Terralaboris asbl

Aide sociale : formes de l’aide pour un enfant belge dont les parents sont en séjour illégal

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2007, R.G. 46.737

Mis en ligne le vendredi 21 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 10 octobre 2007, R.G. n° 46.737

Asbl Terra Laboris – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 10 octobre 2007, la Cour du travail de Bruxelles a réformé un jugement du tribunal du travail de Bruxelles, qui avait alloué au titre d’aide sociale l’équivalent du revenu d’intégration sociale. La Cour estime que l’aide la plus appropriée est une aide en nature, à savoir l’accueil dans un centre Fedasil.

Les faits

Un père, de nationalité colombienne, dont un des enfants est de nationalité belge sollicite une aide sociale (aide financière) auprès du CPAS de Woluwé St Lambert. Par décision du 27 décembre 2004, celui-ci prend en charge des frais, liés à l’achat de semelles orthopédiques mais refuse l’aide financière. Cette décision est motivée par le caractère illégal du séjour du père sur le territoire belge et son refus d’une proposition d’hébergement dans un centre Fedasil.

Position du tribunal

Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal devait examiner s’il y avait lieu de faire droit à la demande d’octroi d’une aide financière correspondant au revenu d’intégration sociale au taux isolé avec enfants à charge, aide majorée des prestations familiales garanties pour deux enfants - demande à laquelle s’ajoutait celle de prise en charge des frais médicaux et pharmaceutiques pour ceux-ci.

Constatant qu’un des enfants avait la nationalité belge et remplissait ainsi les conditions d’octroi d’aide sociale, le tribunal du travail considéra que l’article 22 de la Constitution et de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales assurait pour les parents et leur autre enfant le droit de mener une vie familiale avec l’enfant de nationalité belge.

Le tribunal considéra également que le refus de séjourner dans un centre d’accueil était justifié, de ce fait.

Il faisait valoir des éléments particuliers, permettant la réalisation des conditions de l’article 8 de la Convention européenne, à savoir que la vie familiale devait pouvoir être développée en Belgique vu notamment l’absence de tous liens gardés avec la Colombie, ainsi que le fait que ce pays connaît toujours une guerre civile.

Quant au montant de l’aide nécessaire, le premier juge constata qu’il manquait d’éléments pour déterminer le montant de celle-ci et accorda forfaitairement l’équivalent du revenu d’intégration au taux applicable aux personnes vivant avec famille à charge, montant qu’il convenait de majorer de l’équivalent des prestations familiales. Il accorda également la carte médicale pour les deux enfants.

Position de parties en appel

Le CPAS interjeta appel, faisant valoir essentiellement que l’intervention du Centre devait rester subsidiaire et que, si de réelles possibilités existaient de mener une vie conforme à la dignité humaine, rien ne justifiait sa condamnation à une aide financière. Le refus d’hébergement était établi et, si la famille se trouvait dans un logement dont elle ne pouvait supporter le loyer, cette situation était créée par les intéressés eux-mêmes.

Subsidiairement, il sollicitait que soit posée à la Cour constitutionnelle la question d’une discrimination entre enfants, d’une part les étrangers mineurs en séjour illégal et, d’autre part les belges mineurs dont les frères et/ou sœurs et les parents étaient en situation illégale en Belgique, et ce eu égard à l’ensemble des dispositions régissant la matière ainsi que les articles 3 et 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant et l’article 8 de la Convention de sauvegarde.

Position de la Cour

La Cour s’écarte des conclusions du tribunal en ce qui concerne les aspects de la situation de la famille, telle que visée par lui (absence d’attaches en Colombie, situation politique insécure dans ce pays), constatant que les juridictions du travail ne sont pas saisies de l’examen de la validité ni même de l’opportunité du séjour de la famille en Belgique, mais uniquement de l’octroi d’une aide financière.

La question de l’octroi de celle-ci étant centrée, effectivement, sur le refus d’hébergement dans un centre d’accueil, la Cour du travail constata que cet hébergement constitue une forme d’aide qui garantit l’unité de la famille et qui tient compte du caractère illégal du séjour, en l’espèce de trois personnes dans un ménage de quatre.

Cette aide existant, il faut par ailleurs constater qu’aucun droit n’existe dans le chef du père à l’octroi inconditionnel d’une aide d’ordre essentiellement financier, ni en son nom propre, ni en tant que représentant de ses enfants, dont l’un d’eux à la nationalité belge.

L’enfant belge ayant, quant à lui, un droit certain à cette aide sociale, vu sa nationalité, la Cour rappelle que l’octroi en nature est une forme d’aide sociale prévue par la loi organique, ainsi que l’a rappelé, notamment, la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 15 mars 2006 (arrêt n° 43/2006).

Elle va considérer que cette forme d’aide, aide en nature, apparaît l’aide la plus appropriée pour l’enfant. Elle rappelle ici une des décisions récentes de la Cour du travail de Liège ainsi que de celle de Bruxelles (C. trav. Liège, 28 juin 2006, R.G. 33.175 ; C. trav. Bruxelles, 7 février 2007, R.G. 43.359), selon laquelle l’agence Fedasil permet d’accueillir l’ensemble d’une famille composée de parents étrangers en séjour illégal, d’enfants de nationalité étrangère et d’enfants belges, ce qui assure la protection absolument essentielle du maintien de la cellule familiale. Cette aide est d’ailleurs susceptible d’apporter une aide matérielle aux parents ainsi qu’une aide égale et non discriminatoire à tous les enfants de la famille, soient-il belges ou étrangers.

En outre, il y aurait lieu d’établir que l’enfant pour qui une aide est demandée se trouve dans un état de besoin l’empêchant de mener une vie conforme à la dignité humaine. Cette aide devant être appréciée au cas par cas, la Cour considère, à cet égard, ne pas devoir poser la question proposée à la Cour constitutionnelle.

Dans l’appréciation des besoins, la Cour va considérer qu’il ne suffit pas d’exposer que la famille est dans un état de besoin, mais qu’il faut justifier les besoins réels et actuels. Ceci passe par la justification des charges et celles-ci doivent pouvoir être appréciées en fonction de leur nécessité. En l’espèce, l’état de besoin n’étant objectivé par aucun document récent, par rapport à la date à laquelle la Cour doit trancher, celle-ci considère qu’en tout état de cause il est malaisé d’apprécier l’état de besoin, la Cour constitutionnelle n’ayant précisé à ce sujet que l’aide sociale est de par sa nature « un instrument qui doit être ajusté aux besoins réels et actuels du bénéficiaire » (C.A., 17 septembre 2003, n° 112/2003).

La Cour réforme dès lors le jugement qui, ayant fait les mêmes constatations relatives à l’aide nécessaire, a octroyé forfaitairement l’équivalent du revenu d’intégration sociale. La Cour rétablit donc la décision administrative.

Intérêt de la décision

Les questions soulevées par ce type de décision sont complexes, dès lors qu’il s’agit d’apprécier les critères de l’aide sociale la plus adéquate, dans le cas où les parents sont en séjour illégal sur le territoire belge. La position de la Cour est de considérer que la vie en centre d’accueil permet de mener une vie familiale répondant aux standards de protection repris dans les textes internationaux.

Par ailleurs, indépendamment de cette question, la Cour rappelle très utilement que d’une part l’aide sociale peut revêtir diverses formes et qu’il y a lieu de choisir la plus adéquate et d’autre part qu’elle doit être adaptée aux besoins réels et actuels du bénéficiaire, ces besoins devant également pouvoir être appréciés en fonction de leur nécessité.


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