Terralaboris asbl

Activité déployée est susceptible de produire des revenus

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 18 novembre 2008, R.G. 8.294/2007

Mis en ligne le vendredi 20 février 2009


Cour du travail de Liège (Section Namur), 18 novembre 2008, R.G. n° 8.294/2007

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 18 novembre 2008, la Cour du travail de Liège (Sect. Namur) est saisie du cas d’un mandataire de société, mandat à titre gratuit et qui exerce, en sus, une activité opérationnelle au sein de la société. La Cour écarte les présomptions irréfragables d’assujettissement et rouvre les débats en vue de vérifier que l’activité exercée est susceptible de produire des revenus dont peut bénéficier personnellement le travailleur. La décision contient un important rappel des principes applicables.

Les faits

Mme M. est gérante, depuis juillet 1988, d’une société A. Elle est assujettie au statut social des travailleurs indépendants du fait de l’exercice de ce mandat.

A partir du 8 mai 1995, elle est nommée administrateur-gérant d’une société coopérative B. Ce mandat est exercé gratuitement. Dans le cadre de celui-ci, elle gère la société (exercice du mandat) et déploie également, en sus, une activité (services et nettoyage). La coopérative occupe un salarié qui est le compagnon de Mme M. (qui deviendra ultérieurement son mari).

La société A. est déclarée en faillite le 18 juillet 1995. Mme M. déclare alors à sa caisse sociale une cessation d’activités de travailleur indépendant eu égard à cette faillite. Les cotisations de sécurité sociale sont payées jusqu’au 3e trimestre 1995 inclus.

Lors de l’exercice d’imposition 1997, l’administration fiscale va taxer d’office des revenus pour l’année 2006 (résultant d’un avantage en nature). Suite à un recours fiscal, cette taxation sera réduite en dessous du minimum imposable.

Vu la taxation et l’exercice de l’activité au sein de la coopérative B., l’INASTI considère que l’intéressée n’a pas cessé son activité de travailleur indépendant et qu’elle est dès lors redevable des cotisations à partir du 4e trimestre 1995. Une citation est introduite devant les juridictions du travail le 1er décembre 2000 en vue du paiement desdites cotisations.

La décision du tribunal

Sur les présomptions d’assujettissement pour les mandataires de société, le tribunal en écarte le caractère irréfragable mais estime que l’intéressée n’établit pas ne pas exercer une activité dans un but de lucre. La présomption n’est pas renversée et le tribunal fait droit à la demande de la caisse sociale.

La position des parties en appel

Mme M. interjette appel du jugement, faisant valoir, au titre de renversement des présomptions, l’exercice à titre gratuit de son mandat et contestant exercer une activité susceptible de lui rapporter personnellement des revenus professionnels.

La caisse interjette de son coté un appel incident, en vue de faire valoir le caractère irréfragable des présomptions d’assujettissement.

La position de la Cour

La Cour commence par un important rappel des principes applicables.

En dehors des mécanismes de présomption, l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants suppose l’exercice d’une activité exercée dans un but de lucre (critère sociologique). La Cour insiste sur le fait que, d’une part, il faut avoir une activité et, d’autre part, que cette activité soit exercée dans un tel but.

La réunion de ces conditions suppose, lorsque le travailleur concerné détient des parts dans une société, qu’il exerce une activité en tant que ’’associé actif’’, c’est-à-dire que l’activité qui est déployée par l’associé le soit en vue de faire fructifier le capital et que des bénéfices lui soient octroyés en raison de l’activité déployée.

Pour ce qui est du cas du mandataire de société, la Cour rappelle que l’on ne peut retenir l’existence d’une activité dans son chef du fait du mandat lorsque la société n’exerce plus d’activité. Elle donne quelques précisions du contour de ce critère. Si le mandat est exercé à titre gratuit, cela constitue un indice sérieux que l’activité déployée par le mandataire ne l’est pas dans le but de produire des revenus, de sorte qu’il ne peut s’agir d’une ’’activité professionnelle’’ au sens de la réglementation applicable.

Enfin, la Cour rappelle que les juridictions du travail sont seules compétentes (à l’exclusion de l’administration fiscale) pour déterminer s’il y a ou non activité professionnelle au sens précisé ci-dessus. Elle souligne par ailleurs la primauté du critère sociologique sur le critère fiscal.

En ce qui concerne les présomptions d’assujettissement, la Cour rappelle que, pour ce qui est des mandataires de société, il existe une présomption établie par le Roi sur la base de l’article 3, § 2 de l’arrêté royal n° 38. Elle rappelle qu’avant le 3e trimestre 1992, la réglementation précisait que cette présomption était réfragable, la preuve contraire pouvant être rapportée par la gratuité du mandat, et ce sauf l’administration fiscale avait retenu des revenus professionnels du fait de l’exercice du mandat. A partir du 3e trimestre 1992, la réglementation indique que cette présomption est irréfragable.

Sur cette présomption, la Cour rappelle la jurisprudence et la doctrine qui concluent à l’écartement du caractère irréfragable, sur la base de l’article 159 de la Constitution, et ce d’une part sur la base d’une inconstitutionnalité (raisonnement par analogie de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 3 novembre 2004, n° 176/04) et du fait de l’absence de motivation de l’urgence pour la dispense de la consultation du Conseil d’Etat.

La seconde présomption est contenue dans l’arrêté royal n° 38 lui-même, tel que modifié par l’arrêté royal du 18 novembre 1996. Cet arrêté contient également une présomption irréfragable d’assujettissement des mandataires de société, établie en vue d’assujettir les mandataires exerçant leur activité depuis l’étranger. La Cour du travail rappelle que le caractère irréfragable de cette présomption a été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle (arrêt précité du 3 novembre 2004).

Appliquant ces principes à la cause, la Cour du travail estime que l’assujettissement ne peut être retenu sur la base du mandat exercé, celui-ci l’étant à titre gratuit. Elle rappelle que la taxation opérée, sur la base des avantages en nature, a fait l’objet d’un dégrèvement.

Par contre, la Cour relève que l’intéressée exerce une activité dans la société dépassant celle du mandat d’administrateur-gérant. Il s’impose dès lors de vérifier si l’exercice de cette activité est susceptible de produire des revenus dans le chef de Mme M. Le fait qu’elle soit susceptible de produire des revenus dans le chef du mari (salarié de la société) est indifférent, l’activité devant être exercée par le travailleur indépendant en vue de lui procurer personnellement des revenus.

Sur ce point, la Cour estime que le dossier est indigent. Elle ordonne en conséquence une réouverture des débats aux fins que soit précisée la participation de Mme M. dans le capital de la société. La Cour relève en effet que si elle est détentrice de parts sociales dans ladite société et que les activités exercées (et qui dépassent celle du mandat social) le sont dans le but de générer des revenus dans le chef de la société, et donc indirectement des bénéfices des parts sociales détenues, il y aura activité impliquant un assujettissement.

Intérêt de la décision

Cette décision contient un très important rappel des principes en matière d’assujettissement dans le cas de détenteurs de parts sociales et de mandataires de société. Le cas d’espèce est d’ailleurs particulier puisqu’il concerne une personne qui exerce à la fois un mandat social et une activité dépassant le cadre de ce mandat au sein de la société.


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