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Assurance indemnités (A.M.I.) : le séjour légal est-il exigé ?

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 1er avril 2022, R.G. 20/3.807/A

Mis en ligne le mardi 13 septembre 2022


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 1er avril 2022, R.G. 20/3.807/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 1er avril 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle qu’en matière de séjour, les conditions pour bénéficier de l’assurance indemnités sont distinctes de celles mises dans le cadre de l’assurance soins de santé. La condition de bénéficier d’un titre de séjour n’est prévue que pour ouvrir le droit à l’assurance indemnités et que pour ceux qui ont perdu la qualité de travailleur assujetti en cours d’incapacité peuvent néanmoins conserver celle de titulaire au sens de la loi.

Les faits

Un citoyen non européen a été autorisé à séjourner de manière temporaire en Belgique début janvier 2012, l’autorisation de séjour étant conditionnée à la production d’un permis de travail B, ainsi qu’à la preuve d’un travail effectif durant l’année écoulée, d’une attestation de non-émargement au C.P.A.S. et de la preuve d’une conduite irréprochable.

Il a été reconnu en incapacité de travail à partir du 1er mars 2013, ayant dû être opéré à la hanche suite à des douleurs développées dans le cadre de son travail.

Le permis de travail B a été renouvelé et l’autorisation de séjour également, celle-ci jusqu’en 2018. Il y eut alors refus de renouvellement par l’Office des étrangers, au motif que le permis de travail avait expiré en 2015 et que d’autres conditions n’étaient pas réunies (absence de preuve de travail effectif, émargement à la mutuelle en-dehors d’hypothèses de maladie professionnelle ou d’accident du travail). Il a dès lors été radié des registres de la population et un ordre de quitter le territoire lui a été délivré.

Suite à un recours introduit auprès du Conseil du contentieux des étrangers, cet O.Q.T. a été annulé, la décision n’ayant pas pris en compte les problèmes de santé de l’intéressé. Sur le plan de l’A.M.I., les indemnités ont été payées jusqu’au 31 juillet 2018 et suspendues depuis.

Un premier recours a été introduit contre cette décision. Des régularisations étant intervenues, la demande est devenue sans objet.

Une seconde suspension intervint alors le 30 juin 2020 (celle-ci, comme la précédente, ne faisant pas l’objet d’une décision notifiée). Un deuxième recours a dès lors été introduit.

Ayant par ailleurs demandé le bénéfice d’une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale, celle-ci lui a été accordée par jugement du 17 mars 2021, jugement qui a constaté qu’à la date de la demande d’aide sociale, l’intéressé se trouvait dans la situation de l’étranger à qui une Annexe 15 (couverture provisoire du séjour) pouvait être délivrée, dans l’attente d’une prise de décision. Il n’était plus sous le coup d’un O.Q.T. et ne pouvait donc être éloigné.

Objet de la demande

Dans le recours introduit contre la deuxième suspension du paiement de ses indemnités A.M.I., l’intéressé plaide qu’un séjour légal n’est pas requis pour bénéficier de celles-ci et qu’il en bénéficie de toute façon, ainsi que reconnu dans le jugement lui ayant octroyé l’aide sociale.

A cette demande, l’U.N.M.S. oppose qu’il a perdu son droit au séjour. Dès lors, le paiement doit être suspendu et c’est suite à une erreur qu’ils ont repris après la première suspension.

Avis de l’Auditeur du travail

Dans son avis, M. l’Auditeur du travail rappelle que le bénéfice de l’assurance A.M.I. est reconnu à certaines conditions, étant (i) que le bénéficiaire doit avoir (ou avoir eu) la qualité de travailleur, (ii) qu’il ait effectué un stage d’attente de cent-quatre-vingt jours durant les douze mois précédant la demande, (iii) qu’il ait conservé la qualité de titulaire et payé les cotisations et (iv) qu’il se trouve sur le territoire belge (des exceptions étant ici prévues).

M. l’Auditeur du travail souligne qu’à l’inverse d’autres régimes de sécurité sociale, la détention d’un titre de séjour ou d’un permis de travail n’est pas exigée dans ce secteur.

Pour ce qui est des indemnités, la situation n’est dès lors pas celle du secteur du remboursement des soins de santé, où un titre de séjour est exigé, étant rappelé l’article 32, alinéa 1er, 15°, de la loi coordonnée. M. l’Auditeur du travail souligne qu’il s’agit là d’une disposition spécifique. Dans la mesure où le droit a été ouvert par le travail de l’intéressé et que ceci impliquait un séjour légal, ce droit peut être maintenu à ce jour. Les autres conditions sont remplies et il conclut au fondement du recours.

La décision du tribunal

Après le rappel de l’article 86, § 1er, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (relatif à la qualité de titulaire), le tribunal retient également que n’y figure pas de mesure comparable à celle prévue pour bénéficier des prestations de santé, l’article 32, alinéa 1er, 15°, de la loi prévoyant une exclusion pour les étrangers qui ne sont pas de plein droit autorisés à séjourner plus de trois mois dans le Royaume ou qui ne sont pas autorisés à s’y établir ou à y séjourner plus de six mois.

Le tribunal reprend également les articles 130 et 136, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée. Il rejoint ensuite les constatations de M. l’Auditeur du travail, qu’il qualifie de « judicieuses », les conditions prévues étant distinctes dans les deux secteurs.

L’obligation d’être un travailleur assujetti (qui exclut dès lors les personnes ne disposant pas d’un titre de séjour) est prévue pour l’ouverture du droit, mais l’article 86, § 1er, 2°, de la loi admet qu’ont la qualité de titulaire les personnes qui ont perdu la qualité de travailleur en cours d’incapacité. Il en découle qu’une personne qui était en ordre de séjour au début de la période d’incapacité était et reste reconnue comme titulaire au sens de l’assurance indemnités.

Les indemnités ne pouvaient dès lors pas être suspendues et le recours est accueilli.

Intérêt de la décision

L’article 86, § 1er, de la loi coordonnée, qui définit les catégories de titulaires, reprend, à côté des travailleurs assujettis à l’assurance obligatoire, ceux qui, au cours d’une période d’incapacité de travail (ou de protection de la maternité) telle qu’elle est définie par loi, perdent cette qualité. Cette disposition concerne ainsi les personnes qui ont perdu cette qualité en cours d’incapacité. Ceux-ci sont dès lors assimilés à des travailleurs au sens de l’article 86, § 1er, 1°, a), et ont, en conséquence, la qualité de titulaire. Ceci sous réserve des conditions de l’article 130 de la même loi. Celui-ci dispose à cet égard que les titulaires peuvent continuer à bénéficier des prestations (de l’assurance indemnités) à la condition que, pour les deuxième et troisième trimestres précédant celui au cours duquel ils y font appel, ils fournissent la preuve d’une part qu’ils ont conservé à un titre quelconque, pendant un nombre de jours ouvrables à déterminer par le Roi, la qualité de titulaire telle qu’elle est définie à l’article 86, § 1er, ci-dessus et que les cotisations pour le secteur des indemnités (et le cas échéant les cotisations d’assurance continuée) ont été payées. Si des exigences sont mises quant aux cotisations elles-mêmes (montant minimum – étant éventuellement complétées par des cotisations personnelles), cette condition n’est pas exigée pour les titulaires visés à l’article 86, § 1er, 2°, étant précisément les travailleurs qui, au cours d’une période d’incapacité de travail (ou de protection de maternité), ont perdu la qualité de titulaire acquise par celle de travailleur assujetti à l’assurance obligatoire indemnités.

Cette situation a été clairement rappelée par le tribunal du travail dans le jugement annoté, qui a par ailleurs souligné, à l’instar de M. l’Auditeur du travail, la différence dans les conditions mises dans ce secteur avec celui des prestations de santé.


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