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Etudiant et droit à l’intégration sociale : C.P.A.S. compétent

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 16 mars 2022, R.G. 21/1.244/A et 21/1.296/A

Mis en ligne le vendredi 30 septembre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 16 mars 2022, R.G. 21/1.244/A et 21/1.296/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 mars 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle la règle générale de compétence du C.P.A.S., étant celui de la résidence habituelle et effective, avec l’exception de la situation des étudiants suivant des cours de plein exercice.

Les faits

Une étudiante de nationalité camerounaise est arrivée en Belgique à l’âge de vingt ans aux fins de suivre des études supérieures. Elle est inscrite pendant l’année académique 2020-2021 à la Haute Ecole Condorcet à Marcinelle en gestion des ressources humaines. Pendant cette même année, elle donne naissance à une fille et perçoit une aide sociale équivalente au revenu d’intégration pendant une période de près de deux mois. Elle explique, dans le cadre de l’enquête sociale, qu’elle a abandonné ses études et qu’elle est demandeur d’emploi auprès du FOREm. Elle signale également un déménagement vers Charleroi.

Le C.P.A.S. de Châtelet (lieu du domicile de l’intéressée lorsque les études ont été entamées) écrit au C.P.A.S. de Charleroi, considérant que ce dernier est territorialement compétent. Il motive sa position suite à l’arrêt des études de l’intéressée et à son inscription comme demandeur d’emploi, son logement étant à Charleroi. Concomitamment, le Comité spécial du service social du C.P.A.S. supprime l’aide sociale équivalente au revenu d’intégration, au double motif que les études ont été arrêtées et que, la résidence effective étant à Charleroi, le C.P.A.S. de Châtelet est incompétent.

Le C.P.A.S. de Charleroi octroie alors une aide sociale équivalente au revenu d’intégration, mais introduit auprès du SPF Intégration sociale une demande de règlement de conflit de compétence, le problème posé étant que l’intéressée s’est inscrite comme demandeur d’emploi et a fait sa déclaration de changement de résidence en date du 1er mai et que le C.P.A.S. a envoyé un avis d’incompétence en date du 5 mai, réceptionné le 6. Une enquête sociale du C.P.A.S. de Charleroi indique cependant que l’intéressée déclare poursuivre ses études et qu’elle conserve, ainsi, le statut d’étudiante, celle-ci ayant d’ailleurs été inscrite à la même haute école depuis l’année scolaire 2018-2019. Le C.P.A.S. de Charleroi se déclare, dès lors, également incompétent territorialement, considérant que c’est celui de Châtelet qui doit prendre le dossier en charge, en application de l’article 2, § 6, de la loi du 2 avril 1965.

Le SPF Intégration sociale décide, suite à cette demande, et à titre provisoire, que c’est le C.P.A.S. de Châtelet qui est compétent, et ce sur la base de l’attestation scolaire, précisant que l’inscription comme demandeur d’emploi (non étudiant) peut être un indice mais n’est pas un élément déterminant à lui seul quant à l’arrêt des études. Il précise également qu’à la date de la demande, l’intéressée était inscrite dans les registres des étrangers de la Commune de Châtelet.

Il renvoie à l’article 2, § 6, de la loi, rappelant qu’en vertu de celui-ci, le C.P.A.S. secourant de la personne qui poursuit des études au sens de l’article 11, § 2, a), de la loi du 26 mai 2002 instituant le droit à l’intégration sociale est celui de la commune où l’étudiant est, au moment de la demande, inscrit au titre de résidence principale dans les registres (population ou étrangers) et que ce C.P.A.S. demeure compétent pour toute la durée ininterrompue des études.

Le C.P.A.S. de Châtelet réalise alors une nouvelle enquête sociale et refuse la demande d’aide sociale, au motif que, s’il est territorialement compétent pour traiter de la demande dans l’hypothèse où l’intéressée est étudiante de plein exercice (n’étant pas contesté que la demanderesse est inscrite dans un établissement scolaire), il s’avère qu’elle ne suit plus les cours car elle attend un retour d’un entretien d’embauche. En conséquence, la compétence du C.P.A.S. n’est pas établie. Le C.P.A.S. de Charleroi, considérant par ailleurs que le dossier a été transmis au C.P.A.S. de Châtelet, supprime l’aide financière au taux « famille à charge » avec effet au 1er juin 2021.

L’intéressée travaille alors pendant trois semaines (14 juin – 8 juillet 2021) et introduit une nouvelle demande d’aide sociale auprès du C.P.A.S. de Charleroi, demande qui est transférée par celui-ci au C.P.A.S. de Châtelet, vu la décision du SPF Intégration sociale de la considérer comme étudiante de plein exercice pour l’année académique en cause, la preuve de l’arrêt des études n’étant pas apportée et l’étudiante étant âgée de moins de vingt-cinq ans. Le C.P.A.S. de Charleroi refuse dès lors une aide financière. Il s’agit de la première décision contestée et dont le tribunal a à connaître dans le cadre de la décision du 16 mars 2022.

Parallèlement, l’aide du C.P.A.S. de Charleroi est demandée, celui-ci transmettant la demande au C.P.A.S. de Châtelet, au motif d’incompétence. Cette décision fait également l’objet d’un recours (dont le tribunal est également saisi dans la présente affaire).

Une décision du SPF Intégration sociale intervient alors, en règlement de conflit de compétence. Chaque C.P.A.S. expose sa position, ainsi que la demanderesse. Cette dernière précise qu’elle était inscrite au C.P.A.S. de Châtelet et que, suite à son déménagement, à l’abandon de ses études et à son inscription comme demandeur d’emploi, le C.P.A.S. de Châtelet a transmis le dossier au C.P.A.S. de Charleroi et que ce dernier s’est déclaré incompétent, vu que l’année scolaire se termine en septembre. Elle précise avoir trouvé un travail mais avoir été licenciée et avoir en conséquence réintroduit une demande au C.P.A.S. de Charleroi, qui s’est encore déclaré incompétent.

Le SPF Intégration sociale conclut à la compétence du C.P.A.S. de Charleroi, sur la base des déclarations de l’intéressée, considérant que l’article 2, § 6, de la loi du 2 avril 1965 n’est pas applicable et que, en conséquence, il faut se référer à la règle générale de compétence de l’article 1er, 1°, de la loi, étant la commune de la résidence habituelle du demandeur.

Suite à cette décision, le C.P.A.S. de Charleroi a octroyé le revenu d’intégration sociale à l’intéressée.

Restent en litige deux périodes (du 1er au 5 mai et du 1er au 13 juin 2021).

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle en droit la répartition de la charge entre les C.P.A.S. concernant l’aide sociale : le Centre secourant est le C.P.A.S. de la commune sur le territoire de laquelle se trouve la personne qui a besoin d’assistance, dont le C.P.A.S. a reconnu l’état d’indigence et à qui il fournit des secours, dont il apprécie la nature et, s’il y a lieu, le montant.

Il rappelle que le terme « se trouver » vise la résidence habituelle. Il s’agit de la résidence habituelle et effective, par opposition à la résidence accidentelle, occasionnelle ou intentionnelle (renvoyant à E. CORRA, « La compétence territoriale des C.P.A.S. », Aide sociale – Intégration sociale. Le droit en pratique, Bruxelles, La Charte, 2011, p. 424). L’article 2, § 6, de la loi contient une dérogation en ce qui concerne les études, le C.P.A.S. compétent au départ le demeurant pour toute la durée des études. Il s’agit du Centre de la commune au sein de laquelle l’étudiant était inscrit au moment de la demande, au titre de résidence principale, dans les registres.

Le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 11, § 2, de la loi du 26 mai 2022, cette règle s’applique à toute personne qui entame, reprend ou continue des études de plein exercice dans un établissement d’enseignement agréé, organisé ou subventionné par les Communautés.

En conséquence, après avoir constaté l’arrêt effectif des études depuis le 25 mars 2021, le tribunal conclut à la non-application de l’article 2, § 6, de la loi, l’abandon des études étant antérieur au début de la période à examiner. Il recherche dès lors où se trouvait la résidence habituelle et effective de l’intéressée pendant les périodes litigieuses et, sur la base des éléments de fait, condamne le C.P.A.S. de Châtelet à la prise en charge pour la première période et celui de Charleroi pour la seconde.

Intérêt de la décision

Ce jugement rappelle la règle générale relative à la compétence territoriale du C.P.A.S. ainsi que son exception pour les personnes qui poursuivent des études – ces dernières dépendant, pour toute la durée de celles-ci, du C.P.A.S. qui était compétent lors de la demande initiale, et ce sans considération d’un changement de la résidence habituelle et effective.

La compétence du C.P.A.S. est maintenue tant que l’étudiant n’a pas arrêté ses études, celles-ci n’étant pas interrompues par des périodes de maladie, un échec, un redoublement, ou encore une réorientation. De même, les vacances scolaires, les stages à l’étranger, les formations complémentaires, les jobs de vacances, etc., ne modifient pas la règle (voir à cet égard Trib. trav. Liège, div. Dinant, 7 mars 2017, R.G. 16/935/A et 16/1.106/A – précédemment commenté).

Rappelons encore sur cette question que la Cour constitutionnelle est intervenue dans un arrêt du 12 mars 2020 (C. const., 12 mars 2020, n° 44/2020), jugeant que, dans l’interprétation selon laquelle il prévoit une obligation de transmission et une aide garantie même lorsque le Centre met fin à l’aide qu’il octroie au motif qu’il est devenu incompétent, l’article 18, § 4, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, ceci étant le cas dans l’interprétation contraire.


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