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Assurance groupe – personnel contractuel d’un organisme d’utilité publique (type B)

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 25 juin 2021, R.G. 20/1.022/A

Mis en ligne le jeudi 6 janvier 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 25 juin 2021, R.G. 20/1.022/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 25 juin 2021, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) écarte sur pied de l’article 159 de la Constitution une décision du conseil d’administration d’un organisme d’intérêt public ayant prévu l’octroi d’une assurance groupe au personnel contractuel, pour non-respect de l’obligation de présence d’un commissaire du Gouvernement lors de la prise de la décision.

Les faits

Un contrat de travail avait été conclu entre un employé et un organisme fédéral d’intérêt public de type B (INIEX) en 1985. Lorsque celui-ci accède à la pension légale en avril 2019, il demande, via son conseil, à bénéficier d’un capital d’assurance groupe, évalué provisionnellement à près de 300.000 euros sur la base d’un contrat d’assurance de groupe en vigueur au sein de l’institution depuis 1971. L’employeur ayant refusé d’accéder à sa demande, une procédure est engagée.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend l’évolution institutionnelle telle qu’elle a concerné l’établissement. Celui-ci est régi par la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes publics et, dans le cadre de la troisième réforme de l’Etat, il fut supprimé à dater du 1er janvier 1991. Dès sa suppression, conformément à la loi du 13 mars 1991 relative à la suppression et la restructuration d’organismes d’intérêt public et d’autres services de l’Etat, les lois qui l’ont créé ont été abrogées et leur mention dans la loi du 16 mars 1954 supprimée. Les modalités de transfert des membres du personnel et les mesures nécessaires aux fins de garantir leurs droits devaient être réglées par arrêtés royaux après concertation avec les organisations représentatives du personnel.

Au niveau wallon, un décret du 7 juin 1990 a créé l’Institut scientifique de service public (ISSEP), qui a remplacé l’INIEX. Les droits et obligations de cet organisme ainsi que son personnel ont été transférés. Il est prévu que l’ensemble du personnel transféré conserve la qualité, la rémunération, les avantages et l’ancienneté dont il bénéficiait avant son incorporation. En ce qui concerne les avantages liés à l’exercice d’une fonction, ils sont garantis pour autant que les conditions de leur octroi subsistent.

Par ailleurs, le personnel statutaire de l’INIEX (personnel nommé) bénéficie depuis 1970 d’une assurance de groupe, s’agissant d’un système de capitalisation. Le règlement a été revu en 1984, précisant que celle-ci a pour objet de compléter la pension, aux fins d’aligner le régime du personnel statutaire sur celui des agents du secteur public.

Ultérieurement, en 1988, la décision d’affilier les agents contractuels à l’assurance de groupe a été prise, et ce ainsi que repris par décision du conseil d’administration, dans une optique de motivation du personnel.

Des décisions individuelles sont intervenues pour des agents contractuels qui remplissaient les conditions d’ancienneté. L’intéressé est repris sur la liste des employés visés mais n’est pas concerné par ces décisions.

L’année suivante, il a été prévu d’étendre le bénéfice de l’assurance de groupe à du personnel contractuel, moyennant trois conditions (ancienneté, avis favorable du chef de service et approbation du conseil d’administration). Après la régionalisation et le transfert du personnel, aucune décision n’est intervenue concernant ce personnel « de complément ». Sur le plan de la pension, suite à un arrêté du Gouvernement wallon du 20 mai 1999, le personnel statutaire bénéficie d’un droit à la pension légale, mesure qui ne concerne pas le personnel contractuel. Suite à cette modification, un nouveau règlement d’assurance a été souscrit, prévoyant que le personnel de complément resterait soumis au régime de pension des travailleurs salariés. Une distinction est dès lors intervenue entre les membres du personnel de cadre et les membres du personnel de complément.

Aucun nouveau membre du personnel n’a, suite à ces nouveaux règlements, été affilié à l’assurance de groupe.

Il est constaté que, lorsque l’intéressé a pris sa pension, aucune cotisation n’avait été payée par aucune des deux institutions pour ses années de service et qu’aucun capital ne lui a en conséquence été versé.

Le tribunal examine la portée du transfert des obligations d’un organisme à l’autre, notamment à l’égard du personnel, passant ensuite à la nature juridique de la décision de l’INIEX relative à l’assurance de groupe des agents contractuels, à la légalité de la décision relative à l’assurance de groupe de ceux-ci et, enfin, il aborde la question de la prescription de l’action, point soulevé par la partie défenderesse.

Il ressort du décret du 7 juin 1990 que les avantages dont l’intéressé aurait dû bénéficier avant son incorporation, ainsi une assurance de groupe, ont été transférés. Ce transfert suppose néanmoins que les conditions d’octroi soient réunies avant le transfert. Le tribunal constate que le règlement d’assurance conclu en 2000 ne s’applique pas à l’ancien personnel qui ne remplit pas les conditions d’octroi du bénéfice de l’assurance de groupe, de telle sorte que, lorsque l’ISSEP s’est engagé contractuellement envers l’assureur à poursuivre les engagements contractuels précédemment pris, il devait maintenir le régime d’affiliation mis en place précédemment.

Sur la nature juridique de la décision de l’INIEX relative à l’assurance de groupe des agents contractuels, le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 2 mai 2011, R.G. 2010/AL/194), qui a jugé que, lorsqu’un droit découle d’une décision du comité de direction avalisée par une autre du conseil d’administration, il s’agit d’un acte juridique unilatéral et non d’un acte administratif. Pour la cour du travail, en effet, cette décision est la manifestation de la seule intention de son auteur de faire naître un droit dans le chef des bénéficiaires désignés. La décision ne vise pas à imposer un élément du statut des travailleurs mais s’inscrit dans le cadre de leur contrat de travail et leur accorde unilatéralement un droit subjectif.

Cette jurisprudence n’est pas partagée par le tribunal, qui considère que le conseil d’administration agit en qualité d’organe de l’organisme fédéral d’intérêt public et que, lorsque les décisions qu’il prend ont une incidence sur les contrats de travail, il y a une modification unilatérale de ceux-ci en faveur des travailleurs. Cette décision intervient par le biais d’un acte administratif, le conseil d’administration devant être qualifié d’autorité administrative. En l’espèce, l’autorité administrative a soumis à la réunion de plusieurs conditions l’amélioration du statut des agents, en ce compris les contractuels.

Sur la légalité de la décision de l’INIEX relative à l’assurance groupe des agents contractuels, le tribunal considère que cette décision doit être écartée sur la base de l’article 159 de la Constitution. Elle n’a en effet pas respecté les conditions légales imposées. L’extension du bénéfice de l’assurance de groupe aux agents contractuels devait intervenir, conformément à la réglementation, en présence d’un commissaire du Gouvernement. L’organisme de tutelle étant absent au moment de ces décisions, le tribunal estime qu’il s’agit d’un acte administratif illégal en raison de l’incompétence de son auteur. La circonstance qu’il ne soit plus susceptible d’annulation ne s’oppose pas à l’écartement (avec renvoi à Cass., 9 janvier 2020, n° C.18.0146.N).

Il constate ensuite que l’intéressé n’a jamais été affilié à l’assurance de groupe et qu’aucune contestation n’est intervenue avant l’introduction de la procédure. Par ailleurs, la pérennité dans l’illégalité (les effets juridiques de la décision en cause perdurant pour certains agents) n’implique pas que les autorités publiques aient renoncé à régulariser ce type de situation. Même si l’organisme d’intérêt public bénéficie d’une certaine autonomie sur le plan administratif, financier et de capacité de décision et de gestion, il y a tutelle du Gouvernement et elle devait être respectée.

Enfin, sur la prescription, le tribunal constate que, vu l’objet de l’action (condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts réclamés suite à l’inexécution d’une obligation contractuelle), il s’agit d’un droit qui trouve sa cause exclusive dans le contrat de travail. Lu en combinaison avec l’article 2257 du Code civil, l’article 15 doit être interprété en ce qu’il permet que le point de départ de la prescription corresponde au jour où la créance devient exigible, c’est-à-dire au jour de l’admission du travailleur au bénéfice de la pension légale (avec renvoi ici d’une part à C. trav. Liège, 2 mars 2006, R.G. 32/271/04 et à C. trav. Mons, 25 mai 2010, R.G. 2009/AM/21.756).

Intérêt de la décision

Ce jugement aborde la délicate question du transfert de personnel – personnel contractuel en l’occurrence – entre organismes publics suite à la régionalisation.

La question spécifique porte sur la légalité d’une décision du conseil d’administration de l’organisme d’intérêt public qui a disparu, décision dont le demandeur soutenait que les effets étaient maintenus dans le temps.

Contrairement à cette position, le tribunal a retenu la position de la partie adverse, étant que la décision prévoyant l’octroi de l’avantage en cause est illégale, s’agissant d’un acte administratif adopté par un organe incompétent.

La réglementation intervenue dans le cadre de la régionalisation ne pouvait dès lors être la suite des engagements pris par cette décision, qui ne pouvait, pour le tribunal, sortir d’effets juridiques. La circonstance que d’autres membres du personnel en aient bénéficié ne modifie pas cette conclusion.

L’affaire est l’occasion de rappeler qu’une assurance collective est une stipulation pour autrui au sens de l’article 1121 du Code civil, étant l’engagement pris par une personne envers une autre d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers à la convention. Ce tiers est le travailleur. L’employeur a ainsi souscrit une obligation à l’égard de son travailleur, ce qui fait naître un rapport juridique entre l’employeur et l’assureur, ceux-ci convenant des conditions du contrat, ainsi qu’un droit direct du travailleur à se prévaloir des droits qui en découlent, et ce vis-à-vis de l’assureur lui-même. En vertu de l’article 77 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, les conditions générales et particulières ainsi que leur modification éventuelle sont opposables au travailleur, dont l’accord n’est pas requis pour la conclusion de celles-ci, vu qu’il est un tiers.


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