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Taux majoré d’allocations familiales : la question de la cohabitation avec un étranger en séjour illégal

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 novembre 2021, R.G. 2018/AL/341

Mis en ligne le vendredi 13 mai 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 novembre 2021, R.G. 2018/AL/341

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 novembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en son arrêt du 4 février 2021, qui a neutralisé la question de la légalité du séjour et retenu le critère de l’avantage économico-financier.

Les faits

Une mère perçoit, pour son enfant qui a perdu son père en 2010, l’allocation familiale majorée pour orphelin. La Banque-carrefour informe la caisse de ce qu’elle vit sous le même toit qu’un tiers depuis décembre 201. L’allocation est ainsi ramenée au taux ordinaire à partir du 1er janvier 2016. La mère conteste la décision, faisant valoir qu’elle a introduit une demande de cohabitation légale avec un tiers mais que celui-ci est en séjour illégal et sans ressources. Il ne peut dès lors être considéré qu’il y a cohabitation au sens de la législation en la matière.

Le tribunal du travail de Liège (division Verviers) a rendu un jugement le 23 avril 2018, par lequel il a accueilli le recours, condamnant la caisse à payer la différence entre le taux orphelin et le taux ordinaire. Il a renvoyé à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 novembre 2011 dans sa motivation.

Appel a été interjeté par la caisse. L’affaire a été renvoyée au rôle, dans l’attente d’un autre arrêt de la Cour constitutionnelle sur une problématique similaire. Celui-ci a été rendu le 4 février 2021 (n° 17/2021).

Entre-temps, sur le plan des faits, la cour a pris connaissance d’événements nouveaux intervenus, étant que le projet de cohabitation légale avait avorté et que l’enfant avait quitté le domicile de sa mère depuis octobre 2017, le compagnon ayant quant à lui été radié d’office de l’adresse dès décembre 2016.

Position des parties devant la cour

La mère plaide la situation de séjour irrégulière de son compagnon à l’époque et son absence de ressources. Elle sollicite la confirmation du jugement.

Pour la caisse, il y a mise en ménage et la présomption de l’article 56bis, § 2, alinéa 2, de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales n’est pas renversée.

Position du Ministère public

Sur la cohabitation, M. l’Avocat général souligne l’importance d’un critère, qui est l’avantage économico-financier. Or, celui-ci n’est pas démontré en l’espèce, le tiers n’ayant pas eu de revenus officiels pendant la période litigieuse.

Il sollicite la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour reprend la réglementation en ce qui concerne l’octroi d’une allocation d’orphelin, le régime de celle-ci étant repris à l’article 56bis de la loi générale. Elle souligne que la question litigieuse est de savoir s’il y a un ménage de fait formé par le parent survivant. L’article 56bis, § 2, dispose en effet que la cohabitation avec une personne autre qu’un parent ou allié jusqu’au troisième degré inclus fait présumer l’existence d’un tel ménage de fait. Le ménage de fait est une sous-catégorie de la cohabitation. La disposition légale prévoit que cette présomption peut être renversée.

La cour circonscrit la période à examiner, étant l’année 2016, soit depuis l’arrivée du tiers dans le ménage jusqu’à sa radiation du domicile.

Un important rappel est fait en jurisprudence quant au caractère transversal de la notion de cohabitation, notamment par le renvoi aux diverses décisions des hautes cours, la cour du travail soulignant que celles-ci ont toutes deux mis l’accent sur l’avantage économico-financier. Elle reprend particulièrement l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 février 2021, celle-ci ayant été interrogée sur la notion de cohabitation dans l’hypothèse où le cohabitant est en séjour illégal, en comparant celle-ci avec celle du cohabitant en séjour légal mais sans ressources. Dans son arrêt, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de violation des articles 10 et 11 de la Constitution si l’on interprétait la notion de « ménage de fait » de la même manière selon que le partenaire de l’allocataire social est en séjour illégal ou non.

La cour du travail reprend le raisonnement de la Cour constitutionnelle. L’avantage économico-financier consiste en ce que, grâce au fait qu’il vit sous le même toit que son partenaire de vie, l’allocataire social supporte moins de charges financières, partage certains frais ou bénéficie de certains avantages matériels engendrant, de manière concrète et non hypothétique, une économie de dépenses. Dès lors, pour apprécier l’existence ou non d’un ménage de fait (s’agissant, dans la question posée, de l’article 41 de la loi générale relative aux allocations familiales), le critère n’est pas la régularité ou non de la situation de séjour du partenaire mais l’existence de cet avantage économico-financier pour l’allocataire social. Ceci vaut que le séjour soit légal ou non, cette situation n’étant pas déterminante pour conclure à l’existence ou non d’un avantage économico-financier pour l’allocataire social.

Si la situation générale des personnes en séjour illégal va de pair avec une précarité financière, la cour retient qu’il ne peut être exclu que l’allocataire social vivant sous le même toit qu’un étranger en situation de séjour illégal jouisse d’un avantage économico-financier si ce dernier dispose de ressources ou si l’allocataire social bénéficie de la sorte de certains avantages matériels engendrant une économie de dépenses.

Pour la cour du travail, la Cour constitutionnelle a ici neutralisé le critère de la légalité de séjour en mettant l’accent sur la réalité de l’avantage économico-social. Il en découle que les allocations pour orphelin pourraient bénéficier à un enfant dont le parent survivant cohabite avec un tiers qui n’apporterait aucun avantage économico-financier (10e feuillet).

Se pose cependant la question de la preuve. La cour rappelle que, de façon générale, c’est sur l’assuré social que repose la charge (et le risque) de la preuve de la réunion des conditions d’octroi de la prestation sociale et que ceci vaut également pour l’octroi d’un taux préférentiel ou d’un supplément, renvoyant à la matière du chômage (où la cour cite l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2005, n° S.04.0156.F, ainsi que celui du 14 septembre 1998, n° S.97.0161.F).

Il appartient dès lors à la mère de démontrer que tel était le cas, à savoir qu’il n’y avait pas cohabitation avec un tiers. L’article 56bis, § 2, vise en effet la cohabitation elle-même.

La question en espèce est ainsi de savoir si la mère bénéficiait d’un avantage économico-financier du fait de la présence de ce tiers dans son domicile, parce que celui-ci disposait de ressources ou parce qu’elle a bénéficié de certains avantages matériels, entraînant pour elle une économie de dépenses. La cour se dit prête à examiner, le cas échéant, si la présence de ce tiers n’a pas par ailleurs augmenté les dépenses du ménage.

La cour constate ici que, alors que la preuve de l’absence d’avantage lui incombe, l’intéressée a négligé l’instruction de son dossier, n’apportant pas d’éléments concrets, se bornant à répéter que le tiers était en séjour irrégulier, qu’il n’avait pas de ressources et qu’il ne serait dès lors pas en mesure de mettre des ressources en commun.

L’intéressée échouant à apporter la preuve qui lui incombe, la cour conclut à l’absence de renversement de la présomption légale.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 février 2021 concernait le supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale. La question avait été posée par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 14 janvier 2019 et concernait l’article 56bis, § 2, de la loi générale en ce que ce dernier contient la définition de la notion de « ménage de fait » à laquelle renvoie l’article 41. La Cour a jugé qu’interpréter comme traitant de manière identique l’allocataire social qui vit sous le même toit qu’une personne en situation de séjour légal et l’allocataire social vivant sous le même toit qu’un étranger en séjour illégal ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

La Cour du travail de Liège a poursuivi le raisonnement, précisant que, « à la différence de la jurisprudence antérieure de la Cour constitutionnelle », cet arrêt neutralisait le critère de la légalité du séjour, mettant l’accent sur l’avantage économico-social.

Pour qu’il y ait cohabitation, il faut que soit apportée la preuve d’un avantage économico-financier. La cour sous-divise encore celui-ci, qui peut prendre la forme d’avantage matériel issu des ressources dont bénéficie le tiers ou d’une économie de dépenses. A défaut, la notion de même ménage n’est pas rencontrée et l’allocation familiale majorée est due.

La cour du travail a insisté dans cet arrêt sur l’importance pour l’allocataire d’apporter la preuve correspondante, puisque la loi contient une présomption réfragable à cet égard. A défaut, comme en l’espèce, la présomption n’est pas renversée et la cohabitation ou le ménage présumés.


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