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Cumul d’allocations de chômage et d’une pension étrangère

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 décembre 2021, R.G. 2020/AB/167

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Cour du travail de Bruxelles, 2 décembre 2021, R.G. 2020/AB/167

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 décembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles aborde à son tour la question de la nature de l’article 65 de l’A.R. du 25 novembre 1991 et pose la question de savoir s’il s’agit d’une clause anti-cumul au sens de l’article 53 du Règlement européen 883/2004.

Les faits

Un travailleur salarié a travaillé en France et par la suite en Belgique. Il a été licencié moyennant un préavis à prester, suite à quoi il a bénéficié des allocations de chômage dans le cadre du régime de chômage avec complément d’entreprise. Il a, dans la demande, répondu négativement à la question de savoir s’il percevait une pension de retraite ou de survie. Il avait à ce moment cinquante-neuf ans.

Fin 2015, une caisse d’assurances retraite et de santé française lui signale qu’il a droit à une pension de retraite à partir du 1er novembre 2014, soit alors qu’il bénéficiait encore des allocations de chômage avec complément d’entreprise, la caisse française se référant aux « Règlements communautaires ». Il s’agissait d’un montant de l’ordre de 525 euros par mois.

L’ONEm l’a ensuite informé (près de deux ans plus tard) qu’il avait appris via la consultation du cadastre des pensions (Banque-carrefour de la sécurité sociale) l’existence d’une pension de retraite étrangère avec complément de pension extra-légale, ces avantages n’ayant pas été déclarés. Le SFP est mis au courant par l’ONEm.

Il est alors décidé par l’ONEm qu’un indu doit être remboursé, des précisions étant demandées quant aux montants payés et aux périodes correspondantes afin de déterminer la période de cumul. L’intéressé s’exécute et l’ONEm poursuit son enquête, interrogeant également les caisses françaises qui sont intervenues.

Après avoir été auditionné, l’intéressé est exclu du droit aux allocations depuis novembre 2014 (début de la période couverte par la pension française). Il lui est reproché de ne pas avoir déclaré une pension étrangère et l’exclusion étant prise sur pied de l’article 65 de l’arrêté royal organique. L’indu notifié est de l’ordre de 45.000 euros.

La décision est contestée.

Par jugement du 28 janvier 2020, le tribunal du travail annule la décision et condamne l’ONEm aux frais et dépens de l’instance. Ce jugement est frappé d’appel.

La décision de la cour

La cour circonscrit l’objet du litige, qui est la question du cumul d’allocations de chômage et d’une pension étrangère (en l’occurrence pension française). La question est visée à l’article 65 de l’arrêté royal organique, en vertu duquel le cumul n’est pas possible (§ 1er) mais peut être autorisé dans certaines conditions, le bénéficiaire pouvant être autorisé à percevoir des allocations dans les limites de l’article 130, à savoir que l’allocation de chômage doit être diminuée de la partie du montant journalier de la pension qui excède un montant déterminé (§ 2).

Le cumul est admis, dès lors que (i) le chômage n’est pas causé par un arrêt ou une diminution du travail du fait du bénéfice de la pension, (ii) le régime sur la base duquel la pension est accordée n’interdit pas le cumul et (iii) celui-ci ne subordonne pas le bénéfice de la pension ou le montant de la pension à des conditions qui limitent l’indisponibilité du bénéficiaire sur le marché de l’emploi.

La définition d’une pension est également donnée à l’article 65. La cour examine ainsi les catégories de pensions en droit français, constatant qu’existent trois grandes catégories de régimes de retraite, dont les modalités d’organisation varient selon le secteur d’activité, ceux-ci comprenant généralement un régime de base et un régime complémentaire légalement obligatoire. Ces régimes complémentaires en l’espèce sont intégrés dans la sécurité sociale des travailleurs salariés et suivent le principe de la répartition, étant financés par des cotisations sociales calculées à partir de la rémunération. Ils ressortissent du premier pilier des pensions. Il s’agit dès lors de pensions au sens de la disposition examinée.

La cour s’interroge cependant, vu que la pension en cause est une pension incomplète.

Pour ce qui est des conditions d’application de la règle anti-cumul, se pose la question de savoir si cette condition existe dans la législation française, ce que l’ONEm reste en défaut de préciser. La même interrogation subsiste pour la condition relative à la limitation de la disponibilité sur le marché de l’emploi. Pour la cour, l’ONEm, qui demande l’application de l’article 65 de l’arrêté royal, doit établir que les conditions d’application sont réunies.

La cour ordonne dès lors une réouverture des débats aux fins de permettre à l’institution de produire des pièces complémentaires.

Elle souligne cependant d’ores et déjà que le Règlement n° 883/2004 vise notamment à protéger les travailleurs contre une application trop rigoureuse des clauses anti-cumul nationales et qu’il détermine en ses considérants n° 29 et 31 les limites dans lesquelles ces clauses peuvent s’appliquer. En outre, pour ce qui est des prestations de vieillesse et de survie, le Règlement prévoit un régime national complexe d’encadrement d’application des règles anti-cumul et il renvoie ici à la question des prestations de même nature ou de nature différente (les premières étant visées à l’article 54 et les secondes à l’article 55).

La cour constate encore que ces règles de droit européen n’ont pas été abordées par les parties, ce qui ne lui permet pas de trancher.

Elle pose en conséquence une question complémentaire, étant de savoir si l’article 65 de l’arrêté royal organique doit être considéré comme une clause anti-cumul visée à l’article 53 du Règlement, s’agissant de savoir si cet article 53 en limite la portée ou, au contraire, s’il ne concerne que les clauses anti-cumul contenues dans une régime national de pension.

L’ensemble de ces questions sont remises à une audience ultérieure de la cour.

Intérêt de la décision

Même si la cour du travail ne tranche pas le fond du problème qui lui est soumis, elle dégage les règles essentielles applicables en matière de cumul de prestations, l’article 65 de l’arrêté royal organique se trouvant au centre du débat, raison pour laquelle elle demande aux parties de prendre position sur la question de savoir si l’article 65 doit être considéré comme une clause anti-cumul au sens du Règlement n° 883/2004 ou non.

Elle renvoie sur cette question à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 26 mai 2020 (R.G. 2019/AL/645 – précédemment commenté). Il s’agissait en l’espèce d’une pension de retraite polonaise et la Cour du travail de Liège n’a pas vidé sa saisine dans cet arrêt, estimant devoir examiner les textes polonais relatifs à la pension en cause, aux fins de vérifier l’existence d’une règle anti-cumul polonaise eu égard à la perception d’allocations de chômage belges (et non polonaises).

A notre connaissance, la Cour du travail de Liège n’a pas encore statué.

Nous restons ainsi dans l’attente de la position de deux cours du travail sur la question…


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