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Remboursement de soins de logopédie : quid en cas de diagnostic erroné ayant entraîné des soins remboursés mais ne permettant pas l’intervention du secteur pour des soins adéquats (ultérieurs) ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 24 octobre 2022, R.G. 2021/AL/479

Mis en ligne le mardi 25 juillet 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 24 octobre 2022, R.G. 2021/AL/479

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 octobre 2022, la Cour du travail de Liège, saisie des dispositions spécifiques de la nomenclature en matière de remboursement de soins de dyslexie et de dysphasie, écarte la règle de non-remboursement figurant dans la nomenclature eu égard à l’existence d’un diagnostic de départ erroné.

Les faits

Un enfant né en 2010 connut lors de son entrée dans l’enseignement primaire des difficultés d’apprentissage. Fut diagnostiqué un problème de dyslexie (étant des troubles du langage écrit), pour lesquels des soins de logopédie furent prodigués. Après un bilan intervenu en 2019, il fut constaté que l’enfant ne souffrait pas d’un trouble du langage écrit mais d’un trouble du langage oral (dysphasie). Un suivi en logopédie fut alors entrepris plus spécifiquement pour celui-ci. Les deux sont repris dans la nomenclature (articles 32, § 2, b), 3° pour la dyslexie et 36, § 2, f) pour la dysphasie).

Les conditions de remboursement sont distinctes, étant qu’il y a pour la dyslexie remboursement de maximum de cent-quarante séances de traitement individuel de trente minutes et, pour la dysphasie, remboursement d’un maximum de trois-cent-quatre-vingt-quatre séances sur une période continue de deux ans, avec prolongation possible jusqu’à l’âge de dix-sept ans révolu, à hauteur de nonante-six séances maximum par an.

Une demande a dès lors été introduite par les parents en vue de bénéficier du remboursement pour la logopédie relative à la dysphasie. Cette demande a fait l’objet d’un refus au motif que la nomenclature n’autorise pas le remboursement d’un traitement de dysphasie après prise en charge pour la dyslexie. Des contacts furent pris avec la mutuelle puis avec l’I.N.A.M.I., au cours desquels il apparut que les difficultés liées à cette règle étaient bien connues mais qu’une modification de la nomenclature interviendrait. Trois ans plus tard, tel n’était toujours pas le cas, l’I.N.A.M.I. précisant qu’entre-temps, des accords intervenaient parfois en vue d’annuler les démarches faites pour une dyslexie inexistante afin de permettre de régulariser le remboursement. Ceci fut refusé par la mutuelle en l’espèce.

Les parents introduisirent dès lors un recours devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers). Ils y demandaient que soit trouvée une solution alternative à la décision prise, soit en annulant celle-ci, soit sous d’autres formes proposées.

Le tribunal a fait droit à la demande par jugement du 13 septembre 2021, considérant que la nomenclature dans l’exigence ainsi posée n’est pas justifiée et est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

L’organisme assureur interjette appel de ce jugement et l’I.N.A.M.I. fait une intervention volontaire.

Position des parties devant la cour

La mutuelle rappelle le caractère d’ordre public de la nomenclature et fait valoir que le critère est objectif.

Pour la famille, il y a défaut de motivation formelle de la décision (ainsi qu’absence d’indication de la possibilité d’un recours). Elle fait valoir sur le fond les difficultés et les conséquences disproportionnées de l’erreur intervenue. Elle renvoie également à la Convention internationale des droits de l’enfant et, à titre subsidiaire, propose de poser une question à la Cour constitutionnelle à propos de la base légale qui fonde l’exclusion dans la nomenclature.

Pour l’I.N.A.M.I., l’exclusion a un sens, étant qu’il est scientifiquement peu cohérent de traiter des troubles du langage oral après des problèmes d’acquisition du langage écrit. Il renvoie également au caractère d’ordre public de la nomenclature.

L’avis du ministère public

Le ministère public envisage deux pistes de solution, étant que l’article 36, § 3, alinéa 2, peut être interprété dans le sens où l’intervention de l’assurance est exclue dans les traitements logopédiques de troubles secondaires (dont la dysphasie) qui suivent un traitement de dyslexie. En effet, le trouble préexistait dans le cas d’espèce et, dans l’interprétation suggérée, l’exclusion ne trouve pas à s’appliquer. A titre subsidiaire, il invoque l’article 159 de la Constitution.

La décision de la cour

La cour fait un examen approfondi du cadre juridique, rappelant que la nomenclature est une norme de nature réglementaire et non législative. Elle examine les dispositions relatives à la logopédie, étant l’article 36. Son § 3, alinéa 2, 4e tiret, prévoit que l’intervention de l’assurance est exclue dans les traitements logopédiques de troubles secondaires prévus (précédemment à la même disposition en ses §§ 2, b), 2° et 2, f)) qui suivent un traitement logopédique de dyslexie et/ou dysorthographie et/ou dyscalculie.

Pour la cour, il y a deux manières de lire cette disposition, étant qu’il faut comprendre que ce sont les traitements logopédiques qui suivent un traitement logopédique de dyslexie ou qu’il s’agit de troubles secondaires qui suivent ce traitement. En l’espèce, l’enfant ayant toujours été atteint de dysphasie et non de dyslexie, si l’on retient la deuxième interprétation, l’exclusion ne trouve pas à s’appliquer. La cour considère cependant ne pas pouvoir retenir cette seconde lecture, et ce eu égard au texte néerlandophone, dans lequel le terme « volgt » est employé au singulier et ne peut dès lors se rapporter qu’au traitement logopédique et non aux troubles.

Elle recherche d’autres bases permettant le remboursement, et ce même lorsque la dysphasie est diagnostiquée après la dyslexie.

La première est la force majeure. Les parents ont suivi un long processus, dans lequel ils n’ont eu d’autre choix que de s’appuyer sur les compétences de spécialistes et l’on ne peut leur faire le grief d’avoir fait une première demande sur la base d’un mauvais diagnostic. Si celui-ci est erroné, c’est sans la moindre faute de leur part et en raison d’un cas de force majeure. La cour souligne qu’ils n’ont pas à supporter les conséquences d’une erreur qui constitue un cas de force majeure et qu’en conséquence, l’article 36, § 3, alinéa 2, 4e tiret, ne peut trouver à s’appliquer.

Vient ensuite l’examen d’une discrimination sur la base de la tardiveté du diagnostic. Le siège de celle-ci résidant dans un arrêté royal et non dans une loi, un décret ou une ordonnance, la cour rappelle qu’elle ne peut saisir la Cour constitutionnelle, mais qu’il est par contre nécessaire d’appliquer le raisonnement que celle-ci ferait en se référant à l’article 159 de la Constitution, en vertu duquel les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements que pour autant qu’ils sont conformes aux lois. Il s’agit d’une obligation pour le juge, la cour renvoyant à divers arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 10 octobre 2011, n° S.10.0112.F).

Elle constate que la volonté de la nomenclature de s’assurer de l’efficacité de l’ordre dans lequel les soins sont donnés amène à exclure de la rééducation adéquate un enfant qui a fait l’objet d’un mauvais diagnostic. Il n’y a pas dans cette règle de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens invoqués (refus de prise en charge) et le but visé (promotion d’une prise en charge dans le bon ordre). Pour ce second motif, la même disposition est écartée, mais cette fois sur la base de l’article 159 de la Constitution, au motif qu’elle viole les articles 10 et 11 de celle-ci.

Enfin, la cour examine l’existence d’une discrimination en raison de l’absence de dyslexie, précisant que ce qui interpelle est la sanction qui frappe les assurés sociaux victimes d’une erreur de diagnostic sur lequel ils n’ont aucune prise. En incluant dans son champ d’application des enfants à qui un trouble dyslexique a été imputé à tort et en les traitant de la même manière que les enfants pour lesquels ce traitement se justifiait, la disposition litigieuse (article 36, § 3, alinéa 2, 4e tiret) traite de la même manière des personnes qui se trouvent dans des catégories différentes. Ici également, elle conclut à l’absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés (refus d’intervention) et le but visé (respect d’une séquence thérapeutique scientifiquement justifiée, sans objet en l’espèce). Elle conclut, pour cette troisième raison, à l’écartement de la disposition.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège a, dans l’arrêt commenté, rappelé en premier lieu le caractère d’ordre public des conditions reprises dans la nomenclature pour l’intervention de l’assurance soins de santé. Ceci justifie qu’elles doivent être interprétées strictement, dans le respect de l’intention de ses rédacteurs et celui de « la pyramide des normes ». Par conséquent, les juridictions du travail ne peuvent ni retrancher ni ajouter des conditions d’octroi à celles prévues légalement. Elles ne peuvent statuer en équité ni s’écarter un tant soit peu de la norme, sauf en cas de force majeure ou si la nomenclature, contenue dans un arrêté royal, ne respecte pas une norme supérieure. Ainsi, la portée du principe d’égalité ne peut être méconnue au seul motif de l’équilibre financier, en traitant différemment des catégories comparables de bénéficiaires sans justification raisonnable (voir à cet égard C. trav. Bruxelles, 6 mai 2021, R.G. 2018/AB/37).

Comme le souligne la double conclusion à laquelle la Cour du travail de Liège est arrivée dans le cas d’espèce, si la nomenclature A.M.I. est d’ordre public et qu’elle doit être interprétée de manière stricte, elle ne peut cependant aboutir à instaurer des discriminations.

Dans un arrêt du (C. trav. Liège, div. Namur, 16 mai 2019, R.G. 2018/AN/154 – précédemment commenté), la Cour du travail de Liège (division Namur) avait déjà traité d’une question de logopédie. Il s’agissait en l’espèce de prestations de logopédie pour une enfant adoptée, originaire d’un pays où elle ne parlait pas la langue française. Pour la cour, dans le cas d’un enfant adopté, la scolarité négligée ou défaillante ou l’apprentissage d’une langue autre que la langue maternelle doivent s’apprécier à dater de l’arrivée en Belgique. La scolarité insatisfaisante ou l’apprentissage d’une autre langue ne sont pas imputables aux parents avant cette arrivée.

Comme, par ailleurs, rappelé par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 14 février 2018, R.G. 2016/AB/947 – également précédemment commenté), le caractère d’ordre public de la nomenclature impose de donner à la définition des prestations qui y sont visées une interprétation stricte. Elle ne peut dès lors être interprétée par référence à la convention nationale entre établissements hospitaliers et organismes assureurs, qui, ainsi, donnerait une interprétation ne reposant sur aucun élément et irait même contre le texte.


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