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Accident du travail : rappel des règles de prescription et secours de la Charte de l’assuré social

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 5 décembre 2023, R.G. 22/3.934/A

Mis en ligne le vendredi 1er mars 2024


Trib. trav. Liège (div. Liège), 5 décembre 2023, R.G. 22/3.934/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 décembre 2023 le tribunal du travail de Liège (division Liège) admet que n’est pas prescrite une action en paiement des indemnités d’accident du travail introduite après le délai de 3 ans figurant à l’article 69 de la loi du 10 avril 1971, les mentions exigées par la Charte de l’assuré social en son article 14 ne figurant pas sur la décision notifiée à la victime.

Les faits

Une gardienne ONE fut victime d’un accident du travail le 15 mars 2019. Elle chuta au sol, ayant glissé sur un jouet et fut blessée au genou gauche. Elle continua à travailler malgré la douleur et reprit le travail le lundi suivant.

À la réception de la déclaration d’accident, l’assureur a demandé à l’intéressée la production d’un certificat médical. L’accident a alors été admis par l’assureur.

Dans cette lettre, figurent diverses mentions, mais aucune relative à la possibilité d’introduire un recours ainsi que les formes et délais à respecter.

Dans le décours de l’accident, l’intéressée a ensuite subi des infiltrations.

Le médecin conseil de l’assureur a procédé à la guérison sans séquelles le 14 novembre 2019. Ce courrier ne contient pas davantage de mentions relatives au recours pouvant être introduit.

Ultérieurement (à une date non précisée), elle est retombée en incapacité de travail.

Son organisme assureur AMI l’a alors informée, le 1er mars 2021, que, l’incapacité résultant d’un accident du travail, les indemnités étaient à charge de l’assureur loi et qu’en cas de réserve ou de refus les indemnités AMI pouvaient être payées à titre provisionnel.

L’intéressée a dès lors demandé à l’assureur de prendre en charge l’incapacité de travail. Celui-ci a répondu, renvoyant à l’avis de son médecin conseil suite à l’examen pratiqué le 14 novembre 2019. Ce courrier ne contient non plus aucune mention quant à la possibilité d’introduire un recours.

En date du 27 juillet 2021, une demande de réouverture de dossier a été introduite par le médecin de l’intéressée eu égard à une récidive de gonalgie gauche et à la nécessité de nouvelles infiltrations.

Ceci a été refusé par l’assureur dans un courrier qui n’est pas davantage motivé quant aux possibilités de recours.

Un rapport circonstancié a été rédigé par le médecin de recours de l’intéressée en date du 28 mars 2022. Ce rapport conclut à une chondropathie fémoro - patellaire post-traumatique du genou gauche ainsi qu’à d’autres lésions voisines. Le rapport fixe les dates de l’incapacité temporaire, ainsi que la date de consolidation (1er décembre 2019) et un taux d’IPP de 5%.

La procédure a alors été introduite.

Objet de la demande

La demanderesse conteste la décision de guérison sans séquelle et sollicite avant dire droit la désignation d’un expert. Elle demande également le bénéfice de l’indemnisation légale.

Position des parties devant le tribunal

Les parties sont opposées sur plusieurs points, étant d’abord de déterminer la nature de l’action introduite et également le point de départ du délai de prescription.

Pour la demanderesse, qui conteste la décision de guérison sans incapacité permanente, la demande est visée à l’article 69 de la loi du 10 avril 1971, étant une action en paiement. Celle-ci ci se prescrit dès lors par trois ans à partir de la notification de la décision de guérison sans séquelles. Pour l’assureur, il s’agit au contraire d’une action en révision fondée sur l’article 72 de la loi.

Quant au point de départ de celle-ci, la demanderesse renvoie à la date du 3 décembre 2019, étant celle de la notification de la décision de guérison sans séquelles. Pour l’assureur, par contre, l’incapacité n’a pas atteint une période de 8 jours et en vertu de l’article 24, § 1er de la loi il n’y avait pas lieu de notifier une quelconque décision de guérison sans séquelles. Il est dès lors sans intérêt que les mentions relatives aux possibilités de recours ne figurent pas sur les courriers qui ont été envoyés à la victime. En conséquence, le point de départ du délai de prescription est celui du jour de l’accident, soit le 15 mars 2019. L’action a été introduite plus de 3 ans après cette date et elle est prescrite.

La demanderesse invoque également la Charte de l’assuré social afin de s’opposer à l’exception de prescription. Elle s’appuie pour ce sur la circonstance qu’aucune des lettres de l’assureur ne mentionnait les voies de recours. À cette argumentation, l’assureur oppose que la Charte ne trouve pas à s’appliquer dans la mesure où il n’était pas tenu légalement de procéder à des notifications vu la brève durée de l’incapacité de travail.

Décision du Tribunal

Pour le tribunal, l’action introduite est une action en contestation de la décision de guérison sans incapacité permanente et elle ne constitue pas une demande de révision. Il rappelle que cette action n’est pas assortie d’un délai préfix, mais d’un délai de prescription.

Sur le point de départ du délai de prescription, il renvoie aux dispositions légales, étant d’abord l’article 69 de la loi du 10 avril 1971. Cette disposition, relative à la prescription en matière d’accident du travail, vise 3 types d’actions, étant (i) celles en paiement des indemnités de manière générale, (ii) celles relatives au paiement des allocations visées aux articles 27bis, dernier alinéa, 27ter et 27quater de la loi, (iii) ainsi que celles en paiement des indemnités en cas de décision de guérison sans séquelles prise en application de l’article 24, alinéa 1er, de la loi.

Si le délai de prescription est identique, le tribunal relève que le point de départ est différent selon le cas. La règle générale relative à l’action en paiement des indemnités d’incapacité de travail est que la prescription commence à courir au début de l’incapacité de travail et non le jour de l’accident. Pour le paiement des indemnités en cas de de guérison sans séquelles, le point de départ est fixé à la notification de cette décision. Le tribunal ajoute encore, pour ce qui est du paiement des autres allocations, que le point de départ est le premier jour qui suit la période de paiement à laquelle celle-ci se rapporte, pour autant que l’action principale en paiement des indemnités elle-même ne soit pas prescrite.

En l’espèce, que le point de départ soit fixé au début de l’incapacité temporaire ou à la date de la notification de la décision de guérison, le tribunal ne peut que constater qu’il y aurait prescription de l’action, le premier acte interruptif (requête introductive d’instance) datant de plus de 3 ans après l’une ou l’autre de ces deux dates.

Il examine dès lors la question de la prescription sous l’angle de la Charte de l’assuré social.

Il rejette ici la thèse de l’assureur, dans la mesure où celui-ci a adressé un courrier (3 décembre 2019) informant l’intéressée qu’il n’indemniserait plus les éventuels jours d’incapacité temporaire de travail et ne prendrait plus en charge aucun frais médicaux, non plus qu’aucune incapacité permanente. Il s’agit pour le tribunal d’une décision au sens de la Charte, étant « un acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d’une institution de sécurité sociale et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs assurés sociaux ».

Répondant au point soulevé par l’assureur selon lequel il n’était pas tenu de notifier une décision guérison sans séquelles, le tribunal répond que ceci ne signifie pas pour autant qu’il était dispensé de notifier une quelconque décision dans les autres cas.

L’article 7 de la Charte dispose en effet que « les institutions de sécurité sociale ainsi que les services chargés du paiement des prestations sociales sont tenus de faire connaître aux personnes intéressées, et au plus tard au moment de l’exécution, toute décision individuelle motivée les concernant. La notification doit en outre mentionner les possibilités de recours existantes ainsi que les formes et délais à respecter à cet effet ».

Si cette décision de guérison sans séquelle n’est pas soumise à un formalisme particulier dans le cadre de l’arrêté royal du 9 octobre 2003 qui exécute l’article 24 alinéa 1er, de la loi du 10 avril 1971, elle doit cependant respecter les exigences de l’article 14 de la Charte, qui contient une liste de mentions devant obligatoirement figurer dans la décision elle-même. La disposition précise que si la décision ne contient pas les mentions prévues, le délai de recours ne commence pas à courir.

Le Tribunal rappelle ici l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 novembre 2021 (n° 163/2021), qui a considéré dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967 (accidents du travail dans le secteur public) que le délai de prescription figurant à son article 20 doit être considéré comme un délai de recours au sens de l’article 14 alinéa 1er , 3° de la Charte de sorte que la décision d’octroyer ou de refuser des prestations sociales en vertu de la loi du 3 juillet 1967 doit faire référence à celui-ci. À défaut, il ne prend pas cours.

Le tribunal applique dès lors cet enseignement et considère que la demande n’est pas prescrite.

Il aborde très rapidement le fond, concluant qu’il y a lieu de désigner un expert.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, le tribunal du travail ne tranche que la question de la prescription, mais celle-ci était de taille dans le litige, l’action ayant manifestement été introduite au-delà du délai de 3 ans, que l’on prenne comme point de départ la date de l’accident, celle du début de l’incapacité ou celle de la notification de la décision de guérison sans séquelles. La loi du 10 avril 1971 ne contient aucune mesure venant dans une telle hypothèse au secours de la victime qui a tardé à introduire son action judiciaire (et n’a pas interrompu la prescription).

Par contre, la Charte de l’assuré social a été très utilement invoquée par la partie demanderesse, eu égard au non-respect de l’obligation figurant à son article 14 de d’informer l’assuré social lorsqu’une décision d’octroi ou de refus des prestations est prise.

La disposition légale liste en effet une série de mentions ayant toutes trait à l’information relative au recours judiciaire pouvant être introduit.

L’on notera que certaines de ces mentions sont d’ordre administratif : références du dossier, références du service qui gère celui-ci et possibilité d’obtenir toute explication sur la décision auprès de celui-ci ou auprès d’un service d’information désigné.

Les autres mentions sont relatives à des éléments de droit judiciaire, portant sur la possibilité elle-même d’intenter un recours devant la juridiction compétente, l’adresse de celle-ci, ainsi que les délais et modalités de celui-ci et le contenu des articles 728 et 1017 du Code judiciaire (règles relatives à la comparution en justice).

La Charte est claire en ce qui concerne la sanction, étant qu’à défaut d’une de ces mentions, le délai de recours ne commence pas à courir. La question se posait de savoir si par délai de recours il fallait comprendre que les délais de prescription étaient également visés. Dans son arrêt du 9 novembre 2021, la Cour constitutionnelle a répondu à la question par l’affirmative.


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