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Allocations familiales : que faut-il entendre par « avantages ayant un caractère complémentaire » ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mai 2016, R.G. 2014/AB/935

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2016


Cour du travail de Bruxelles, 13 mai 2016, R.G. 2014/AB/935

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 mai 2016, la Cour du travail de Bruxelles examine ce qu’il faut entendre par « avantages ayant un caractère complémentaire » au sens de l’arrêté royal du 8 avril 1976 établissant le régime des prestations familiales en faveur des travailleurs indépendants, s’agissant de déterminer le droit des fonctionnaires internationaux aux allocations familiales de droit belge.

Les faits

Suite au décès de son conjoint (travailleur indépendant), une assurée sociale bénéficie d’allocations familiales d’orphelin pour ses deux enfants. Elle reprend une activité professionnelle au sein d’une organisation internationale et perçoit les allocations familiales prévues par le statut des fonctionnaires de celle-ci. Celui-ci prévoit qu’en cas d’allocations versées à un fonctionnaire ayant le statut de veuf, il n’y a pas lieu de faire venir en déduction les prestations nationales.

L’intéressée avise sa caisse de sa situation et celle-ci réagit alors en demandant, conformément à l’article 29 de l’arrêté royal du 8 avril 1976 (applicable à l’époque), le remboursement de l’ensemble des allocations payées depuis la reprise d’activité. Elle considère que les allocations ne sont pas dues dans le régime des travailleurs indépendants pour cette période. L’article 29 dispose en effet que sous réserve des conditions de cumul autorisées par l’article 30 tout enfant en faveur duquel des prestations familiales sont obtenues sous une dénomination quelconque en vertu d’une autre législation belge ou étrangère ou en vertu des règles applicables au personnel de droit international public est exclu du bénéfice des allocations.

Un indu est dès lors réclamé, de l’ordre de 16.000 €.

L’intéressée introduit un recours et elle est déboutée par un jugement du Tribunal du travail de Nivelles (division Wavre) du 8 septembre 2014.

Elle interjette appel.

La décision de la cour

La cour examine le cadre légal, en droit international et en droit interne.

Existe un Accord conclu entre la Belgique et l’organisation internationale visée (OIT), prévoyant que les membres du personnel du Bureau établi en Belgique et qui n’exercent aucune autre activité sont affiliés au régime de sécurité sociale de l’organisation internationale. Il est relevé dans les travaux préparatoires que ces régimes sont plus avantageux que le régime national et que l’organisation doit garantir à ses fonctionnaires des avantages équivalents à ceux prévus par le régime belge.

En l’espèce, le statut prévoit l’inclusion des allocations dans la rémunération du fonctionnaire et, si une allocation est perçue pour l’enfant, à partir d’une source extérieure au système des Nations-Unies, il est expressément prévu que le montant de celle-ci sera déduit de l’allocation payée par l’organisation, sauf le cas de prestations versées à un fonctionnaire veuf.

En droit interne, l’arrêté royal du 8 avril 1976 prévoit des règles de cumul, étant que celui-ci est cependant autorisé lorsque l’avantage a un caractère complémentaire par rapport aux prestations nationales. L’intéressée relève ce caractère complémentaire, puisque, au sens du statut, les allocations versées au fonctionnaire le sont après déduction du montant de l’allocation provenant d’une source extérieure au système des Nations-Unies.

La cour rappelle que ce système est également prévu pour les fonctionnaires de l’Union européenne et que la Cour de Justice a été saisie de la question. Elle renvoie à un arrêt du 7 mai 1987 (COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES c/ ROYAUME DE BELGIQUE, Aff. n° 186/85), où a été constaté un manquement de la Belgique à ses obligations en matière de statut des fonctionnaires européens, dans la mesure où les prestations familiales étaient considérées comme devant pour certaines catégories de fonctionnaires être réduites à concurrence du montant des allocations du même type prévues par ledit statut, la Cour reprochant à l’Etat belge de porter atteinte, ce faisant, au caractère complémentaire de ces allocations.

Les deux systèmes sont dès lors considérés comme similaires, les prestations étant complémentaires. Celles-ci ne sont en principe accordées qu’après déduction du montant alloué conformément au système national. Pour les enfants orphelins, ce caractère complémentaire vaut également. Raisonner autrement aboutirait à soumettre les orphelins à un régime moins favorable que ceux bénéficiant d’un régime d’allocations ordinaires.

La cour rejette, enfin, un argument de la caisse tiré de l’article 30 de l’arrêté royal, qui n’autoriserait le cumul avec des allocations complémentaires que si elles sont obtenues en vertu d’une autre législation belge. Pour la cour, il n’y a pas lieu de restreindre l’application de cette disposition à la seule législation belge, dans la mesure où est constatée une infraction à un accord international (ainsi qu’à la loi qui l’a approuvé).

En outre, une lecture stricte de cette disposition créerait une discrimination, étant que l’on traiterait différemment un bénéficiaire qui percevrait une prestation complémentaire en vertu d’une législation belge ou en vertu du statut applicable au personnel d’une institution internationale. La cour écarte dès lors ce membre de phrase.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu concerne la nature des « avantages complémentaires » au sens de l’arrêté royal du 8 aout 1976, eu égard aux allocations prévues par le statut du personnel d’organisations internationales. La cour a relevé dans son arrêt que l’arrêté royal a une valeur inférieure à la fois au statut du personnel et à la loi du 31 juillet 1978, qui a, en l’espèce, approuvé l’Accord intervenu fixant les conditions d’établissement en Belgique du Bureau international du travail.

Si la question conserve toute son actualité, il faut relever que cet arrêté a été abrogé par l’article 150 de la loi du 4 avril 2014 dans le cadre de la réforme générale du secteur. L’arrêt annoté rappelle cependant le droit aux prestations familiales dans l’hypothèse visée.
C’est également l’occasion pour la cour de rappeler une ancienne affaire, étant un recours en manquement introduit par la Commission contre la Belgique en 1985 et qui avait abouti à la condamnation de l’Etat belge au motif qu’il avait porté atteinte au caractère complémentaire des allocations familiales de certaines catégories de fonctionnaires européens. La Cour de Justice avait constaté dans cet arrêt que les allocations familiales de ceux-ci étaient comprises dans leur rémunération et que les dispositions de droit belge méconnaissaient le caractère complémentaire de celles-ci, dans la mesure où le montant des prestations familiales servies en vertu des règles applicables au personnel d’institutions de droit international devait être porté en déduction du montant des prestations belges de même nature, même si l’octroi était qualifié de « complémentaire ».


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