Terralaboris asbl

C.P.A.S. : la Cour de cassation précise la notion de centre secourant

Commentaire de Cass., 15 février 2021, n° S.20.0063.F

Mis en ligne le vendredi 25 juin 2021


Cour de cassation, 15 février 2021, n° S.20.0063.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 février 2021, la Cour de cassation apporte des précisions sur la détermination du centre secourant en cas de séjour dans une maison d’accueil d’une personne radiée des registres de la population, et ce pour l’application de la règle du maintien de la compétence de ce centre lorsque la personne secourue est ensuite admise successivement et sans interruption dans des établissements se trouvant sur le territoire d’autres communes

Faits et antécédents de la cause

Le litige porte sur la détermination du C.P.A.S. compétent pour apporter une aide sociale à une personne indigente admise successivement dans des établissements de soins ou de repos agréés situés sur le territoire de communes différentes. Les parties en litige sont les C.P.A.S. de Bruxelles et d’Ixelles et l’administrateur provisoire de Mme M.P.

Cette dame a été admise au home D. situé sur le territoire de la Ville de Bruxelles le 17 janvier 2005, qui est le premier établissement agréé de ce type dans lequel elle entre. Elle avait été radiée d’office du registre de la population de la commune de Jette le 14 septembre 2004. Quelques jours après son admission au home, elle a été inscrite au registre de la population de la Ville de Bruxelles.

Par une décision du 1er juin 2005, le C.P.A.S. de Bruxelles lui accorde une aide sociale sous la forme d’une participation aux frais résultant de cette admission.

Le 15 juin 2005, elle a été transférée au home S. situé à Berchem-Sainte-Agathe à l’adresse duquel elle fut inscrite quelques jours plus tard. Le C.P.A.S. de Bruxelles a poursuivi son intervention en sa faveur. Enfin, en mars 2016, elle a été transférée à la résidence V. sise à Molenbeek-Saint-Jean, à l’adresse de laquelle elle a été inscrite à partir du 18 mars 2016.

Tous ces établissements sont visés par l’article 2, § 1er, 1°, de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d’aide sociale.

Le pourvoi

Sur les rétroactes

Selon la requête en cassation, jointe au pourvoi sur Juportal, le C.P.A.S. de Bruxelles a, par courrier du 22 juin 2018, informé le C.P.A.S. de Molenbeek qu’il retirait l’aide sociale pour Mme M.P. à partir du 23 juin 2018 au motif que « sur base des informations du registre national, au moment de son admission à la maison de repos S. le 15/06/2005, Madame P. était radiée d’office ». Le transfert de cette dame à la résidence V. impliquait donc que le C.P.A.S. de Molenbeek était devenu le « centre public d’aide sociale secourant » en vertu de l’article 1er de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge accordée par les centres publics d’aide sociale.

L’administrateur de Mme M.P. forme en conséquence, le 25 juin 2018, une demande d’intervention auprès de ce C.P.A.S., qui saisit le S.P.F. Intégration sociale d’une demande de résolution provisoire d’un conflit de compétence entre C.P.A.S.

Après avoir dans un premier temps considéré que la demande était sans objet, le S.P.F. décide que le C.P.A.S. de Molenbeek est compétent pour examiner la demande de secours et le désigne pour statuer à titre provisoire sur celle-ci, sans préjudice d’éventuelles décisions administratives ou judiciaires ultérieures relatives à la compétence.

Par requête du 15 octobre 2018 dirigée contre les deux C.P.A.S., l’administrateur provisoire sollicite du tribunal la condamnation de l’un ou de l’autre à prendre en charge les frais d’hébergement de son administrée.

Par jugement du 27 février 2019, le tribunal condamne le C.P.A.S. de Bruxelles à cette prise en charge, décision confirmée par l’arrêt de la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles du 24 juin 2020 (R.G. 2019/AB/269).

En droit

La seule question est donc celle de l’interprétation des articles 1er, 1° – combiné avec l’article 1er, § 1er, de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour – et 2, § 1er, de la loi du 2 avril 1965.

En vertu de l’article 1er, 1°, en règle, l’identification du C.P.A.S. compétent « se détermine par la présence habituelle de la personne qui a besoin d’assistance sur le territoire de la commune qu’il dessert ».

Mais l’article 2 de la même loi déroge à ce principe.

Aux termes de son § 1er, 1°, le C.P.A.S. de la commune dans laquelle l’intéressé était inscrit à titre de résidence principale au moment de son admission dans un établissement visé par cette disposition est compétent pour assurer l’aide sociale. Le § 3 précise que cette compétence est maintenue lorsqu’une personne est admise successivement et sans interruption par plusieurs de ces établissements.

Il était acquis que Mme M.P. n’était plus inscrite dans un registre de population au moment de son admission au home D. le 17 janvier 2005, que le C.P.A.S. de Bruxelles était compétent, vu la présence de cette dame sur le territoire de la Ville de Bruxelles depuis cette admission et qu’il n’y avait pas eu d’interruption entre les admissions successives.

La thèse défendue par le C.P.A.S. de Bruxelles devant les juridictions de fond et la Cour de cassation était que le § 3 de l’article 2 n’était pas applicable lorsque l’inscription dans les registres de la population n’était justifiée que par une admission dans un établissement situé sur le territoire de la commune où il opère. « En ce cas, le principe du rattachement à la résidence habituelle réelle de la personne concernée reprend son emprise, ce qui conduit à écarter la règle dérogatoire, reposant sur une fiction de la continuité » (req. p. 9).

Selon le C.P.A.S. de Bruxelles, cette interprétation était commandée par le texte de l’article 2, § 1er, qui « opère une séquence temporelle entre l’inscription dans le registre d’une commune où se trouve un établissement de soins ou de repos et l’admission de la personne qui requiert assistance dans cet établissement », ce qui implique que la personne concernée soit déjà inscrite au moment de son admission (req. p. 11).

Il rappelait également le caractère dérogatoire de l’article 2, § 1er.

Enfin, il soutenait que la solution contraire revenait à faire supporter par le C.P.A.S. de la première admission une charge démesurée, tandis que l’interprétation qu’il proposait traitait de manière équitable et égalitaire tous les C.P.A.S. des établissements successifs d’une personne (p. 12).

Cette argumentation n’a convaincu ni le tribunal, ni la cour du travail, ni la Cour de cassation.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour relève que le demandeur ne critique pas la décision que « dès lors que l’assurée sociale n’était pas inscrite aux registres de la population au moment de son admission au home D. à Bruxelles, le C.P.A.S. de cette ville était compétent “sur la base de la règle générale [de] l’article 1er, 1°, de la loi du 2 avril 1965 puisqu’il s’agissait du centre public d’action sociale de la commune dans laquelle [l’intéressée] se trouvait” ».

La cour du travail a dès lors décidé légalement que les deux seules conditions d’application de l’article 2, § 1er, 1°, de la loi étaient réunies et en a tiré tout aussi légalement la conséquence prévue au § 3 en cas d’admission successive sans interruption dans plusieurs établissements, étant la compétence du C.P.A.S. de la commune dans le registre de la population de laquelle l’intéressée – qui n’était plus à ce moment-là inscrite dans un registre de la population – a été inscrite, soit celle de Bruxelles. Pour l’application de la règle de la continuité de compétence en cas d’admission successive sans interruption dans plusieurs établissements situés dans d’autres communes, il est sans incidence que cette inscription résulte de l’admission de la personne secourue dans le premier établissement de soins.

Intérêt de la décision

Il est intéressant de relever que la position du S.P.F. Intégration sociale n’a pas été suivie au niveau judiciaire. Il reste que la décision provisoire du S.P.F. permet à la personne qui a besoin d’aide de l’obtenir rapidement si elle est dans les conditions pour être aidée, l’enjeu du litige en justice ne portant plus que sur le règlement financier entre C.P.A.S.

En matière de revenu d’intégration sociale, la Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 12 mars 2020 (n° 44/2020), s’est prononcée sur la question si l’article 18, § 4, de la loi du 26 mai 2002 réglant la procédure en cas d’incompétence était applicable uniquement quand un C.P.A.S. se déclarait incompétent au moment où il statuait sur la demande d’intervention ou s’il s’appliquait aussi lorsqu’il mettait fin à son intervention pour n’être plus compétent.

La Cour souligne l’importance de cette garantie : « L’obligation de transmission qui incombe au centre qui se considère incompétent vise à accorder rapidement et efficacement le droit à l’intégration sociale. Les conflits de compétence territoriale ne peuvent pas causer un préjudice au bénéficiaire. La même préoccupation vaut a fortiori lorsque le droit à l’intégration sociale a déjà été accordé mais que le centre compétent devient ensuite incompétent. Dans ce cas, la continuité de l’aide octroyée exige davantage encore que la transmission se fasse rapidement et efficacement ».

Elle décide que, dans la première interprétation, la disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

En cas d’interruption entre les séjours, on peut se référer à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 mai 2004 (Pas., p. 891) et à l’arrêt de la cour du travail de Mons du 18 mai 2011 (R.G. 2009/AM/21.718) publié sur www.terralaboris.be avec un commentaire.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be