portée de l’article 18.

Cependant, pour les amendes de stationnement (dans le cadre de la vie privée), il retient la prescription quinquennale et renvoie à la car policy, qui dispose expressément que les amendes pour infraction au Code de la route sont à charge exclusive du travailleur. A défaut de paiement par celui-ci, l’employeur est en droit de récupérer l’amende payée pour le compte du travailleur sur le salaire de ce dernier, conformément à l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération. Cette disposition de la car policy imposait dès lors la prise en charge par le travailleur.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, reviennent quelques chefs de demande assez fréquents lors de la rupture. Certains sont d’ordre plus général, étant le droit au paiement d’heures supplémentaires ainsi que celui à une prime de fin d’année. Un autre volet détaille, cependant, des points plus spécifiques liés à l’utilisation par le travailleur d’un véhicule privé ou professionnel pour l’exécution de son contrat, ainsi qu’aux frais de déplacement.

Pour les déplacements entre chantiers, n’est pas abordée la question de savoir s’il s’agit du temps de travail à rémunérer, question qui devrait avoir une réponse affirmative, mais celle de l’indemnisation du travailleur pour ces trajets, qu’il effectuait dans un premier temps avec un véhicule privé. L’article 20 de la loi du 3 juillet 1978 impose une obligation générale à l’employeur mais ne contient aucune précision quant aux frais de déplacement particuliers, ni sur le plan financier ni sur celui des sanctions en cas de non-respect. La conclusion du tribunal est que seul le contrat peut ici intervenir comme source de droit. En l’espèce, aucune clause contractuelle ne permet de fonder le droit au paiement de tels frais.

Par ailleurs, très fréquent est le recours à l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 en cas de dommage au véhicule de la société. Les obligations du travailleur doivent être analysées par le biais des règles de l’article 18, étant que ne peuvent être mis en cause que son dol, sa faute lourde ou sa faute légère habituelle.

Une autre source est bien évidemment une car policy à valeur contractuelle. Sur cette question, il peut très utilement être renvoyé à un jugement du Tribunal du travail de Liège du 24 avril 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 24 avril 2018, R.G. 17/2.018/A – précédemment commenté). Cette décision a conclu sur la question que les clauses d’une car policy qui, en cas de fin de contrat, aboutissent à faire payer au travailleur le surcoût personnel alors qu’il ne dispose pas du véhicule ont déjà été soumises à la sanction des juridictions du travail, notamment celles obligeant le travailleur à reprendre le leasing en cas de démission. Il faut en examiner la régularité par rapport à l’article 6 L.C.T., qui considère qu’est nulle toute stipulation contraire aux dispositions de la loi et de ses arrêtés d’exécution, dès lors qu’elle vise à restreindre les droits des travailleurs ou à aggraver leurs obligations. Le droit pour le travailleur de démissionner à tout moment est fixé dans la loi et ses obligations y sont également prévues, étant qu’il doit donner un préavis. Une clause contractuelle ne peut alourdir ces obligations.


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