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Accident du travail : procédure en cas de guérison sans séquelles

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 16 juin 2022, R.G. 2021/AL/446

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 16 juin 2022, R.G. 2021/AL/446

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 juin 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les exigences légales relatives à la notification d’une décision de guérison sans séquelles et à ses effets sur l’action en contestation par la victime.

Les faits

Suite à un accident du travail, un ouvrier fut suivi par le médecin-conseil de l’assureur-loi dans le cadre de la prise en charge des séquelles, dont une incapacité temporaire. Des courriers lui furent envoyés en vue d’une convocation à un examen médical, auquel il ne se présenta pas, malgré l’envoi d’un recommandé. L’assureur conclut, en conséquence, à une guérison sans séquelles.

Un mois plus tard, un autre courrier lui fut adressé, exposant que celui-ci constituait le point de départ du délai de révision de trois ans. Des explications furent données sur la possibilité de faire revoir le dossier en cas de modification de son état consécutive à l’accident. Ce courrier ne fut pas envoyé par voie recommandée.

Quatre ans plus tard, soit en septembre 2017, une incapacité de travail fut mise en lien avec l’accident (douleurs aux genoux – chondropathie et dysplasie). Cette incapacité dura six mois. En réponse à la transmission du certificat médical, l’assureur signala faire des réserves quant à son intervention, à savoir l’acceptation d’une rechute. Il fut alors décidé par l’assurance, après examen par son médecin-conseil, de prendre en charge un traitement proposé, les incapacités restant cependant à charge de la mutuelle.

Suite à l’intervention de son organisation syndicale, il fut alors notifié à l’intéressé que le dossier était clôturé depuis le 27 septembre 2013. Le syndicat reprit contact, constatant que, parmi les courriers adressés, ne figurait pas le certificat médical de guérison sans séquelles exigé par l’article 23 de l’arrêté royal du 9 octobre 2003. Était également demandée la preuve de l’envoi de la décision en cause, avec le certificat lui-même.

Si l’assureur put alors adresser la preuve de l’envoi par recommandé d’une convocation chez le médecin-conseil, il ne put que transmettre les courriers ultérieurs envoyés à l’intéressé par lettre ordinaire.

Le suivi thérapeutique ayant amené le médecin consulté par l’intéressé à conclure à une consolidation avec une incapacité économique de 10%, montant donné sous réserve, une requête fut introduite devant le tribunal du travail, contestant la décision de guérison sans séquelles et la non-prise en charge de l’incapacité de travail, l’intéressé considérant que le délai pour contester la guérison sans incapacité permanente était toujours en cours. A titre subsidiaire, il postulait l’octroi d’une allocation d’aggravation (hors délai de révision).

Pour l’entreprise d’assurances, l’action devait être reçue et déclarée fondée uniquement en ce qui concerne l’allocation d’aggravation au sens de l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987. Elle demandait que celle-ci ne puisse prendre cours qu’à partir du 1er mars 2009, étant le premier jour du mois au cours duquel la requête avait été déposée devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail de Liège (division Liège) statua par jugement du 26 octobre 2020, désignant un expert, après avoir reçu l’action. La mission donnée à celui-ci consistait notamment à « comparer » l’état actuel à celui qui avait été reconnu lors de la première période d’incapacité de travail en 2013 et de dire si une modification était intervenue à la suite d’un élément nouveau apparu postérieurement à la date de prise de cours du délai de révision. Il s’agit dès lors d’une action en révision et non d’une demande d’allocation d’aggravation.

Le travailleur interjeta appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant persiste à considérer qu’il peut introduire une contestation de la décision de guérison sans séquelles et demande en conséquence à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a confié à l’expert une mission en révision. Il sollicite que soit prévue la mission habituelle « première demande » (I.T.T., I.P.P. et frais médicaux). Il maintient sa demande d’allocation d’aggravation après le délai de révision à titre subsidiaire.

Quant à l’assureur, il demande, par appel incident, de limiter l’action à l’octroi de l’allocation d’aggravation après le délai de révision, ainsi qu’il l’avait fait en première instance. Il maintient sa position en ce qui concerne la date de prise de cours.

La décision de la cour

La cour reprend d’abord les principes en cas de décision de guérison sans séquelles. L’article 24 de la loi du 10 avril 1971 contient en son alinéa 1er les règles y relatives. Il a été exécuté par un arrêté royal du 9 octobre 2003 pour ce qui est de la notification. Lorsque l’incapacité temporaire de travail est de plus de sept jours, celle-ci se fait par lettre distincte. La date figurant sur la lettre de l’assureur vaut comme date de prise de cours du délai de révision. Lorsque l’incapacité temporaire est de plus de trente jours, le certificat médical de guérison est rédigé selon un modèle prescrit par le médecin de la victime au médecin-conseil de l’assureur. Le délai en paiement des indemnités se prescrit, par ailleurs, en vertu de l’article 69 de la loi, par trois ans à dater de la notification de la décision de guérison.

La cour constate en l’espèce que les conditions posées par l’article 24 de la loi ne sont pas remplies pour qu’il puisse être conclu à la guérison de l’intéressé. Pour ce qui est de la notification de la décision, la cour rappelle que la charge de la preuve de celle-ci ainsi que de sa date incombe à l’entreprise d’assurances. En l’espèce, il y a eu envoi par lettre simple. Si aucune disposition n’’impose l’envoi par voie recommandée, le choix fait par l’assureur rend l’établissement de la date de prise de cours des délais plus difficile. En notifiant par pli simple, l’institution de sécurité sociale doit assumer le risque que les délais de recours ne courent pas. Si l’assuré conteste avoir reçu une notification, c’est à l’institution de sécurité sociale d’apporter la preuve de l’envoi.

En l’espèce, l’assurance dépose des captures d’écran, mais la cour ne les retient pas comme probantes, au motif qu’il s’agit de documents unilatéraux, qui ne peuvent servir de preuve. Par ailleurs, le silence de l’intéressé pendant quatre ans ne peut être interprété comme signifiant qu’il a reçu le courrier en cause, dans la mesure où il avait repris le travail et n’avait pas de raison de donner signe de vie.

Aucun autre élément dans le dossier ne permettant d’établir à suffisance de droit que la décision a été effectivement notifiée, le délai de trois ans de prescription de l’action en paiement des indemnités n’a pas pris cours (avant 2018). La date de dépôt de la requête intervient donc dans le délai de trois ans.

La cour aborde ensuite très brièvement le fond du litige, faisant droit à l’appel, dans la mesure où l’accident du travail a été reconnu et qu’une première période d’incapacité temporaire a été prise en charge.

Elle désigne dès lors un expert (étant un autre que celui qui avait été désigné par le tribunal), avec une mission d’indemnisation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) revient sur le sort spécifique sur le plan procédural de la décision de guérison sans séquelles.

Il faut rappeler, sur le délai dont dispose la victime pour contester cette décision, que, par arrêt du 18 juin 2009 (n° 102/2009), la Cour constitutionnelle a conclu à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l’article 72, alinéa 2, de la loi contenait un délai préfix.

Le point tranché par la cour du travail dans l’arrêt commenté, également lié à cette question du délai, concerne le point de départ, s’agissant du délai de prescription de l’article 69 de la loi.

Dans son arrêt du 16 juin 2022, la cour du travail a fait une « réflexion » (13e feuillet), s’interrogeant sur le point de savoir, au cas où la preuve de la notification de la décision aurait été apportée – quod non –, si l’application de l’article 14 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social aurait en l’espèce empêché que le délai de prescription commence à courir. La cour soulignait les mentions exigées par le texte, s’interrogeant sur le point de savoir si la sanction de la Charte, étant que le délai de recours ne commence pas à courir, serait applicable, s’agissant d’un délai de prescription.

A cet égard, l’on peut rappeler que, par arrêt du 2 septembre 2020 (C. trav. Mons, 2 septembre 2020, R.G. 2019/AM/257 – précédemment commenté), la Cour du travail de Mons a considéré que la notion de délai de recours visée à la Charte de l’assuré social (articles 7 et 14, alinéas 1er, 1° et 3°, et 2) et à la loi du 11 avril 1994 (en son article 2, 4°) peut être interprétée de deux manières, étant que les délais de prescription sont inclus dans ces notions ou qu’ils ne le sont pas. Dès lors, l’interprétation à donner à ces dispositions va avoir des conséquences sur les obligations d’information pesant sur les institutions de sécurité sociale ainsi que sur les autorités administratives fédérales en ce qui concerne la prise de cours du délai de prescription. La cour du travail décide, en conséquence, d’interroger la Cour constitutionnelle sur deux discriminations possibles.

A notre connaissance, la Cour constitutionnelle n’a pas encore tranché.


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