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Non-déclaration de personnel à l’O.N.S.S. – conséquences sur le plan de la pension de retraite

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2017, R.G. 2014/AB/972

Mis en ligne le jeudi 13 juillet 2017


Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2017, R.G. 2014/AB/972

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 février 2017, la Cour du travail de Bruxelles renvoie, à propos d’un membre du personnel d’une ambassade qui conteste son non-assujettissement pendant une partie importante de sa carrière, à la règle de prescription de l’article 15 LCT : le point de départ du délai de prescription quinquennale est le dernier fait fautif, étant celui qui a donné naissance à l’action.

Les faits

Une employée prestant pour une ambassade depuis 1967 en qualité de membre du service commercial demande en 2011 à l’O.N.P. une estimation de sa pension de retraite. Il s’avère, dans la réponse donnée, que les années prises en considération n’ont débuté qu’en 1981 alors qu’elle était en poste depuis 14 ans à ce moment.

Elle met dès lors son employeur en demeure de régulariser, vu le non-paiement des cotisations de sécurité sociale.

Elle fait valoir qu’il s’agit d’une faute, qui entraîne un préjudice de l’ordre de 800 euros bruts par mois, vu la non prise en compte de 14 années de carrière.

Les parties ne se rapprochant pas, une procédure est introduite par l’intéressée devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui rend son jugement le 11 septembre 2014.

Un chef de demande visait le paiement d’une indemnité de 200.000 euros en réparation du préjudice subi suite au non-paiement (de tout ou partie) des cotisations de sécurité sociale. Le tribunal conclut sur celui-ci qu’il y a prescription de la demande.

Par ailleurs, l’intéressée ayant demandé la résolution judiciaire du contrat aux torts de l’Etat étranger avec sa condamnation au paiement d’une indemnité de l’ordre de 185.000 euros, le tribunal fait droit à celle-ci.

Appel est interjeté.

Moyens des parties devant la cour

L’Etat étranger, appelant, considère qu’il y a violation de l’article 1135 du Code civil, soulignant que le Tribunal devait apprécier l’existence d’une faute grave entraînant la résolution demandée et non accorder des dommages et intérêts en raison de celle-ci. Il demande la réformation du jugement et sollicite d’être libéré de la condamnation à payer l’indemnité réclamée. Il forme deux demandes à titre subsidiaire, en ce qui concerne l’aspect financier.

L’employée interjette appel incident en ce qui concerne la question de la prescription du premier chef de demande lié au non-paiement des cotisations de sécurité sociale. Elle estime que le délai de prescription n’a pu commencer à courir que le 1er décembre 2012, étant la date à laquelle elle a rempli pour la première fois les conditions pour bénéficier d’une pension complète. Elle majore, par ailleurs, sa demande de dommages et intérêts, par l’introduction d’un chef de demande de 5.000 euros pour dommage moral suite à la résolution judiciaire.

Elle développe également une position subsidiaire sur les chiffres.

La décision de la cour

Les règles de droit figurent à l’article 1135 du Code civil (selon lequel les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature), à l’article 1184 du même Code (relatif à la résolution judiciaire), ainsi qu’à l’article 32 de la loi sur les contrats de travail (qui dispose que le contrat peut prendre fin selon les modes généraux d’extinction des obligations).

Pour la cour, l’Etat employeur n’a pas mis en œuvre les « suites » que « la loi » donne à « l’obligation d’après sa nature ». Il y a violation, dès lors, de l’article 1135, qui constitue une faute. La faute persiste encore à ce jour, dans la mesure où aucune disposition n’a été prise pour remédier à la situation. La faute consiste également dans l’abstention de donner une suite à la demande de l’employée.

L’employeur évoquant la « passivité » de celle-ci, la cour relève que, même si elle avait eu connaissance d’un manquement de son employeur à ses obligations, ceci n’est pas de nature à ôter à ce manquement sa nature fautive ni à en diminuer la gravité.

Sur la résolution judiciaire, la cour va confirmer la décision du tribunal, étant qu’il y a une faute lourde justifiant la résolution aux torts exclusifs de l’Etat étranger. La réparation au titre de dommages et intérêts peut se calquer sur les indemnités de rupture, étant que, vu l’ancienneté (48 ans), l’employée peut prétendre à une indemnité correspondante. Le dommage peut dès lors être évalué à un montant de l’ordre de 194.000 euros.

Sur l’appel incident, qui porte sur une demande qui trouve son origine dans le contrat de travail, la règle de prescription est dès lors l’article 15 LCT. Il fait courir un délai de prescription quinquennal à partir du fait qui a donné naissance à l’action et, comme le précise la cour, non à partir de la connaissance du dommage. Le point de départ est dès lors le défaut d’assujettissement de l’intéressée à la sécurité sociale et non l’âge de la pension qui a été atteint par celle-ci.

Il se confirme par ailleurs qu’elle savait, à l’époque, qu’elle n’était pas déclarée à la sécurité sociale et la cour relève qu’elle a eu des congés de maladie et de maternité, pour lesquels elle a été indemnisée directement par l’employeur et non par la sécurité sociale belge. Par ailleurs, sur le plan fiscal, elle devait dans ses déclarations indiquer les rémunérations perçues, hors retenues de sécurité sociale, et elle a ainsi également pu constater que ces retenues étaient inexistantes.

Le dernier fait fautif (absence de paiement des cotisations complètes) remonte à 1989 et, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2012 (Cass., 14 mai 2012, n° S.11.0128.F), la cour rappelle que c’est ce dernier fait qui fait courir le délai. L’appel incident est, sur cette partie, rejeté.

En ce qui concerne le dommage moral invoqué pour la première fois devant la cour, celui-ci est également considéré comme non fondé, dans la mesure où l’intéressée ne justifie pas d’un dommage distinct qui ne serait pas couvert par le montant alloué, celui-ci étant supposé couvrir son dommage matériel et moral. La cour renvoie à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 mai 2001 (Cass., 7 mai 2001, J.T.T., 2001, p. 410).

Elle conclut dès lors au non-fondement des appels, corrigeant cependant le montant des dommages et intérêts consécutifs à la résolution judiciaire du contrat, qu’elle porte à un montant légèrement supérieur à celui retenu par le tribunal.

Intérêt de la décision

Le type de litige tranché par la cour du travail dans cet arrêt n’est pas rare, la situation du personnel d’ambassade étant en effet régulièrement évoquée, particulièrement pour le personnel local, pour lequel se pose de manière récurrente la question de la régularité de la déclaration à la sécurité sociale belge.

La question relative à la prescription est abordée à partir de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978. La cour rappelle par ailleurs que, dans son arrêt du 14 mai 2012, la Cour de cassation – statuant sur la modification d’une allocation complémentaire conventionnelle allouée en raison de la diminution d’allocations de chômage suite à l’admission du conjoint du travailleur à la retraite – avait constaté que la règle de prescription de l’article 15 visait comme point de départ, pour la prescription quinquennale, le fait qui a donné naissance à l’action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat. Cependant, la prescription étant une défense opposée à une action tardive, l’action sanctionnant une obligation naît en règle au jour où celle-ci doit être exécutée. Elle se prescrit dès lors à partir de ce moment et – sauf disposition légale dérogatoire – dès ce moment.

La décision de fond avait retenu que le droit de la travailleuse à la majoration ne pouvait être né qu’à la date à laquelle la modification du montant de l’allocation en cause avait pris cours. En l’occurrence, la modification du montant de l’allocation avait pris cours le 1er octobre 2007 et l’action contre l’employeur avait été introduite le 2 octobre 2008, l’intéressée exposant n’avoir été informée de la modification du montant de ses allocations que le 7 novembre 2007 d’abord de manière informelle et, officiellement, le 30 novembre 2007.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, rappelant que la connaissance n’est pas un point de départ légal.


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