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Stress post traumatique et accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 11 septembre 2020, R.G. 19/3.216/A

Mis en ligne le vendredi 12 mars 2021


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 11 septembre 2020, R.G. 19/3.216/A

Terra Laboris

Par jugement du 11 septembre 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) fait droit à une demande de reconnaissance d’accident du travail dans le chef d’un policier victime d’un stress post traumatique consécutif à une opération de contrôle routier, l’incapacité de travail ayant mis plusieurs mois à se déclarer.

Les faits

Un policier motard a introduit une déclaration d’accident du travail, qu’il décrit comme suit.

Lors d’un premier contrôle routier, survenu en mai 2016, contrôle sur une bretelle de sortie d’autoroute, il était chargé d’arrêter les véhicules afin de les diriger vers le point de contrôle (l’opération mobilisant une dizaine de policiers). Un véhicule n’a pas obtempéré à l’injonction et a accéléré, fonçant sur lui. Il a pu se mettre sur le côté.

Ces faits sont confirmés par plusieurs témoins.

Après un nouveau contrôle, lors du mois d’août 2016, il est mis en incapacité de travail. Il explique que, lors de celui-ci, il a ressenti directement un stress de façon aiguë. Un stress post-traumatique a été diagnostiqué.

La déclaration a été faite à l’employeur le 3 novembre 2016.

Sur le plan médical, le stress ressenti par l’intéressé est imputé à l’accident initial, mais également à tous les événements vécus au cours de sa carrière.

La Zone de police refuse l’accident par décision du 30 janvier 2017, au motif que la preuve des faits n’est pas rapportée et que la lésion n’est pas en rapport avec ceux-ci.

Suite à une enquête, FEDRIS conclut que les faits sont établis avec certitude, étant les faits relatifs au contrôle routier du mois de mai. Certains des collègues ont en effet vu que l’intéressé avait dû sauter au-dessus de la berme centrale de la sortie pour éviter le véhicule en cause.

L’assureur de l’employeur confirme la position de la Zone de police, amenant l’intéressé à introduire une procédure devant le Tribunal du travail de Liège en reconnaissance de l’événement soudain.

Position des parties

Le demandeur sollicite, ainsi, la reconnaissance de l’accident.

La Zone de police considère que la déclaration est tardive (presque six mois après les faits) et que ce n’est que cinq mois après ceux-ci que l’intéressé a consulté. Par ailleurs, le geste/mouvement est contesté : s’est-il jeté sur le côté, s’est-il mis sur le côté, a-t-il plongé de côté, aurait-il sauté par-dessus la berme ? Enfin, la lésion n’est pas certaine, dans la mesure où il a, dans un premier temps, été conclu à du surmenage et non à un stress post-traumatique.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle les principes habituels, sur la définition de l’événement soudain, soulignant que, d’après la doctrine (A. DAL, « Les accidents du travail dans le secteur public », R.G.A.R., 1995, n° 12434), seules ne sont pas réparables les lésions dues uniquement à une prédisposition interne de la victime.

Il rappelle que la Cour de cassation a balisé dans de nombreux arrêts la définition de l’événement soudain, tant au regard de l’exercice habituel et normal de la tâche journalière que de l’élément à épingler, élément qui ne doit pas se distinguer de celui-ci et qui ne doit par ailleurs pas se limiter à l’action, soudaine, d’un agent extérieur mais peut résulter d’un mouvement ou d’un effort pour autant qu’il ait pu constituer la cause au moins partielle de la lésion.

Le tribunal renvoie ensuite à la doctrine du Premier Avocat Général près la Cour de cassation J.-F. LECLERCQ (J.-F. LECLERCQ, « Rapport introductif au colloque du 5 décembre 2003 de la Faculté de droit de l’ULB », 1903-2003 Accidents du travail : cent ans d’indemnisation), selon qui un geste de la vie courante peut également être pris en compte. Le Premier Avocat Général expose que, en matière d’accidents du travail, un simple geste de la vie courante, comme tel, fût-il susceptible de causer la lésion, ne saurait suffire. Associé à des circonstances particulières de la tâche professionnelle journalière, ce geste peut, en revanche, constituer l’événement soudain requis.

Vient ensuite le rappel du mécanisme légal de la preuve, avec les présomptions de la loi du 10 avril 1971 : la victime doit établir d’abord un événement soudain et ensuite une lésion, l’événement soudain devant être celui qui a pu causer celle-ci.

En l’espèce, l’événement soudain retenu, établi à suffisance de droit, est l’accélération brutale du véhicule en direction de l’intéressé, qui a forcé celui-ci à se jeter sur le côté afin d’éviter d’être percuté et non le mouvement que le policier a fait (sauter, plonger, se jeter, etc.). Identifier ce mouvement relève d’une discussion accessoire et, par ailleurs, vu la rapidité du déroulement des faits, le tribunal considère logique que tant la victime que les témoins ne se souviennent plus exactement de celui-ci.

Il est dès lors satisfait aux obligations de preuve dans le chef de la victime et le tribunal désigne un expert, la mesure d’instruction étant susceptible de renverser la présomption de causalité.

Enfin, il rejette une intervention volontaire faite par FEDRIS, au motif qu’elle aurait dû intervenir avant la clôture des débats, ce qui n’a pas été le cas.

Intérêt de la décision

Deux points importants sont à relever dans le jugement annoté.

Sur le plan de l’identification de l’événement soudain d’abord. Le tribunal retient la description de l’événement soudain comme étant « l’accélération brutale d’un véhicule (en sa direction) (le) forçant à se jeter sur le côté afin d’éviter d’être percuté ». Il s’agit d’un fait épinglé et qui correspond à la définition légale. En outre, il est démontré à suffisance de droit. Le tribunal rejette dès lors que n’ait pu être prouvée avec une grande précision la nature exacte du mouvement effectué par l’intéressé (qui se serait déporté, aurait sauté, aurait plongé, etc.), élément accessoire et non susceptible d’empêcher que la preuve de l’événement soudain soit établie en l’espèce. Cette question – anodine en apparence – peut déchirer les plaideurs, au point de faire rejeter l’accident du travail lorsque l’événement soudain, qui aurait été désigné comme le mouvement lui-même, ne serait pas identifié avec la précision requise et que subsisterait ainsi un doute quant à sa nature. Cet écueil est évité en l’espèce puisqu’il n’a pas été identifié comme le mouvement fait par le policier mais qu’il est plus large, étant l’accélération subite d’un véhicule qui a poussé le policier à l’éviter.

Un autre point d’intérêt du jugement est la question du délai. Un double délai (important) est en effet constaté, étant qu’à partir de faits (qui vont s’avérer non contestés), l’incapacité de travail débutera plus de trois mois plus tard et la déclaration à l’employeur sera elle-même faite plus de deux (nouveaux) mois après.

Ces éléments, s’ils peuvent étonner à première vue, ne sont pas de nature à entraver le mécanisme légal, puisque d’une part la lésion ne doit pas être soudaine (ainsi que le rappelle le tribunal) - seul l’événement soudain doit avoir ce caractère - et, d’autre part, le délai de déclaration à l’employeur n’est pas strict, un long délai entre l’accident et cette déclaration pouvant cependant avoir des conséquences évidentes sur la question de la preuve de l’accident.

En l’occurrence, les faits étaient dûment avérés et le tribunal a effectué l’examen classique, étant de vérifier la preuve de l’événement soudain ainsi que de celle de la lésion, le lien causal, présumé, pouvant faire l’objet, dans le cadre de l’expertise judiciaire ordonnée, d’un renversement par l’employeur. Celui-ci considérant en l’espèce qu’il y avait un état antérieur, cette question est dès lors d’ordre purement médical et sera examinée dans le cours de l’expertise.


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