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Allocations familiales : quelles sont les conséquences d’un changement d’adresse non signalé à la caisse ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. 2010/AB/13

Mis en ligne le vendredi 21 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. n° 2010/AB/13

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’obligation pour les caisses d’allocations familiales de recourir d’initiative aux informations accessibles via la Banque carrefour, obligations qui ont pour effet de dégager la responsabilité des assurés sociaux si eux-mêmes omettent de transmettre celles-ci.

Les faits

Une mère de famille, chômeuse de longue durée, est allocataire d’allocations familiales pour sa fille. Celle-ci arrête ses études à la fin de l’année scolaire 2006-2007. En septembre 2007, le questionnaire périodique de fréquentation scolaire est adressé. La famille effectue à ce moment un déménagement et le changement d’adresse est repris au registre national dès le mois d’octobre. Informée de l’inscription de la jeune fille comme demandeuse d’emploi, la caisse indique avoir adressé un courrier informant des conditions dans lesquelles le paiement des allocations peut être poursuivi, courrier adressé à l’ancienne adresse et que l’intéressée expliquera ne jamais avoir reçu malgré les dispositions prises.

Les revenus perçus par la jeune femme vont s’avérer de l’ordre de 600 à 700€ par mois à partir du mois de janvier. La caisse va dès lors réclamer le remboursement des allocations payées entre le mois d’octobre 2007 et le mois d’avril 2008, soit environ 1.200€.

La mère conteste cette décision, au motif qu’elle a pris des renseignements auprès de la caisse d’allocations familiales, qui a confirmé que l’exercice d’une activité professionnelle ne ferait pas obstacle au paiement des allocations. La mère introduit dès lors une demande de renonciation à la récupération de l’indu, demande qui est refusée au motif qu’elle aurait raisonnablement dû savoir qu’il s’agissait d’un indu.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 29 décembre 2009, le tribunal retient une faute dans le chef de la caisse d’allocations familiales qui a adressé le formulaire d’information à une mauvaise adresse. Il a également retenu une part de responsabilité dans le chef de l’intéressée, qui aurait dû prendre toutes dispositions pour faire suivre son courrier normalement et informer la caisse du changement d’adresse.

Décision de la cour du travail

La cour est saisie de l’appel de l’intéressée, qui lui soumet l’entièreté du litige et demande à ne pas devoir rembourser l’indu en cause.

La cour va dès lors examiner successivement l’existence d’un indu, la faute de la caisse et les conséquences de celle-ci, avant de revenir aux conditions de renonciation à la récupération de l’indu.

Elle rappelle que l’activité lucrative d’un étudiant n’entraîne pas la suspension des allocations familiales s’il travaille pendant les vacances d’été ou en-dehors de cette période pendant un maximum de 240 heures par trimestre. Par contre, s’il est demandeur d’emploi, il y a suspension des allocations pour tout mois au cours duquel il obtient un salaire de plus de 400€ environ (montant indexé). En l’espèce, la cour retient que le salaire a toujours été supérieur au montant applicable et qu’il n’y avait pas lieu de continuer à octroyer les allocations familiales.

La caisse a cependant commis une faute, étant qu’elle n’a pas utilisé correctement les mutations transmises par la Banque carrefour. La cour retient qu’il s’agit dans le cadre de la gestion de la sécurité sociale d’une faute inexcusable dans le chef d’une caisse d’allocations familiales, celle-ci étant tenue d’utiliser correctement les données de la Banque carrefour.

Il y a d’ailleurs subventionnement des caisses, en vertu de l’arrêté royal du 9 juin 1999 relatif au compte de gestion et à la réserve administrative des allocations familiales, qui tient compte du nombre de messages électroniques devant être traités, de l’évolution de la situation des bénéficiaires, etc. Le critère de subventionnement intervenant de ce chef est de favoriser l’utilisation du réseau télématique de la sécurité sociale. Si l’attributaire et l’allocataire ont pour leur part également des obligations, celles-ci ne visent pas le changement d’adresse. Cet élément n’a en effet pas d’incidence sur l’octroi ou le paiement de l’allocation, de même que l’inscription comme demandeur d’emploi.

La cour relève également qu’il n’existe pas de délai déterminé dans lequel l’obligation d’information doit intervenir et que, en l’espèce, si elle doit intervenir de manière immédiate, il faut faire de ceci une appréciation raisonnable. Ayant changé de domicile le 11 octobre, l’intéressée n’a pas commis de faute en n’ayant pas encore informé sa caisse le 19. En outre, il n’existe aucune obligation légale pour un citoyen de recourir au service payant de La Poste pour faire suivre son courrier et il ne peut dès lors être reproché à un assuré social de ne pas avoir recours à ce procédé. La cour conclut à l’absence de faute dans le chef de l’intéressée.

En ce qui concerne les conséquences de la faute de la caisse elle-même, la cour examine la question de savoir si celle-ci est une erreur au sens où l’entend l’article 17, alinéa 2 de la Charte. L’article 17 ne porte que sur les révisions, c’est-à-dire toute situation où existe un indu résultant d’une décision erronée de l’institution de sécurité sociale. La portée de l’article 17 n’est pas de s’appliquer à toute faute de l’institution mais seulement à la situation dans laquelle se trouve un assuré social suite à une erreur imputable à l’institution, erreur à l’origine d’une décision qui doit être rectifiée. En l’espèce, il n’y pas eu précédemment de décision erronée mais omission d’envoi d’un formulaire qui aurait permis à la mère d’être informée utilement de la conséquence de l’exercice de l’activité professionnelle de sa fille sur le droit aux allocations familiales. La cour rejette dès lors l’application de l’article 17, alinéa 2.

Elle va ensuite examiner les conséquences de la faute, concluant qu’un dommage limité pourrait avoir été subi correspondant pour chaque mois à la différence entre d’une part le montant net correspondant au plafond de la rémunération perçue à majorer des allocations familiales et d’autre part celui qui a effectivement été perçu. La cour ordonne, dès lors, la réouverture des débats en ce qui concerne l’évaluation du dommage éventuel.

Enfin, sur la renonciation à la récupération de l’indu, la cour rappelle la compétence discrétionnaire de la caisse, qui a la faculté de renoncer mais n’y est pas obligée. Dans cette matière, la Cour constitutionnelle est intervenue à plusieurs reprises et la cour du travail renvoie à sa jurisprudence à cet égard. Elle retient notamment l’arrêt du 12 juillet 2007 (C. const., 12 juillet 2007, n° 101/2007), arrêt rendu à propos d’allocations d’interruption de carrière. La Cour y a jugé que, lorsque la notion de cas digne d’intérêt est envisagée de manière restrictive, le juge peut vérifier si la limitation est raisonnablement justifiée par la nature particulière des allocations en cause. Elle renvoie également à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 13 décembre 2010, S.10.0050.F). Ici également une réouverture des débats est ordonnée, afin de permettre à la caisse de s’expliquer sur la notion de restriction telle qu’appliquée dans la matière des allocations familiales.

Intérêt de la décision

Très intéressant arrêt, d’une part sur les obligations de la caisse d’allocations familiales, en matière d’information et d’autre part sur la portée de l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

La cour rappelle ici sa jurisprudence à propos des obligations des institutions de sécurité sociale eu égard aux informations fournies par la Banque carrefour. Celles-ci sont tenues d’utiliser les informations qui peuvent être obtenues via ce biais. L’on ne peut, pour ces données, mettre à charge de l’assuré social une obligation d’information, dans la mesure où celle-ci est supposée acquise dans le chef de l’institution de sécurité sociale.

Décision intéressante également sur la question de la notion de « cas digne d’intérêt ». Sur ce dernier point, affaire à suivre …


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