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Indemnités d’incapacité de travail dans le secteur des travailleurs indépendants : quid en cas d’indemnisation d’une maladie professionnelle ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 11 janvier 2022, R.G. 2020/AL/516

Mis en ligne le mardi 31 mai 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 11 janvier 2022, R.G. 2020/AL/516

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 janvier 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) a rappelé la distinction entre les deux régimes (travailleurs salariés et travailleurs indépendants) en matière d’AMI, l’article 29 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 prohibant le cumul d’indemnités d’incapacité et d’une réparation dans le cadre d’une maladie professionnelle, même en l’absence de lien entre les incapacités en cause.

Les faits

Un travailleur, né en 1973, est atteint d’une maladie professionnelle pour laquelle il est indemnisé à raison de 5% d’incapacité permanente.

En 2013, étant à l’époque indépendant, il tombe en incapacité de travail et perçoit des indemnités à charge de son organisme assureur.

Un an et demi plus tard, soit à la mi-2015, il introduit une demande de révision pour aggravation de sa maladie professionnelle. Une procédure est introduite devant les juridictions du travail de Liège et, dans un arrêt du 12 décembre 2018, la cour du travail admet une aggravation des séquelles de la maladie professionnelle, l’incapacité permanente passant à 15%, à majorer de 7% de facteurs socio-économiques, et ce à dater de la mi-décembre 2014.

En mars 2019, son organisme assureur AMI lui écrit qu’étant bénéficiaire d’une rente de 22%, son indemnité est réduite. Dans le même temps, FEDRIS l’informe du montant des indemnités qui lui sont dues, et ce depuis le point de départ de l’aggravation telle qu’admise par la cour du travail. Ce montant est de l’ordre de 31.400 euros bruts, dont à déduire la retenue pour la sécurité sociale ainsi que les indemnités provisionnelles en AMI, le montant net étant ainsi de 0 euro.

La mutuelle adressera encore un courrier de confirmation quant à sa position, précisant à l’intéressé qu’en raison de son statut d’indépendant, ses indemnités de mutuelle doivent être réduites.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), le demandeur contestant la décision de réduire ses indemnités et la thèse de la mutuelle selon laquelle elle peut prétendre au paiement des montants alloués par FEDRIS en exécution de l’arrêt de la cour du travail.

Le jugement du tribunal du travail du 26 octobre 2020 (R.G. 19/1.501/A)

Le tribunal rappelle les dispositions anti-cumul en matière AMI, étant, pour les indépendants, l’article 29 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 et, pour les salariés, l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Il souligne que, pour les travailleurs salariés, le cumul est cependant admis dès lors que les indemnités ne couvrent pas le même dommage ou la même partie de dommage et que, si cette règle n’était pas appliquée pour les travailleurs indépendants, il y aurait source de discrimination. Il conclut que cette règle doit dès lors trouver à s’appliquer dans le cadre de l’article 29 de l’arrêté royal du 27 juillet 1971.

Les documents médicaux nécessaires à l’examen du tribunal faisant défaut, il y a réouverture des débats.

L’appel

La mutuelle interjette appel, soutenant que l’article 29 ne prévoit aucune marge d’appréciation, l’organisme assureur étant tenu de diminuer les indemnités d’incapacité de travail en tenant compte des indemnités perçues pour maladie professionnelle. Les dispositions valables dans le secteur des travailleurs salariés (étant essentiellement l’article 136, § 2, de la loi coordonnée) ne peuvent être appliquées telles quelles, la mutuelle plaidant qu’il n’y a pas de discrimination vu que les travailleurs salariés et les travailleurs indépendants ne constituent pas deux catégories comparables et que, à supposer que celle-ci existe, la Cour constitutionnelle ne pourrait pas être interrogée, puisque celle-ci trouverait sa source dans un arrêté royal. Elle plaide enfin qu’il n’y appartient pas aux cours et tribunaux de combler une lacune législative.

Quant au demandeur originaire, il postule la confirmation du jugement et propose une question préjudicielle à destination de la Cour constitutionnelle.

Sur le plan médical, il plaide qu’il est atteint de pathologies présentant le taux requis pour qu’il puisse être indemnisé en AMI dans le secteur des indépendants, et ce indépendamment de toute pathologie prise en charge par FEDRIS.

La décision de la cour

La cour statue en premier lieu sur la recevabilité de l’appel, se posant la question de savoir si le jugement était appelable, s’agissant d’une réouverture des débats. Elle considère être en présence d’un jugement mixte, de telle sorte que l’appel est admis.

Sur le fond, elle examine les dispositions applicables, soulignant que l’article 29, § 1er, de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 dispose que les prestations sont diminuées (la cour souligne) (2°) des indemnités, allocations ou rentes accordées au titulaire en sa qualité de victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle…

La disposition est libellée différemment de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. Renvoyant au Guide social permanent (Guide social permanent, Tome IV, Partie II, « Sécurité sociale des travailleurs indépendants », Livre II, Titre V, Chapitre II, § 1er), la cour met en évidence la différence d’objectif des deux réglementations. Elle en reprend un extrait, qui a mis en exergue que la réglementation relative aux travailleurs indépendants prévoit la diminution des prestations qu’elle accorde du seul fait de l’existence d’une autre indemnité, allocation, rente ou réparation, peu importe qu’il y ait un lien ou non entre les incapacités en cause, ce qui n’est pas le cas dans la législation applicable aux travailleurs salariés, où, pour qu’une réduction soit appliquée, il faut que le dommage couvert soit effectivement réparé en tout ou en partie en vertu d’une autre législation.

Même lorsqu’il n’y a pas de rapport entre l’incapacité de travail et la maladie professionnelle, il faut procéder à la diminution de l’indemnité d’incapacité AMI, les travaux préparatoires ayant souligné à cet égard que, pour le travailleur salarié, les choses sont différentes, celui-ci ne se voyant appliquer la règle de la différence que si son incapacité résulte de la maladie professionnelle et, si ce n’est pas le cas, il peut cumuler intégralement les indemnités d’incapacité et la réparation au titre de maladie professionnelle.

Pour la cour, l’organisme assureur pouvait dès lors procéder ainsi qu’il l’a fait.

Quant à l’existence d’une discrimination, elle renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 21 août 2007, R.G. 47.301), où celle-ci s’est posé la question de l’existence d’une discrimination entre travailleurs indépendants et travailleurs salariés en matière d’assurance indemnités. Reprenant de larges extraits de cette décision, que la cour fait dès lors siens, elle conclut que salariés et indépendants ne se trouvent pas dans une situation comparable et qu’il n’y a dès lors pas de discrimination.

Intérêt de la décision

Peu de jurisprudence semble exister sur la question du cumul autorisé dans le cadre de l’article 29 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971.

La cour a repris la totalité des cas visés autorisant la diminution des prestations, s’agissant des indemnités d’incapacité primaire ou d’invalidité et de la pension d’invalidité des ouvriers mineurs, des indemnités, allocations ou rentes en matière de risque professionnel, des allocations aux personnes handicapées, de toute somme allouée en vue de réparer l’incapacité de travail résultant d’un dommage corporel (physique ou mental), ainsi que des pensions de vieillesse, de retraite ou d’ancienneté (ces hypothèses étant ici énumérées de manière schématique).

L’accent est mis dans l’arrêt sur la distinction entre les deux régimes, la distinction opérée quant aux conditions de cumul ayant été prévue à la base de l’instauration du régime applicable aux travailleurs indépendants. Celui-ci n’est pas autorisé, même lorsqu’il n’y a pas de rapport entre l’incapacité de travail et la maladie professionnelle. Les travaux préparatoires ont souligné que cette interprétation vaut également pour les accidents du travail et les autres indemnisations ou réparations accordées en cas de dommage corporel.

Un large extrait de l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 août 2007 (C. trav. Bruxelles, 21 août 2007, R.G. 47.301 – précédemment commenté) est repris dans l’arrêt commenté, celle-ci ayant pour sa part souligné que le régime de l’assurance indemnités des travailleurs indépendants diffère sensiblement de celui des salariés, sans que l’on puisse y voir une discrimination défavorable aux premiers. Elle a précisé que toute la sécurité sociale des travailleurs indépendants diffère de celle des travailleurs salariés, distinction qui repose à la fois sur des données historiques et sur le mode de financement de ces régimes.


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