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Accident du travail dans le secteur public : calcul de la rente d’incapacité permanente

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 9 mars 2021, R.G. 16/3.683/A

Mis en ligne le mardi 15 juin 2021


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 9 mars 2021, R.G. 16/3.683/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 mars 2021, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, suivant la position de la Cour du travail de Bruxelles, confirme qu’il y a lieu de maintenir la désindexation de la rémunération de base mais que la rente d’incapacité permanente de travail doit être indexée.

Les faits

Un membre du personnel de police a été victime d’un accident du travail le 7 mai 2015. Celui-ci a donné lieu à une procédure devant le tribunal du travail pour la reconnaissance de l’accident d’abord et, après le dépôt du rapport de l’expert désigné par le tribunal, quant à la rémunération de base à prendre en compte pour l’indemnisation de l’incapacité permanente.

Cette question est l’objet du jugement commenté.

La position des parties

Le demandeur conteste la désindexation de la rémunération annuelle ou l’absence d’indexation de la rente inférieure à 16%. Il considère que celles-ci sont discriminatoires pour plusieurs motifs. Il se fonde, en premier lieu, sur un arrêt de la Cour du travail de Liège du 18 juin 2018 (C. trav. Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60), pour solliciter l’indexation de la rémunération annuelle elle-même. A titre subsidiaire, il renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471), pour considérer qu’à tout le moins, c’est la rente qui doit être indexée. Il demande, en conséquence, l’écartement de l’article X.III.31, alinéa 2, de l’arrêté royal PJPoL.

Quant à l’employeur public, il sollicite l’application de cette disposition, considérant que ni la rémunération ni la rente ne doivent être indexées, s’agissant en l’espèce d’une incapacité permanente inférieure à 16%. Il produit de la jurisprudence inédite (et non identifiée dans le jugement).

La décision du tribunal

Le tribunal procède au rappel du calcul de la rente d’incapacité permanente partielle due à la victime de l’accident en vertu de l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 3 juillet 1967. La rémunération de base est celle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident. Le maximum pris en considération est le montant de 24.332,08 euros. Il s’agit de la rémunération à la date de consolidation de l’incapacité de travail ou à la date à laquelle celle-ci présente un caractère de permanence (article 4, § 1er, alinéa 2, de la loi).

Le tribunal rappelle que, contrairement au secteur privé (article 39 de la loi du 10 avril 1971), le plafond annuel dans le secteur public n’est pas indexé et qu’il n’a plus été revalorisé depuis la loi du 17 mai 2007.

La Cour constitutionnelle a jugé que la disposition ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016).

Pour ce qui est de l’indexation, les rentes visées à l’article 3, alinéa 1er, sont augmentées ou diminuées conformément à la loi du 1er mars 1977 (loi organisant un régime de liaison à l’indice des prix à la consommation du Royaume de certaines dépenses dans le secteur public). Elles sont rattachées à l’indice-pivot 138,01, mais cette disposition n’est pas applicable aux rentes lorsque l’incapacité de travail permanente n’atteint pas 16%. L’absence d’indexation est également prévue dans le secteur privé (article 27bis de la loi du 10 avril 1971).

Le tribunal poursuit par une « remarque générale » : l’agent statutaire victime d’un accident du travail dont le taux d’incapacité permanente de travail est inférieur à 16% subit une double « désindexation », à savoir au stade du calcul de la rémunération annuelle à laquelle il a droit au moment de l’accident et au stade du calcul du montant de la rente. Par ailleurs, la rémunération annuelle plafonnée n’est pas non plus indexée, mais uniquement revalorisée, la dernière revalorisation ayant produit ses effets au 1er janvier 2005 (date d’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2007).

Il constate que, par rapport à la rémunération réellement perçue à la date de l’accident, la désindexation aboutit à une diminution très importante, puisqu’elle consiste à se reporter au 1er août 1989, avec pour conséquence également une désindexation de la rente.

Il aborde ensuite la jurisprudence de la Cour de cassation en ses arrêts des 13 mars 1995 et 14 mars 2011 (Cass., 13 mars 1995, n° S.94.0125.N et Cass., 14 mars 2011, n° S.09.0099.F), qui ont retenu, pour le premier, qu’aucune disposition légale ne prévoit la liaison de la rémunération annuelle à l’indice des prix à la consommation et, pour le second, que, lorsque la rémunération annuelle a été adaptée à l’évolution de l’indice des prix à la consommation, elle doit être divisée par le coefficient représentant le rang du dernier indice-pivot antérieur à l’accident. Le tribunal reprend longuement les conclusions du Procureur général LECLERCQ avant l’arrêt du 14 mars 2011.

Il en vient ensuite à l’examen des discriminations alléguées par le demandeur, qui sont, pour celui-ci, fonction de la gravité de l’incapacité permanente et du temps écoulé depuis l’adoption de la grille salariale à l’index 138,01 (1er août 1989) à laquelle la désindexation renvoie, ce à quoi il faut ajouter une discrimination entre agents du secteur public et travailleurs du secteur privé.

Pour ce qui est du choix fait de l’indice 138,01, le tribunal reprend la logique du système, qui est de ne pas indexer les rémunérations, et considère que, s’agissant d’un choix, il fallait « tracer la ligne quelque part », le législateur s’étant porté sur cet indice-pivot.

Quant à la comparaison avec les travailleurs du secteur privé (dont la rémunération de base est fixée sur la rémunération à laquelle ils avaient droit au cours de l’année précédant l’accident, sans désindexation), le tribunal rappelle les divers arrêts prononcés par la Cour constitutionnelle quant au caractère propre de chacun des deux secteurs, dont celui du 21 janvier 2016, qui concerne l’article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 (étant le plafond de la rémunération). La Cour y a conclu (considérant B.9) que le fait de baser dans le secteur public le plafond de la rente sur le montant en vigueur au moment de la consolidation de l’incapacité de travail ou à la date à laquelle l’incapacité de travail présente un caractère de permanence (alors que, dans le secteur privé, il s’agit de la date de l’accident du travail) relève du caractère propre de chacun des systèmes respectifs sans que cela soit incompatible avec le principe de l’égalité et de non-discrimination.

Il y a dès lors une logique interne au système propre au secteur public et le tribunal de conclure sur cette question que les différences objectives entre les deux systèmes de réparation rendent admissibles des différences de traitement entre les deux catégories de travailleurs sans qu’il n’existe de discrimination prohibée, à condition que chaque règle soit conforme à la logique du système auquel elle appartient.

Il retient dès lors la rémunération désindexée.

Quant à la rente elle-même, le tribunal se rallie à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles dans son arrêt du 5 mars 2018, considérant que la cohérence exige qu’à la désindexation de la rémunération de base réponde l’indexation de la rente. Ce mécanisme permet, dans la mesure où la rémunération de base et la rente évoluent à partir du même indice-pivot et dans des sens opposés, que la désindexation de la rémunération soit neutralisée par l’indexation de la rente. Ceci rejoint d’ailleurs l’avis du Procureur général LECLERCQ dans ses conclusions précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2011, affaire qui concerne l’arrêté royal du 27 janvier 1969 mais dont l’enseignement est transposable à l’arrêté royal PJPoL.

Le tribunal décide dès lors de ne pas écarter l’article X.III.31, alinéa 2, de l’arrêté royal mais de réindexer la rente jusqu’à la date de l’accident. Une fois fixé le montant indexé de la rente, il n’évolue plus ultérieurement pour les rentes inférieures à 16%.

En l’espèce, la rente doit dès lors être multipliée par un coefficient, étant le coefficient d’indexation des allocations sociales et des salaires dans le secteur public à la date de l’accident. Le tribunal rappelle que d’autres employeurs publics acceptent d’ailleurs d’effectuer ce calcul, renvoyant à un jugement récent inédit (Trib. trav. fr. Bruxelles, 9 mars 2021, R.G. 18/168/A, inédit).

Intérêt de la décision

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles apporte, par ce jugement, sa pierre à la solution jurisprudentielle à la question de la désindexation dans le secteur public.

La question est en effet de savoir s’il faut admettre que la rente et/ou la rémunération soi(en)t indexée(s) ou non. Le tribunal a rappelé que la Cour constitutionnelle a été saisie sur cette question précise et qu’elle a conclu dans son arrêt du 21 janvier 2016 (n° 9/2016) à l’absence d’inconstitutionnalité de la désindexation de la rémunération.

Comme souligné, le sujet a fait l’objet de deux arrêts récents. Le tribunal a rappelé les deux solutions dégagées par les Cours du travail de Liège et de Bruxelles dans leurs arrêts respectifs des 18 juin 2018 et 5 mars 2018.

La Cour du travail de Liège a donné comme conclusion qu’il y a lieu de laisser inappliqué l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 et de mettre en œuvre la règle de l’article 4 de la loi du 3 juillet 1967 : la rémunération de base à prendre en compte est celle à laquelle la victime avait droit au moment de l’accident, soit la rémunération effectivement versée et non désindexée. L’article 14, § 2, est en effet source de discrimination pour plusieurs motifs. Le premier est que, à incapacités égales, la valeur économique de l’indemnisation de l’accident est, dès la fixation de la rente, moindre que pour un accident chronologiquement plus éloigné du point de référence et qu’elle continue à baisser au fil du temps et des indexations sans justification valable. Un autre est que, faute d’indexation tant de la rente que de la rémunération de base, il n’est plus garanti que le montant de l’indemnisation soit en rapport avec le préjudice subi. Enfin, des travailleurs du secteur public sont parfaitement comparables avec des travailleurs du secteur privé et, à situations égales, les travailleurs du secteur privé voient leur indemnisation calculée sur la base du salaire des douze mois qui ont précédé l’accident, sans décote liée à la désindexation, ce qui n’est pas le cas des travailleurs du secteur public, qui se voient pénalisés par une désindexation non compensée.

Quant à la Cour du travail de Bruxelles, elle a considéré qu’il faut interpréter l’article 18 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 en ce sens que la rémunération annuelle à prendre en considération ne doit pas être adaptée au coût de la vie. Il s’agit de retenir la rémunération désindexée, c’est-à-dire de ne pas tenir compte de l’incidence de son adaptation à l’indice-pivot. La cohérence exige qu’à la désindexation de la rémunération de base réponde l’indexation de la rente jusqu’à la date de l’accident. Ce mécanisme permet, dans la mesure où la rémunération de base d’une part et la rente d’autre part évoluent sur la base du même indice-pivot et dans des sens opposés, que la désindexation de la rémunération soit neutralisée par l’indexation de la rente.

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles adopte la même position que la Cour du travail de Bruxelles.


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