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Prestations aux personnes handicapées et interdiction de cumul

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 octobre 2022, R.G. 2021/AB/724

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Cour du travail de Bruxelles, 3 octobre 2022, R.G. 2021/AB/724

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 octobre 2022, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles en matière de non-cumul de prestations aux personnes handicapées (régime résiduaire) et autres indemnités et allocations auxquelles celles-ci peuvent prétendre par ailleurs, notamment en cas d’accident pour lesquelles une indemnisation est accordée en droit commun.

Les faits

Mme H. a été victime d’un grave accident de la route en 2011. Elle était usager faible. Elle a introduit une demande d’allocations pour personnes handicapées et, dans le même temps, a entamé une procédure devant le tribunal de police contre l’assureur du tiers responsable.

La demande d’allocations a fait l’objet d’une décision de refus en mai 2012 au motif de dossier incomplet. Une nouvelle demande a été introduite en juillet 2012 et a été rejetée au motif de conditions médicales non remplies. Une troisième demande a été faite en avril 2013, entraînant un refus avec la même motivation.

Une quatrième demande, du mois de décembre 2013, a abouti à l’octroi d’une allocation de remplacement de revenus de catégorie C et d’une allocation d’intégration de catégorie 2. Il est fait référence à une décision médicale (non produite) justifiant le droit à l’allocation de remplacement de revenus et constatant une réduction d’autonomie de dix points.

Ultérieurement, dans les années 2015 et 2016, l’intéressée a été hospitalisée en section psychiatrique, cette aggravation de son état étant partiellement en relation causale avec l’accident.

Un nouvel examen est intervenu dans le cadre d’une révision médicale planifiée en 2016. La procédure était à l’époque toujours en cours.

En 2018, Mme H. a sollicité l’octroi d’une carte de stationnement et une décision a été prise en mai 2019 reconnaissant toujours 66% de réduction de capacité de gain et une réduction d’autonomie de dix points.

En février 2018, l’expert judiciaire désigné dans le cadre de la procédure pendante devant le tribunal de police a déposé son rapport, concluant à une incapacité personnelle permanente de 40%, une incapacité ménagère permanente de 35% et une incapacité économique permanente du même montant. Le tribunal de police a dès lors pu fixer les montants à allouer à l’intéressée, ce qui est intervenu par un jugement du 10 septembre 2019.

Suite à ce jugement, l’État belge a pris quatre décisions (étant les décisions contestées dans le cadre de la procédure devant la cour) et a entrepris de récupérer des montants.

Par jugement du 8 septembre 2021, le tribunal du travail a statué et a accueilli partiellement les recours, modulant le droit de l’intéressée à une allocation de remplacement de revenus et à une allocation d’intégration en fonction de périodes distinctes.

L’État belge a interjeté appel à la fois sur une question de ressources et sur la catégorie à retenir pour l’allocation d’intégration. Mme H. a introduit un appel incident, le tribunal ayant limité le montant de l’allocation de remplacement de revenus et n’ayant pas retenu, ainsi qu’elle le demandait, une allocation d’intégration de catégorie 2. Est contestée sur le plan de la décision administrative la révision médicale planifiée.

La décision de la cour

La cour confirme le jugement en ce qu’il a annulé certaines décisions prises par l’État belge (celles-ci n’étant pas intervenues légalement).

Elle en vient alors au calcul et rappelle les principes fixés par la loi du 27 février 1987 sur les allocations aux personnes handicapées et par son arrêté royal d’exécution du 6 juillet 1987. La volonté du législateur est de n’accorder des allocations aux personnes handicapées que si leurs revenus ne dépassent pas le montant de celles-ci, s’agissant d’un régime résiduaire (non contributif).

La cour reprend les travaux parlementaires (Ch., Projet de loi, Exposé des motifs, 448, p. 3), où est prévu de retenir un certain plafond de revenus, toutes les ressources n’étant pas prises en considération.

Vu le caractère supplétif de la législation, la personne handicapée doit faire valoir ses droits aux prestations auxquelles elle peut prétendre en vertu d’une autre législation et qui trouvent leur fondement dans une limitation de la capacité de gain ou une réduction d’autonomie, ou encore dans les règles de la responsabilité civile (articles 1382 et suivants du Code civil). Elle doit également solliciter prioritairement d’autres prestations sociales (maladie-invalidité, chômage, accident du travail, maladie professionnelle, pension, garantie de revenus aux personnes âgées et revenu garanti pour celles-ci). L’ensemble de ces prestations et indemnités vont en effet être prises en compte dans le calcul des allocations.

La cour rappelle encore les règles en matière d’interdiction et de limitation de cumul. Pour ce qui est d’une prestation liquidée sous forme de capitaux ou de valeurs de rachat, il y a prise en compte de celle-ci en déterminant la contrevaleur en prestations périodiques, imposables ou non, à concurrence de la rente viagère fixée sur la base d’une conversion prévue par le texte légal. Elle souligne sur la question que, dans un arrêt du 20 novembre 2017 (Cass., 20 novembre 2017, n° S.17.0006.N), la Cour de cassation a validé le fondement légal du texte.

Par ailleurs, l’État belge ne peut pas tenir compte de capitaux se rapportant à une période antérieure à la date de prise de cours du droit à l’allocation, la cour rappelant qu’en principe, il s’agit du premier jour du mois qui suit la demande. Elle renvoie ici à un arrêt du 5 mai 2003 (Cass, 5 mai 2003, n° S.02.0124.N).

Elle souligne que la règle de non-cumul se retrouve dans d’autres législations (citant la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail en ses articles 46 et 47 et la loi coordonnée du 19 juillet 1994 sur l’assurance maladie-invalidité). Elle renvoie encore, pour la règle de non-cumul, à la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de l’article 136, § 2, de cette loi, où celle-ci a précisé que la règle s’appliquera pour autant que les prestations et indemnités en cause concernent le même dommage ou la même partie du dommage, ainsi l’organisme assureur qui a payé des indemnités pour incapacité de travail pour une période déterminée n’est pas subrogé aux droits du bénéficiaire pour ce qui est des montants dont le responsable est redevable en droit commun pour une période ultérieure, dans la mesure où l’indemnité de droit commun ne couvre pas dans ce cas la même partie du dommage (Cass., 22 septembre 2008, n° C.07.0531.N).

Si ceci concerne l’assurance maladie-invalidité, la législation en matière de prestations aux personnes handicapées a voulu s’inspirer de ce secteur et ici également s’applique le principe selon lequel il faut éviter d’indemniser deux fois un même dommage ou partie de dommage. Par ailleurs, est confirmée dans cette matière la règle selon laquelle le droit de subrogation de l’organisme qui a octroyé des avances est limité et qu’il ne peut s’exercer que sur les prestations concernant un même dommage. Renvoi est fait à un arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 2019 (Cass., 7 octobre 2019, n° S.18.0061.N), dont l’enseignement est que les revenus dont il doit être tenu compte sont uniquement ceux destinés à compenser la limitation de la capacité de gain ou la réduction d’autonomie.

La cour du travail précise encore que, si la personne handicapée a perçu un capital en droit commun représentant le dommage lié au préjudice économique pendant une certaine période, cette indemnisation ne peut servir à diminuer les allocations de remplacement de revenus accordées pour une période antérieure, quand bien même l’indemnisation en droit commun trouverait son fondement dans une telle limitation de la capacité de gain. Ce qui a été voulu par le législateur est l’interdiction de cumul dans les limites rappelées ci-dessus et ne peut être visé que le capital versé se rapportant à la même période que l’allocation de remplacement de revenus.

Elle entreprend dès lors de rechercher en l’espèce si l’Etat belge a tenu compte correctement dans ce calcul de la rente viagère. Dès lors qu’il a fait débuter son droit aux allocations au 1er janvier 2014 (suite à la demande introduite en décembre 2013), il ne peut tenir compte de la partie du capital correspondant à la période antérieure. De même, pour le dommage ménager temporaire, pour lequel la cour soustrait une période de plus de deux ans et demi. Elle refait le calcul, constatant par ailleurs que les chiffres de l’intimée ne sont pas corrects, dans la mesure où, s’agissant de l’article 8bis de la loi (capital ou valeur de rachat), il n’y a pas lieu de retenir la règle de l’année moins 2.

La cour corrige encore d’autres éléments pris en compte par celle-ci dans ses chiffres et fixe le montant des allocations, rejoignant en grande partie la position du tribunal.

Intérêt de la décision

Des règles importantes sont rappelées par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt à propos des règles de non-cumul en la matière.

Dans trois arrêts précédents, elle avait déjà été amenée à préciser sa jurisprudence, qui est dans le droit fil de celle de la Cour de cassation :

  • Par arrêt du 24 juin 2020 (C. trav. Bruxelles, 24 juin 2020, R.G. 2018/AB/814 – précédemment commenté), elle avait jugé que le capital perçu suite à une indemnisation en droit commun et pris en compte sous forme de rente viagère ne doit pas venir en déduction de l’allocation de remplacement de revenus pour la période antérieure à celle fixée par le jugement ayant statué sur ce dommage. Même si les dates retenues dans les deux régimes pour fixer la perte de capacité de gain sont différentes, ceci ne signifie pas que le capital perçu pour la période postérieure devrait être pris en compte sous forme de rente viagère pour la période antérieure. Le droit de subrogation de l’organisme qui a octroyé des avances ne peut s’exercer que sur les prestations octroyées concernant un même dommage.
  • Par arrêt du 7 juin 2021 (C. trav. Bruxelles, 7 juin 2021, R.G. 2020/AB/409 – également précédemment commentée), elle avait rappelé qu’en cas de cumul avec une indemnisation intervenue dans un autre régime, le montant des allocations (allocation de remplacement de revenus ou allocation d’intégration) se calcule en tenant uniquement compte de l’indemnité destinée à compenser la limitation de capacité de gain ou la réduction d’autonomie.
  • Par arrêt du 4 avril 2022 (C. trav. Bruxelles, 4 avril 2022, R.G. 2020/AB/409), elle avait jugé que, dès lors que la victime d’un accident de roulage présentait, avant celui-ci, une réduction d’autonomie lui permettant de bénéficier d’une allocation d’intégration de catégorie III, les montants perçus en droit commun au titre de préjudice ménager et d’aide d’une tierce personne doivent être pris en compte pour le calcul de l’allocation d’intégration devenue allocation de catégorie V (l’intéressée en réunissant les conditions médicales) à partir de la date litigieuse. Ce calcul doit intervenir en convertissant les montants en rente viagère sur la base de l’article 8bis de la loi du 27 décembre 1987, étant entendu qu’en tout état de cause, l’intéressée devait se voir garantir le montant de l’allocation d’intégration de catégorie III dû, sans que l’État belge puisse tenir compte des sommes allouées au titre de préjudice ménager et d’aide d’une tierce personne.

Ces décisions sont des décisions de principe, ainsi d’ailleurs que celles de la Cour de cassation citées dans l’arrêt du 3 octobre 2022.


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