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Notion de prestations essentielles au sens de Directive n° 2003/109

Commentaire de C.J.U.E., 10 juin 2021, Aff. n° C-94/20 (LAND OBERÖSTERREICH C/ KV), EU:C:2021:477

Mis en ligne le lundi 29 novembre 2021


Cour de Justice de l’Union européenne, 10 juin 2021, Aff. n° C-94/20 (LAND OBERÖSTERREICH C/ KV), EU:C:2021:477

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 juin 2021, la Cour de Justice de l’Union européenne reprend la notion de prestations essentielles au sens de la directive 2003/109 du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée.

Les faits

Un citoyen de nationalité turque vit en Autriche depuis l’année 1997 avec son épouse et leurs trois enfants. Il est titulaire du statut de résident de longue durée au sens de l’article 2, sous b), de la directive 2003/109 du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée.

Il a bénéficié jusqu’à la fin de l’année 2017 de l’aide au logement prévue par la réglementation nationale.

A partir du 1er janvier 2018, cette aide aux ressortissants de pays tiers a été soumise à la condition que le ressortissant de pays tiers apporte la preuve, d’une manière déterminée par cette réglementation, qu’il possède des connaissances de base de la langue allemande, preuve qui ne put être apportée par l’intéressé.

Celui-ci saisit le tribunal de district de Linz aux fins d’obtenir la condamnation du Land de Haute-Autriche à lui verser des dommages et intérêts correspondant au montant de cette aide, soit 281,54 euros par mois, ainsi qu’à la réparation de son préjudice moral à hauteur de 1 000 euros. Il faisait valoir qu’il était désavantagé sans justification vu son origine ethnique et considérait en outre que l’aide au logement constituait une prestation essentielle au sens de l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/109.

Ces demandes ont été accueillies par le tribunal. Appel a été interjeté par le Land devant le tribunal régional de Linz (juridiction de renvoi).

Celle-ci décide de poser à la Cour de Justice trois questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La première porte sur l’interprétation de l’article 11 de la directive 2003/109, étant de savoir s’il fait obstacle à une réglementation nationale qui

  • accorde aux citoyens de l’Union, aux ressortissants d’un État membre de l’EEE et aux membres de leur famille, au sens de la directive 2004/38, le bénéfice de la prestation sociale d’aide au logement sans qu’ils doivent apporter la preuve de leurs connaissances linguistiques, mais qui
  • concernant les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée au sens de la directive 2003/109 exige des connaissances de base de la langue allemande, dont la preuve doit être apportée d’une manière bien déterminée,

si cette aide au logement vise à atténuer la charge résultant des frais de logement lorsqu’elle est déraisonnable, mais qu’une autre prestation sociale (la garantie de ressources minimales pour assurer la couverture de certains besoins) vise également à garantir aux personnes se trouvant dans une situation de détresse sociale un minimum vital (y compris les besoins de logement).

La deuxième vise l’interdiction de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique énoncée à l’article 2 de la directive 2000/43, s’agissant de savoir si elle fait obstacle à une telle réglementation nationale qui a les mêmes exigences que ci-dessus (première question).

La troisième est posée en cas de réponse négative à la deuxième question. Elle concerne l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’origine ethnique énoncée à l’article 21 de Charte et est rédigée dans les mêmes termes que la question précédente.

La réponse de la Cour

La Cour répond aux trois questions.

Sur la première question

Pour la Cour, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle l’aide au logement relève des prestations visées à l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109 et que les autorités compétentes pour la mise en œuvre de cette directive ont clairement exprimé qu’elles entendaient se prévaloir de la dérogation prévue à l’article 11, paragraphe 4, de cette directive, question qu’il appartient à cette juridiction de vérifier.

Partant, la question posée est de déterminer si l’aide au logement doit être qualifiée de prestation essentielle, au sens de l’article 11, paragraphe 4 de la directive 2003/109, disposition dont la Cour rappelle qu’elle permet aux États membres de limiter l’égalité de traitement entre les « résidents de longue durée » au sens de cette directive et les ressortissants nationaux aux prestations essentielles en matière d’aide sociale et de protection sociale,.

En l’absence de définition de la notion de prestation essentielle dans la directive et de renvoi au droit national, le sens et la portée de ladite notion doivent être recherchés en tenant compte du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit et de l’objectif poursuivi par la directive, à savoir l’intégration des ressortissants de pays tiers qui ont résidé légalement et durablement dans les États membres. Les États membres peuvent limiter l’égalité de traitement dont bénéficient les titulaires du statut accordé par la directive, à l’exception des prestations d’aide sociale ou de protection sociale octroyées par les autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, qui contribuent à permettre à l’intéressé de faire face à ses besoins élémentaires tels que la nourriture, le logement et la santé (avec renvoi à l’arrêt du 24 avril 2012, KAMBERAJ, C 571/10, EU:C:2012:233, points 90 et 91).

Il en découle qu’une prestation destinée à permettre à des personnes ne disposant pas de ressources suffisantes de faire face au besoin de se loger, afin de leur assurer des conditions d’existence dignes, constitue une prestation essentielle, au sens de l’article 11, paragraphe 4.
En l’espèce, l’aide au logement contribue à garantir à ces personnes une existence digne en leur permettant de se loger de façon appropriée, sans engager dans le logement une partie trop importante de leurs revenus au détriment, éventuellement, de la satisfaction d’autres besoins élémentaires. Elle semble ainsi constituer une prestation contribuant à lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, destinée à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes. Son octroi aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée est, par conséquent, également nécessaire pour réaliser l’objectif d’intégration poursuivi par la directive 2003/109. Partant, l’aide au logement paraît être de nature à constituer une prestation essentielle, au sens de l’article 11, paragraphe 4, de cette directive. (considérant 42)

La Cour précise qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier ces éléments et de procéder aux constatations nécessaires, en prenant en considération la finalité de l’aide au logement, ainsi que les conditions d’attribution et la place de cette aide dans le système d’aide sociale national, précisant que dans l’hypothèse où l’aide au logement ne serait pas à qualifier de prestation essentielle, au sens de l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/109, celle-ci ne prévoit aucune obligation spécifique pour le cas où, ayant fait usage de la faculté d’appliquer la dérogation prévue à l’article 11, paragraphe 4, de celle-ci, un État membre accorde néanmoins aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée une prestation ne pouvant recevoir cette qualification.

Dès lors, si l’aide au logement ne constitue pas une prestation essentielle, ses conditions d’octroi (preuve de la possession de connaissances de base de la langue allemande devant être apportée d’une manière déterminée) relèvent de la compétence retenue par les États membres, sans être réglementées par la directive ni relever du champ d’application de cette dernière (voir, par analogie sens, arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C 609/17 et C 610/17, EU:C:2019:981, point 52 et jurisprudence citée).

La réponse de la Cour à la première question est ainsi que l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109 s’oppose, même lorsqu’il a été fait usage de la faculté d’appliquer la dérogation prévue à l’article 11, paragraphe 4, de cette directive, à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, l’octroi d’une aide au logement est subordonné à la condition que ceux-ci apportent la preuve, d’une manière déterminée par cette réglementation, qu’ils possèdent des connaissances de base de la langue de cet État membre, si cette aide au logement constitue une prestation essentielle au sens de cette dernière disposition, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

Sur la deuxième question

La Cour rappelle que conformément à l’article 1er et à l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/43, cette dernière s’applique uniquement aux discriminations directes ou indirectes en raison de la race ou de l’origine ethnique et non aux différences de traitement fondées sur la nationalité et s’entend sans préjudice des dispositions et conditions relatives à l’admission et au séjour des ressortissants de pays tiers et des personnes apatrides sur le territoire des États membres et de tout traitement lié à leur statut juridique. La différence de traitement en cause n’entre, par conséquent, pas dans le champ d’application de la directive 2000/43 (avec renvoi à l’arrêt du 24 avril 2012, KAMBERAJ, C 571/10, EU:C:2012:233).

Elle constate cependant que la juridiction de renvoi se demande si, sous certaines conditions, une différence de traitement fondée sur un critère de nationalité ou, comme dans l’affaire de l’espèce, sur le statut de ressortissant de pays tiers résident de longue durée ne peut également constituer une « discrimination indirecte » fondée sur l’origine ethnique, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43, la réglementation nationale opérant une distinction non seulement selon le critère de la qualité de résident de longue durée, mais aussi selon le critère de la possession des connaissances de base de la langue nationale.

Pour la Cour, la notion de « discrimination indirecte », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/43, ne s’applique que si la mesure prétendument discriminatoire a pour effet de désavantager une origine ethnique en particulier (avec renvoi aux arrêts du 16 juillet 2015, CHEZ RAZPREDELENIE BULGARIA, C 83/14, EU:C:2015:480, du 6 avril 2017, JYSKE FINANS, C 668/15, EU:C:2017:278, ainsi que du 15 novembre 2018, MANIERO, C 457/17, EU:C:2018:912, points 47 et 48). Or, la disposition de la loi autrichienne s’applique à tous les ressortissants de pays tiers indistinctement et ne désavantage pas les personnes d’une origine ethnique en particulier.

La réponse de la Cour est dès lors que ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/43 une réglementation d’un État membre qui s’applique à tous les ressortissants de pays tiers indistinctement et en vertu de laquelle, en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, l’octroi d’une aide au logement est subordonné à la condition que ceux-ci apportent la preuve, d’une manière déterminée par cette réglementation, qu’ils possèdent des connaissances de base de la langue de cet État membre.

Sur la troisième question

La Cour rappelle qu’elle est appelée à interpréter, à la lumière de la Charte, le droit de l’Union dans les limites des compétences lui attribuées et qu’elle ne peut apprécier, au regard de la Charte, une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre de l’application du droit de l’Union (avec renvoi aux arrêts du 6 mars 2014, SIRAGUSA, C 206/13, EU:C:2014:126 ainsi que du 10 juillet 2014, JULIÁN HERNÁNDEZ e.a., C 198/13, EU:C:2014:2055).

Cependant, si l’aide au logement constitue une prestation essentielle, au sens de l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/109, la Charte a vocation à s’appliquer. Toutefois, la réglementation nationale, du fait de son application à tous les ressortissants de pays tiers (et dont il ne ressort pas qu’elle désavantage les personnes d’une origine ethnique particulière) ne saurait être considérée comme constituant une discrimination fondée sur les origines ethniques, au sens de l’article 21 de la Charte dont la directive 2000/43 constitue l’expression concrète dans les domaines matériels couverts par celle-ci.

La Cour répond en conséquence que lorsqu’il a été fait usage de la faculté d’appliquer la dérogation prévue à l’article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/109, l’article 21 de la Charte n’a pas vocation à s’appliquer en présence d’une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, l’octroi d’une aide au logement est subordonné à la condition que ceux-ci apportent la preuve, d’une manière déterminée par cette réglementation, qu’ils possèdent des connaissances de base dans la langue de cet État membre, si cette aide au logement ne constitue pas une « prestation essentielle », au sens de cet article 11, paragraphe 4. Si ladite aide au logement constitue une telle prestation essentielle, l’article 21 de la Charte, en ce qu’il interdit toute discrimination fondée sur les origines ethniques, ne s’oppose pas à une telle réglementation.

Intérêt de la décision

La première question posée par le juge national portait sur la notion de prestations essentielles au sens de l’article 11, paragraphe 4 de la directive 2003/109, s’agissant d’une prestation visant à atténuer la charge résultant de frais de logement lorsque celle-ci est déraisonnable et, contrairement aux conditions mises à l’octroi de la garantie de ressources minimales, n’exigeant pas que le demandeur soit dans une situation de détresse sociale.

La Cour a, à plusieurs reprises, renvoyé à son arrêt KAMBERAJ du 24 avril 2012, qui avait conclu que l’article 11, paragraphe 1, sous d), de la directive 2003/109 s’oppose à une réglementation nationale ou régionale qui prévoit, en ce qui concerne l’octroi d’une aide au logement, un traitement différent pour un ressortissant de pays tiers bénéficiaire du statut de résident de longue durée accordé conformément aux dispositions de cette directive par rapport à celui réservé aux nationaux résidant dans la même province ou région lors de la répartition des fonds destinés à ladite aide, pour autant qu’une telle aide relève de l’une des trois catégories visées à cette disposition et que le paragraphe 4 du même article ne trouve pas à s’appliquer (possibilité pour les Etats de limiter l’égalité de traitement aux prestations essentielles).

Elle a dès lors pu conclure sur le plan des principes qu’une prestation destinée à permettre à des personnes ne disposant pas de ressources suffisantes pour faire face au besoin de se loger, afin de leur assurer des conditions d’existence dignes, constitue une prestation essentielle. La vérification doit cependant être faite par le juge national de l’usage fait ou non de la possibilité de dérogation autorisée, d’autres points étant également à vérifier sur les conditions d’octroi et la finalité de la mesure (lutte contre l’exclusion sociale).

Sur la question de la discrimination, la Cour a rappelé à plusieurs reprises son arrêt CHEZ du 16 juillet 2015, la demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 1er et 2, paragraphes 1 et 2, sous a) et b), de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. Rappelons qu’il s’agissait du placement de compteurs électriques dans des quartiers urbains essentiellement peuplés de personnes d’origine rom, sur les piliers faisant partie du réseau de la ligne électrique aérienne à une hauteur de six à sept mètres, la justification avancée étant la prévention des manipulations de compteurs électriques et de branchements illicites. La Cour avait jugé dans son arrêt (notamment) qu’une telle mesure constitue une discrimination directe au sens de cette disposition s’il s’avère que ladite mesure a été instituée et/ou maintenue pour des raisons liées à l’origine ethnique commune à la majeure partie des habitants du quartier concerné (ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer).


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