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Condition du maintien du taux des allocations de chômage en qualité de travailleur avec charge de famille en cas d’obligation alimentaire

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 21 juin 2021, R.G. 19/1.476/A

Mis en ligne le mardi 28 décembre 2021


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 21 juin 2021, R.G. 19/1.476/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 21 juin 2021 le Tribunal du travail du Hainaut rappelle la condition d’effectivité du paiement d’une contribution alimentaire pour permettre la perception d’allocations de chômage au taux de travailleur avec charge de famille.

Les faits

Un père de famille avait été condamné par jugement à payer une contribution alimentaire pour ses deux enfants. Il est ultérieurement tombé au chômage et vu son statut d’artiste, il bénéficie d’allocations par intermittence.

Sa déclaration à l’ONEm quant à sa situation familiale est qu’il vit seul et paye une pension alimentaire sur la base d’une décision de justice. Il a ainsi perçu des allocations de chômage au taux de travailleur avec charge de famille.

En 2019, il lui est demandé par l’ONEm d’apporter la preuve du paiement des pensions alimentaires pour une période de trois ans. Il donne des explications par écrit, parmi lesquelles figure l’impossibilité matérielle dans laquelle il se trouve de payer ces pensions alimentaires.

Une décision administrative est prise, décidant de l’exclure au taux travailleur avec charge de famille pour une période déterminée, avec récupération et exclusion de treize semaines.

Il introduit un recours devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal annule la décision administrative, dans la mesure où elle n’est pas motivée adéquatement.

En effet, dans ses explications, l’intéressé demandait, en sa qualité d’artiste, à bénéficier de l’article 116 § 5 de l’arrêté royal organique. Or, la décision ne fait aucune référence à la dégressivité des allocations de chômage.

Le tribunal examine ensuite le fond, rappelant les principes relatifs à la dégressivité en cas d’exercice d’activités artistiques ainsi que les règles relatives au taux des allocations.

Sur le premier point, il constate qu’il n’est plus question dans le débat judiciaire de demander le bénéfice de l’article 116 § 5 et il rappelle à ce propos que celui-ci prévoit une indemnisation au taux de 60% sur une limite (limite A) pendant douze mois, avantage qui influence le pourcentage sur lequel est calculé le taux des allocations mais non la catégorie familiale de l’indemnisation.

Sur cette seconde question, il reprend la règle, étant que la seule existence d’une obligation alimentaire ou même d’un accord ne suffit pas pour que le bénéficiaire d’allocations se voie octroyer le taux isolé avec charge de famille. L’article 110 § 1, 3°, de l’A.R. exige en effet que la pension alimentaire soit payée de manière effective et qu’elle ait été prévue soit dans le cadre d’une procédure de divorce par une décision judiciaire ou un acte notarié soit s’il s’agit d’un enfant sur base d’un acte notarié prévoyant le paiement à la personne qui exerce l’autorité parentale ou à l’enfant majeur si l’état de besoin subsiste.

Le tribunal reprend un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 octobre 2018 (C. trav. Mons 11 octobre 2018, Chron. Dr. Soc., 2020, page 167), qui a rappelé que l’exigence d’effectivité concrétise l’objectif initial des pouvoirs publics et de l’ONEm en particulier. Il s’agit de permettre au chômeur qui est débiteur alimentaire de s’acquitter de cette obligation en lui assurant un complément d’allocations à cette fin.

L’intéressé expose en l’espèce assez longuement les difficultés qu’il a connues, faisant également état de l’accord de la créancière alimentaire sur la suspension des paiements. Tout en admettant la véracité des explications données, le tribunal ne peut que conclure que la condition règlementaire n’est pas remplie et que la décision de l’ONEm doit être confirmée pour ce qui est de la différence de taux.

Quant à la récupération, elle est également admise en totalité par le tribunal, l’intéressé ne prouvant pas à suffisance de droit être de bonne foi. Le tribunal renvoie ici, sur les principes, à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 février 1998 (Cass., 16 février 1998, S.97.0137.N), qui a jugé, précisément en matière de chômage, que dans l’appréciation de la bonne foi le juge peut tenir compte de l’intention et de la connaissance du chômeur, autrement dit de sa motivation subjective, n’étant pas limité à la norme objective analogue au bon père de famille.

Un autre arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons., 26 février 2003, Chron. Dr. Soc., 2003, page 396), a précisé que la bonne foi est une notion de fait, donnant les divers adjectifs auxquels ce concept a été identifié : honnête, fidèle, loyal, correct, raisonnable, respectable, prudent, équitable. Il s’agit d’une notion ouverte.

En l’espèce, le tribunal reprend le critère de la personne prudente et raisonnable, considérant que l’intéressé ne démontre pas avoir agi de telle manière. La limitation de la récupération aux 150 dernières allocations n’est dès lors pas acceptée.

Enfin, pour ce qui est de la sanction administrative, le tribunal considère que vu la situation particulière de l’intéressé (premier manquement alors que les allocations de chômage sont perçues depuis de nombreuses années) la sanction parait disproportionnée et qu’il y a lieu de la ramener à un avertissement.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, le tribunal a rappelé la finalité de la mesure ainsi que le lien entre les dispositions de l’arrêté royal organique et l’article 203 du Code civil.

On peut renvoyer sur la notion de pension alimentaire au sens de la réglementation chômage à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 12 février 2020, R.G. 2018/AB/356). Pour la cour, il résulte de la lecture combinée de l’article 1287 et 1288, 3°, du Code judiciaire que la convention visant la contribution de chacun des époux à l’entretien, l’éducation et la formation des enfants, constitue l’exécution de l’obligation visée par l’article 203 du Code civil, qui cesse en principe à la majorité des enfants, sauf si la formation n’est pas achevée. Ainsi, les paiements effectués par le bénéficiaire d’allocations de chômage alors que la formation de l’enfant était achevée, ne peuvent plus être considérés comme le paiement d’une pension alimentaire au sens de l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Les allocations, payées au taux famille à charge, ont par conséquent été payées indûment, ce qui justifie le droit de récupération de l’ONEm,… même si le bénéficiaire n’était pas conscient du fait qu’il payait une contribution alimentaire qui n’était plus due.

Il peut également être précisé que l’article 110, § 1er, 3°, de l’A.R. organique n’exclut nullement que le débiteur d’une pension alimentaire ne puisse se libérer anticipativement de son obligation par le versement d’un capital. Dans la rédaction devenue la sienne après modification par l’arrêté royal du 24 novembre 2002, celui-ci trouve, en outre, application aux engagements volontaires souscrits par acte notarié, ce à l’effet de tenir compte de la situation des ménages de fait (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2020, R.G. 2018/AB/1.008)

Enfin, si, pour se voir reconnaître la qualité de ‘chef de ménage’ le chômeur doit s’acquitter personnellement de son obligation alimentaire au moment même où il reçoit des allocations, il est admis qu’un retard isolé, des difficultés financières passagères ou encore des modalités particulières de paiement peuvent être soumises au directeur du bureau de chômage, qui est tenu de les prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation (C. trav. Mons, 14 mars 2019, R.G. 2018/AM/118 - décision précédemment commentée).


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