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Conditions d’octroi de l’allocation d’aggravation en accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2022, R.G. 2012/AB/655

Mis en ligne le lundi 29 août 2022


Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2022, R.G. 2012/AB/655

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles examine l’indemnisation à accorder suite à un accident de la vie privée causé partiellement par un précédent accident du travail, et ce après l’expiration du délai de révision.

Les faits

Un ouvrier avait été victime d’un accident du travail en 2003, s’agissant d’une chute, qui occasionna une contusion et une luxation de l’épaule droite. Cet accident fut réglé via un accord-indemnité entériné par le Fonds des Accidents du Travail (actuellement FEDRIS), avec un taux d’I.P.P. de 6%. Peu avant l’entérinement, il fut victime d’un deuxième accident, lui occasionnant une nouvelle luxation de cette épaule. Il avait, en effet, dû faire un effort important pour décoincer un levier de vitesse alors qu’il conduisait un camion et ressentit une douleur à ce niveau. Onze mois plus tard, l’assureur notifia une décision de guérison sans séquelles à la date de la reprise du travail, qui était intervenue auparavant.

En 2011, il fut victime d’un troisième accident, celui-ci dans la vie privée. Il s’agissait d’un accident sportif, alors qu’il entamait une session de formation à l’ADEPS en taekwondo. Il ressentit au cours de l’échauffement un claquement au niveau de l’épaule droite et subit une nouvelle luxation de celle-ci.

Il introduisit un recours devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles aux fins de faire admettre que ce sont les conséquences des deux accidents du travail qui ont causé l’accident de la vie privée. Le tribunal déclara la demande non fondée, faute de lien causal.

Appel fut interjeté.

Les arrêts de la cour du travail – rétroactes de la procédure devant la cour

L’arrêt du 26 mai 2014

La cour rendit un premier arrêt le 26 mai 2014, désignant un expert et chargeant celui-ci de dire s’il est établi, avec le plus haut degré de vraisemblance que permettent les connaissances médicales, que les lésions diagnostiquées après l’accident de la vie privée ne trouvent pas leur origine, même partielle, dans les deux accidents du travail ou dans l’un d’eux et, si elles trouvaient leur origine dans ceux-ci (ou dans l’un d’eux), d’évaluer les incapacités qui en résultent et de dire si elles sont modifiées par rapport à la situation arrêtée et reconnue par l’assureur suite aux deux accidents du travail.

L’expertise

Le rapport d’expertise fut déposé en juillet 2018 et l’affaire fut examinée par la cour à l’audience du 3 janvier 2022, une ordonnance de mise en état sur pied de l’article 747 C.J. ayant été rendue le 10 juillet 2020.

L’arrêt du 7 février 2022

La cour reprend d’abord les conclusions de l’expert désigné, relevant que celui-ci a conclu qu’il est établi avec le plus haut degré de vraisemblance que permettent les connaissances médicales que les lésions trouvent leur origine partielle dans le premier accident et qu’une incapacité de travail d’un an est justifiée, un taux d’I.P.P. de 25% devant être reconnu, et ce tenant compte des critères habituels (âge de l’intéressé, degré d’intelligence et d’instruction, profession, possibilité d’apprendre un autre métier et capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi).

La cour rappelle ensuite, en droit, que, par essence, un accident de la vie privée ne constitue pas un accident du travail au sens de la loi du 10 avril 1971 et qu’il ne peut par lui-même donner droit à aucune indemnisation dans le cadre de celle-ci. Cependant, lorsqu’il survient postérieurement à un accident du travail, ses conséquences imputables à l’accident du travail doivent être prises en charge par l’assureur-loi. Il est pour ce requis que les conséquences de l’accident de la vie privée aient été totalement ou partiellement provoquées et non simplement facilitées par les lésions produites par l’accident du travail (la cour renvoyant à Cass., 26 mars 1990, n° 7.032 ainsi qu’à C. trav. Bruxelles, 4 février 2019, R.G. 2017/AB/1.062).

Une fois la procédure de consolidation close, la victime d’un accident de la vie privée ne peut plus faire valoir ses droits que par la demande de révision (article 72 de la loi du 10 avril 1971) ou d’aggravation (article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi du 10 avril 1971). Pour les rechutes en incapacité temporaire totale, l’article 25 de la loi contient en outre une règle spécifique d’indemnisation.

En l’espèce, la demande porte sur l’indemnisation des suites dommageables de l’accident, parmi lesquelles une incapacité temporaire pendant plusieurs années. Aux termes de l’article 25, la cour rappelle que celles-ci ne seraient indemnisables qu’en cas d’incapacité permanente de travail initialement reconnue d’au moins 10%. L’aggravation temporaire survenue après le délai de révision trouvera ainsi à être indemnisée si l’incapacité de travail permanente a au moins ce taux au moment où l’aggravation survient (renvoi étant ici fait à Cass., 9 octobre 1995, n° S.95.0053.N).

En l’occurrence, l’incapacité permanente n’était que de 6% au moment où l’aggravation s’est produite. Une incapacité temporaire ne peut dès lors être retenue.

Pour ce qui est de l’incapacité permanente (fixée à 25% par l’expert mais considérée comme totale par la victime), ne pourrait être invoqué comme fondement que l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 ci-dessus, le délai de révision étant expiré. Cette disposition prévoit l’octroi d’une allocation d’aggravation si l’état de la victime résultant de l’accident du travail s’aggrave de manière définitive après l’expiration du délai de révision, pour autant que l’incapacité après cette aggravation soit de 10% au moins.

La cour reprend encore le mode de calcul de cette allocation, l’article 9 de l’arrêté royal précisant les montants. Elle rappelle ainsi que l’allocation d’aggravation n’est pas calculée comme l’incapacité temporaire ou permanente de travail en fonction du taux d’incapacité reconnu et de la rémunération de base. Le calcul est distinct : il s’agit de multiplier le nouveau taux d’incapacité permanente reconnu par un montant indexé déterminé à l’article 5, § 1er, 1°, du même arrêté royal (et d’effectuer certaines déductions).

Il faut dès lors que la victime réponde à plusieurs conditions, étant (i) que l’expiration du délai de révision soit acquise, (ii) que son état résultant de l’accident se soit aggravé, (iii) que cette aggravation soit la conséquence partielle ou totale de l’accident du travail, (iv) que l’aggravation soit devenue définitive postérieurement à l’échéance du délai de révision, et ce peu importe que l’aggravation soit née pendant ce délai, et enfin que (v) le taux d’incapacité permanente constaté après l’aggravation soit de 10% au moins.

Après cette description du mécanisme légal, la cour interroge à l’audience le conseil de la victime, qui précise ne pas postuler l’indemnisation de l’aggravation au travers de l’article 9 de l’arrêté royal. Ceci est acté par la cour dans son arrêt. Aucune autre base légale n’étant cependant produite susceptible de faire droit à la demande de la victime, qui maintient ses prétentions de voir se reconnaître une incapacité permanente totale, la cour fait le constat du défaut de fondement juridique et rejette l’appel.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles rappelle deux points importants de l’indemnisation de l’accident du travail, étant d’abord la question de l’accident survenu dans la vie privée et, ensuite, les conditions de l’indemnisation de l‘aggravation, survenue dans le cours du délai de révision ou après celui-ci.

Sur le premier point, il est de jurisprudence constante que les séquelles d’un accident de la vie privée survenu en lien causal (même partiel) avec un précédent accident du travail doivent être réparées en ce qu’elles impliquent l’aggravation des lésions de l’accident du travail.

Sur le plan de la preuve, celle-ci est à charge du demandeur en réparation. La monocausalité n’est pas exigée, à l’instar de l’ensemble du système de réparation.

L’on peut renvoyer, outre aux décisions citées dans l’arrêt, à un arrêt de la Cour du travail de Gand du 16 janvier 2015 (C. trav. Gand, div. Gand, 16 janvier 2015, R.G. 2014/AG/182 – précédemment commenté), qui a rappelé cette exigence de preuve à charge de la victime, ainsi qu’à un autre de la Cour du travail de Bruxelles du 26 mai 2014 (C. trav. Bruxelles, 26 mai 2014, R.G. 2012/AB/655 – également précédemment commenté), qui a jugé que la réparation est due dès lors que l’accident du travail a provoqué, fût-ce partiellement, l’accident de la vie privée.

Une nuance avait également été apportée par la Cour du travail de Gand dans un arrêt du 16 septembre 2011 (C. trav. Gand, div. Gand, 16 septembre 2011, R.G. 2010/AG/323), étant que, pour que s’applique l’article 25 L.A.T., l’aggravation ne doit pas être causée par les lésions de l’accident du travail mais elle doit trouver son origine dans cet accident.

Sur la seconde question, la cour fait le point sur les conditions de l’allocation d’aggravation, précisant à ce sujet, outre la référence réglementaire et les modalités de calcul qui figurent à l’arrêté royal, les conditions requises, dont celle que l’aggravation définitive doit avoir eu ce caractère postérieurement à l’échéance du délai de révision, et ce peu importe qu’elle soit née pendant ce délai ou après.

Relevons encore la question des « 10% », que l’on retrouve dans la loi à la fois pour l’aggravation de l’incapacité temporaire et celle de l’incapacité permanente : l’aggravation temporaire après l’expiration du délai de révision ne peut être acceptée que si l’incapacité permanente de départ est d’au moins 10%. Par contre, l’incapacité permanente aggravée ne peut être reconnue comme telle que si, après l’aggravation, elle atteint ce taux de 10%.


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