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Force majeure : conditions d’intervention du Fonds de Fermeture

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mouscron), 14 septembre 2021, R.G. 20/364/A

Mis en ligne le mardi 29 mars 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Mouscron), 14 septembre 2021, R.G. 20/364/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 14 septembre 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mouscron) examine la notion de force majeure au sens de la législation en matière de fermeture d’entreprise.

Les faits

Une employée a été occupée pendant une période de trois ans et demi par une société qui est déclarée en faillite. Ceci aboutit à la rupture du contrat pour force majeure, la faillite ayant été prononcée par jugement et un curateur désigné.

S’agissant d’une rupture pour force majeure, l’organisation syndicale à laquelle l’intéressée est affiliée se tourna quelques mois plus tard vers le Fonds de Fermeture aux fins d’obtenir des informations quant à la procédure à suivre. La réponse du Fonds fut que, dans une telle hypothèse, le Fonds est chargé de payer toutes les indemnités contractuelles, en ce compris l’indemnité de rupture, le Comité de gestion devant cependant reconnaître la force majeure. Il était suggéré qu’une demande de reconnaissance soit ainsi introduite, et ce par le représentant de l’organisation syndicale qui siégeait à ce Comité de gestion. Dès lors que la force majeure serait reconnue, il était signalé que la travailleuse pouvait introduire le document F1 pour l’indemnité de rupture, un premier document pour les autres postes pouvant d’ores et déjà être rentré. Ceci fut fait pour les arriérés de salaire et le pécule de vacances.

En ce qui concerne la rupture, le Comité de gestion fit cependant savoir que les conditions de reconnaissance de la force majeure n’étaient pas remplies, le Comité revenant sur la genèse des faits. Avant que la faillite ne soit prononcée, un incendie avait en effet ravagé l’entreprise, incendie allumé par le gérant de l’entreprise, qui se donna ensuite la mort. Il y a, ainsi, pour le Fonds, un incendie volontaire, qui ne répond pas à la définition d’un cas de force majeure au sens de la réglementation.

L’affaire connut des développements sur le plan pénal, l’action publique ayant cependant été déclarée éteinte par la mort de l’intéressé.

Devant le tribunal du travail, le débat se poursuit cependant quant à l’indemnité compensatoire de préavis.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse demande l’annulation de la décision du Comité de gestion, soutenant notamment que celui-ci ne bénéficie pas d’un pouvoir discrétionnaire, à tout le moins sur la question de la force majeure, et demande la condamnation du Fonds à intervenir à concurrence du montant réclamé, à majorer des intérêts légaux et judiciaires ainsi que des frais et dépens.

Elle fait valoir notamment que l’incendie constitue un cas de force majeure, peu importe qui en est responsable, et que le tribunal exerce un contrôle de pleine juridiction sur les décisions de sécurité sociale telles que celles du Fonds de Fermeture. Celui-ci ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire et – à supposer que tel soit le cas – il y a lieu de tenir compte des critères fixés par le Roi dans l’arrêté royal du 23 mars 2007, lesquels s’imposent et ne souffrent d’aucune interprétation. A titre subsidiaire, d’autres développements sont faits, étant notamment qu’à supposer l’existence d’un pouvoir discrétionnaire dans le chef du Fonds de Fermeture, le tribunal peut opérer un contrôle de légalité de la décision.

Quant au Fonds de Fermeture, il fait valoir qu’il n’a pas été saisi régulièrement d’une demande formelle de paiement (formulaire F1), qu’il n’est pas une institution de sécurité sociale et qu’il a une compétence discrétionnaire pour retenir ou non l’existence d’un cas de force majeure. Dans une telle hypothèse, le juge doit se limiter à un contrôle de la légalité et à la marge. Il revient également sur le rôle de l’employeur, qu’il considère comme auteur de l’incendie lui-même. Enfin, il plaide que, si une méconnaissance de la législation (article 47 de la loi du 26 juin 2002 et article 34, 1°, de l’arrêté royal du 23 mars 2007) devait être retenue, le juge ne peut qu’annuler la décision et n’a pas de pouvoir de substitution.

La décision du tribunal

Le tribunal procède en premier lieu au rappel des dispositions pertinentes de la loi du 26 juin 2002, étant ses articles 2, 35, § 1er, 48 et 65. Il fait de même pour l’arrêté royal du 23 mars 2007 (articles 42 à 45).

Sur le premier point, il considère ne pas pouvoir suivre le Fonds de Fermeture à propos de l’introduction de la demande via le formulaire F1, dans la mesure où le comité de gestion avait déjà refusé de reconnaître la force majeure, condition sine qua non pour que le Fonds procède au paiement.

Concernant le pouvoir de contrôle du juge sur la décision du Comité de gestion, il rappelle que la compétence de pleine juridiction attribuée au tribunal du travail sur les droits subjectifs des travailleurs en cas de fermeture d’entreprise découle de l’article 580, 2°, du Code judiciaire, qui prévoit que les tribunaux du travail sont compétents pour connaître des contestations relatives aux droits des travailleurs salariés et apprentis et de leurs ayants droit résultant des lois et règlements concernant la fermeture d’entreprise.

Le Fonds faisant valoir qu’il dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la reconnaissance de la force majeure et renvoyant à cet égard à l’avis du Conseil d’Etat (avis n° 30.285/1, Doc. parl. ch., S.O. 2001-2002, n° 50/1687/001), le tribunal rappelle qu’une compétence est liée lorsqu’une règle détermine le contenu ou l’objet de la décision que l’administration est tenue de prendre lorsque certaines conditions sont remplies.

Renvoyant en outre à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 18 mars 2015 (C. trav. Mons, 18 mars 2015, R.G. 2014/AM/141), le juge rappelle qu’il est fait état d’un pouvoir discrétionnaire lorsque le législateur confère à l’administration une certaine liberté dans l’exercice des compétences attribuées et lui permet de choisir la solution qui s’avère être la plus adéquate dans les limites légales.

Comme l’a repris, d’ailleurs, la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 3 février 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 3 février 2021, R.G. 2019/AL/362), la différence entre les deux types de compétence n’est pas l’existence dans le chef de l’administration d’une marge d’interprétation des conditions d’octroi du droit dont l’assuré social demande le bénéfice mais bien d’une marge d’appréciation en opportunité de cet octroi.

Pour ce qui est de l’article 48 de la loi du 26 juin 2002, le tribunal considère que le pouvoir du comité de gestion relève d’une compétence liée, le critère du cas de force majeure dont les conditions de reconnaissance sont limitativement énumérées par l’arrêté royal du 23 mars 2007 ayant pour finalité de reconnaître un droit subjectif à une prestation, à savoir le paiement d’une indemnité de rupture. Le juge doit donc vérifier si l’administration a bien appliqué la réglementation.

Le tribunal vérifie dès lors les éléments de fait, constatant rapidement que l’employeur n’est pas le gérant personne physique mais une société anonyme, ce qui est d’ailleurs confirmé par l’ensemble des documents sociaux. La qualité d’employeur de cette société n’a pas non plus été contestée par le Fonds de Fermeture, puisqu’il a payé les arriérés réclamés dans le cadre du premier document F1. Il n’y a par ailleurs pas de confusion d’identité entre la société et la personne physique.

Le tribunal rejette dès lors qu’il n’y ait pas force majeure et reconnaît le droit de l’intéressée au paiement de l’indemnité. L’affaire fait l’objet d’une réouverture des débats en ce qui concerne les montants.

Intérêt de la décision

La nature de la compétence de l’administration détermine l’étendue du contrôle judiciaire, comme l’a rappelé le tribunal dans cette affaire. La distinction a été judicieusement faite des pouvoirs du juge en cas de compétence liée ou en cas de compétence discrétionnaire. Le renvoi fait par le jugement à deux décisions concerne explicitement cette question. Même dans d’autres matières, le principe général vaut, toutefois, de la même manière.

L’arrêt de la Cour du travail de Mons du 18 mars 2015 (C. trav. Mons, 18 mars 2015, R.G. 2014/AM/141 – précédemment commenté) porte sur la compétence discrétionnaire du Comité de gestion de l’O.N.S.S. en ce qui concerne le fondement d’une demande introduite par l’employeur devant les juridictions du travail en vue de réduire la majoration de l’indemnité forfaitaire visée à l’article 38, § 3quater, 10°, alinéa 4, de la loi du 29 juin 1981 en cas de non-paiement dans les délais de la cotisation de solidarité.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 3 février 2021 (C. trav. Liège, div. Liège, 3 février 2021, R.G. 2019/AL/362 – également précédemment commenté) concerne une question de chômage, étant les conditions de la dispense en vue de suivre une formation, s’agissant ici de la compétence de l’ONEm sur la question.

La notion est dès lors transversale et la solution retenue par le tribunal du travail en la présente espèce ne peut qu’être approuvée.

Relevons encore, sur la notion de force majeure elle-même, que celle-ci a fait l’objet d’une définition, à tout le moins de conditions à remplir, et ce à l’article 34 de l’arrêté royal du 23 mars 2007. Le Comité de gestion peut, en vertu de cette disposition, reconnaître le cas de force majeure lorsque (i) l’entreprise est confrontée à un événement soudain imprévisible, irrésistible, totalement indépendant de la volonté de l’employeur et entraînant une impossibilité définitive d’exécuter le contrat de travail, (ii) l’événement de force majeure entraîne la fermeture de l’entreprise au sens de l’article 3 de la loi du 26 juin 2002 et (iii) l’activité principale de l’entreprise ou de la division de celle-ci ne peut être exercée à nouveau dans la même région socio-économique dans l’année qui suit la cessation de cette activité.

Cette notion est dès lors spécifique à la matière, seule la première condition étant celle de droit commun.


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