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Trajet de réintégration : exigence de la procédure de concertation

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 9 septembre 2022, R.G. 21/1.450/A

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 9 septembre 2022, R.G. 21/1.450/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 septembre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’en la matière, à défaut pour l’employeur d’avoir correctement géré la phase de la concertation préalable à la mise en route du plan de réintégration, il y a manquement à ses obligations légales et que, en conséquence, le refus du plan de réintégration est irrégulier.

Les faits

Une employée d’une institution hospitalière, au service de celle-ci depuis 1988, connaît des difficultés professionnelles à partir de l’année 2010. Elle est à cette époque affectée à une cellule spécifique de l’établissement (cellule maltraitance), composée de quatre personnes. Il y a mésentente entre celles-ci.

La demanderesse va connaître plusieurs périodes d’incapacité de travail et consulte le S.P.M.T. dans le cadre d’un dossier d’intervention formelle.

Elle est mutée, début 2012, au motif d’absences nombreuses et de mauvaise appréciation des situations qu’elle doit encadrer. Elle vit mal sa nouvelle affectation et demande au S.P.M.T. de rouvrir son dossier en avril. Elle n’introduit cependant pas de demande formelle.

La période suivante est ponctuée de diverses périodes d’incapacité de travail.

En octobre 2013, une reprise du travail est envisagée à raison d’un mi-temps médical et, selon les conclusions du médecin du travail dans le rapport de pré-reprise, en évitant si possible son retour au poste où elle avait été affectée précédemment. Elle sollicite de récupérer un poste en conformité avec ses compétences.

La reprise du travail est cependant envisagée dans le poste qu’elle avait quitté lors de son incapacité de travail, de telle sorte qu’elle prolonge celle-ci.

En février 2015, le médecin du travail se prononce en faveur d’une reprise aux mêmes conditions que précédemment, ce qu’il confirmera encore en 2017 à deux reprises.

L’intéressée a alors près de cinq années d’absence. Elle initie elle-même un trajet de réintégration en mai 2018. Dans le cadre de celui-ci, le conseiller en prévention-médecin du travail conclut à l’aptitude à la reprise du travail convenu, à mi-temps médical, en pédiatrie ou pédopsychiatrie, ou un tout autre endroit équivalent.

L’employeur répond que ce plan de réintégration est techniquement et objectivement impossible. Il motive l’impossibilité par les difficultés de réorientation (réorientation professionnelle hors soins) et précise qu’aucun poste d’éducateur spécialisé (fonction convenue) n’est disponible. Il ajoute que, sur le plan des aménagements raisonnables, d’autres fonctions, notamment administratives, n’ont pu être envisagées.

L’intéressée reçoit le rapport et marque son désaccord. Elle demande ensuite (après près de deux mois) à connaître les suites réservées à sa demande de réintégration et fait intervenir son conseil.

Six mois plus tard, lui est proposé de mettre sur pied un projet consistant en la création d’une aire d’accueil pour les enfants, proposition qui fait l’objet d’un refus.

Après une tentative de médiation infructueuse, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) le 17 mai 2021, sollicitant la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur avec condamnation à un montant de 150.000 euros provisionnels au titre de dommages et intérêts (correspondant à l’indemnité compensatoire de préavis) et de 44.000 euros au titre de dommages et intérêts suite au harcèlement et à la violence au travail dont elle a été victime.

Position des parties devant le tribunal

Pour la demanderesse, trois manquements justifient la résolution judiciaire aux torts de l’employeur, étant qu’il n’a pas tout mis en œuvre en vue de la réintégration, qu’il n’a pas respecté l’article 5 de la loi du 4 août 1996 et qu’il a modifié un élément essentiel du contrat, étant sa fonction.

Pour le centre hospitalier, ces manquements sont contestés. Il rappelle que l’intéressée a la charge de la preuve et que l’obligation de réintégration dans son chef est une obligation de moyen et non de résultat. Il donne des précisions en ce qui concerne les postes occupés dans le département de pédiatrie, ainsi que d’autres fonctions voisines. Il rappelle les refus de l’intéressée de souscrire aux propositions qui avaient été faites et souligne notamment que sa réintégration au sein de l’équipe pédiatrique est problématique, vu des accusations graves qu’elle aurait portées contre certains membres du personnel. Sur la question du harcèlement et de la violence au travail, il estime que rien n’est établi, les faits tels que relatés par la demanderesse étant vivement contestés. Il rejette également qu’il y ait une modification de la fonction.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les règles en matière de résolution judiciaire (article 1184 du Code civil), soulignant que le manquement qui doit être à la base de celle-ci doit être suffisamment important, étant qu’il doit revêtir une certaine gravité. Il ne peut s’agir d’un manquement anodin ou d’un manquement à une obligation secondaire, ou encore d’un manquement peu important.

La preuve de celui-ci ainsi que de sa gravité suffisante incombe au demandeur en résolution judiciaire. Cette preuve porte sur le préjudice que la partie subira du fait de la rupture du contrat. Elle concerne à la fois sur l’existence d’un dommage ainsi que son étendue. Les dommages et intérêts ne sont pas nécessairement l’équivalent de l’indemnité de rupture, même si une partie de la jurisprudence l’admet, tenant compte que cette indemnité constitue un mode d’évaluation satisfaisant du dommage.

Le tribunal rappelle en outre qu’il ne peut y avoir cumul avec des indemnités d’invalidité ou d’autres revenus de remplacement. Ceux-ci viendront dès lors en déduction (rappelant M. DAVAGLE, « La résolution judiciaire du contrat de travail », Ors., 2008, pp. 1-13).

Il passe ensuite en revue les principales règles de la procédure en cas de trajet de réintégration, rappelant l’article I.4-74, § 4, de la loi, qui permet à l’employeur de ne pas établir de plan parce qu’il estime que cela est techniquement ou objectivement impossible, ou encore parce que cela ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés. Il insiste également l’importance de la concertation (et renvoie à la doctrine de S. REMOUCHAMPS, « Quels droits pour le travailleur ayant perdu une partie de sa capacité de travail ? – Réflexions critiques autour du trajet de réintégration », Chron.D.S., 2008, p. 50), sur le caractère obligatoire de cette concertation, s’agissant d’une formalité qui conditionne la validité du reste de la procédure, et ainsi le plan qui serait soumis au travailleur, ou encore la décision de l’employeur de refuser de l’établir. Pour cet auteur, le terme « concertation » suppose que les parties tentent de s’entendre pour rechercher une solution commune à la problématique soulevée à la suite de la constatation de l’inaptitude du travailleur à exercer son travail. La loi exige dès lors une concertation effective et réelle sur les possibilités de reclassement. Il ne s’agit pas de renvoyer à une réunion des intervenants. Sur le plan de la preuve, c’est à l’employeur d’apporter celle-ci, sur les motifs du refus ainsi que sur l’impossibilité ou, si elles sont invoquées, sur les raisons légitimes qui justifieraient celui-ci.

Il renvoie à d’autres développements doctrinaux qui ont rappelé que cette recherche de reclassement du travailleur doit être intervenue in tempore, la loi ne permettant pas des vérifications ex post s’il n’a pas été satisfait aux exigences légales en temps opportun.

En l’espèce, la concertation imposée par la loi n’a pas été menée correctement et ne sont non plus avérées les raisons techniques ou objectives qui ont amené l’employeur à refuser la réintégration. Le tribunal reprend la chronologie des faits (renvoyant à J. de WILDE d’ESTMAEL et A. YERNAUX, « Reprise d’un travail adapté ou d’un autre travail », La gestion des incapacités de travail dans le secteur public, 2021, Kluwer, pp. 207 et 208) sur le caractère essentiel de cette étape de la procédure, qui ne peut être « omise ou bâclée ». Il n’apparaît d’aucun élément qu’une réunion serait intervenue préalablement à la prise de la décision en vue d’arriver à une solution concertée. Ce qui ressort des éléments déposés par l’employeur est l’existence d’un « long entretien » le jour de la remise du rapport à l’intéressée, en présence de la directrice des ressources humaines et du conseiller en prévention. Lors de la convocation pour cette réunion, il était déjà conclu à l’impossibilité du plan de réintégration. La décision était ainsi déjà prise et la travailleuse a été mise devant le fait accompli.

Le tribunal revient ensuite sur les justifications données par l’employeur et considère que celles-ci ne sont pas suffisantes, étant encore critiquée sur ce point l’absence de précisions quant aux autres fonctions qui auraient été proposées et quant aux discussions tenues en 2018 à ce sujet, une seule éventualité étant intervenue en août 2019, unilatéralement et en-dehors de toute discussion (proposition relative au service de garderie). Pour le tribunal, il y a manquement grave et il prononce la résolution judiciaire du contrat aux torts de l’employeur.

Sur les dommages et intérêts, il alloue un montant forfaitaire de 20.000 euros, la résolution judiciaire étant prononcée au jour de l’introduction de la demande.

Enfin, il déboute l’intéressée de sa demande relative à des dommages et intérêts pour harcèlement et violence au travail.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle une nouvelle fois les exigences de la procédure du trajet de réintégration en ce qui concerne la concertation légale. Celle-ci n’est pas une pure formalité et la doctrine (citée) a eu l’occasion d’en confirmer le caractère indispensable et effectif. Ce n’est qu’après que cette étape a été franchie que peuvent être entreprises les démarches ultérieures, étant – comme en l’espèce – par exemple le refus de l’employeur d’établir le plan aux motifs légaux.

Le non-respect des exigences de cette procédure de concertation entraîne l’irrégularité des étapes ultérieures, ainsi les motifs donnés par l’employeur au titre d’impossibilité technique ou objective de réintégrer le travailleur.

Une particularité de cette décision est d’avoir statué dans le cadre d’une demande de résolution judiciaire, étant apparemment la seule possibilité, dans la mesure où le contrat de travail n’avait pas été rompu, ni par le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis (vu la très longue ancienneté de la travailleuse) ni par une rupture pour force majeure médicale. La question du préjudice subi n’ayant pas été semble-t-il suffisamment détaillée, le tribunal a recouru à une évaluation ex aequo et bono, apparemment très en-deçà de l’indemnité compensatoire de préavis.


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