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Harcèlement moral : exigence de précision de la plainte déposée

Commentaire de C. trav. Mons, 11 mai 2011, R.G. 2010/AM/183

Mis en ligne le mercredi 7 septembre 2011


Cour du travail de Mons, 11 mai 2011, R.G. 2010/AM/183

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 11 mai 2011, la Cour du travail de Mons rappelle que, même si la loi n’exige pas que la plainte déposée entre les mains de l’Inspection du contrôle du bien-être soit motivée, elle doit cependant se référer à des faits précis.

Les faits

Dans un contexte professionnel difficile, où de dissensions régulières ont émaillé les relations, une secrétaire est licenciée pour motif grave, le motif étant lié à une série de comportements qualifiés d’insubordination, d’impolitesse, d’injures et même d’attitudes doleuses.

Quelque temps avant ce licenciement, l’intéressée était tombée en incapacité de travail et avait déposé une plainte pour harcèlement moral.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Charleroi, contestant le motif grave et réclamant l’indemnité de protection en vertu de la loi sur le harcèlement moral.

Le tribunal fait droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis (et autres sommes annexes).

Position des parties en appel

La société interjette appel, sur l’indemnité de rupture, ce qui amène l’employée à introduire un appel incident, portant notamment sur l’indemnité de protection.

Position de la cour du travail

La cour va assez longuement reprendre les principes en matière de motif grave, relatifs au respect du délai de trois jours contenu à l’article 35 (al. 3, 4 & 8) de la loi du 3 juillet 1978 rappelant d’ailleurs que la question du respect du double délai de trois jours est impérative en faveur du travailleur et de l’employeur, la cour devant dès lors examiner le respect de la règle d’office (Cass., 22 mai 2000, J.T.T. , 2000, p. 369). Elle conclut à l’absence de bien-fondé de la décision de licenciement pour motif grave.

Mais c’est surtout sur les règles en matière d’indemnité de protection en cas de plainte pour harcèlement moral que l’arrêt de la cour présente un intérêt évident, puisqu’il reprend l’évolution des textes depuis la loi du 10 janvier 2007 et l’arrêté royal du 17 mai 2007. Les faits étant postérieurs à l’entrée en vigueur de ces derniers textes, ils s’appliquent au cas d’espèce.

La cour rappelle que la protection contre le risque de licenciement en représailles suite au dépôt de la plainte dure douze mois et que pendant ce délai, en cas de licenciement, l’employeur doit apporter la preuve que les motifs du licenciement sont étrangers à la plainte. A défaut, l’indemnité due est soit forfaitaire (six mois de rémunération), soit à calculer en fonction du préjudice réellement subi et établi.

Un point important, acquis en jurisprudence, est que le bénéfice de la protection contre le risque de licenciement résulte du dépôt de la plainte lui-même et non de son fondement éventuel (la cour rappelant ici sa propre jurisprudence ainsi C. trav. Mons, 21 déc. 2007, Chron. D.S., 2008, n° spécial, p. 739 et C. trav. Mons, 24 août 2006, Justel : F-20060824-1).

La plainte en l’espèce a été déposée entre les mains de l’inspection du bien-être au travail et l’employeur confirme dans le cours de la procédure avoir été avisé de celle-ci, de même qu’avoir reçu la visite de l’inspecteur du bien-être avant le licenciement.

Depuis la réforme de la loi du 11 juin 2002 par celle du 10 janvier 2007 et son arrêté d’exécution, dès lors que la procédure est entamée, comme en l’espèce auprès de l’inspection du contrôle du bien-être, le point de départ de la protection est le moment où la plainte est introduite, et ce indépendamment de l’obligation pour la personne qui reçoit la plainte d’informer l’employeur du dépôt (art. 32tredecies, § 6, al. 3).

En l’espèce, la cour reprend le texte de la plainte et note que celle-ci vise non les représentants de la société mais un collaborateur direct de l’employeur, étant en l’occurrence un conseiller technique. Pour la cour, la chose est sans intérêt, puisque la loi vise à lutter contre toute forme de harcèlement, d’où que celui-ci émane et même s’il est le fait de tiers, pourvu qu’il trouve son origine dans l’exécution du travail ou survienne à l’occasion de cette exécution.

Dans l’hypothèse d’une plainte déposée auprès du fonctionnaire chargé de la surveillance, la cour retient que, contrairement à ce qui est prévu dans l’hypothèse du dépôt au niveau de l’entreprise, la loi ne précise pas formellement qu’il doit s’agir d’une plainte motivée. Mais l’inspection n’acceptera d’instruire celle-ci que moyennant le respect d’exigences précises telle, par exemple, l’obligation de remplir un questionnaire. Rappelant la doctrine (J.-Ph. CORDIER et P. BRASSEUR, « Le bien-être psychosocial au travail : harcèlement moral, harcèlement sexuel, violence, stress, conflits, … » KLUWER, 2009, p.288), la cour précise que ces exigences sont d’autant plus justifiées qu’actuellement l’inspection du contrôle du bien-être au travail n’intervient plus qu’en deuxième ligne (en principe). Les exigences actuellement posées sont ainsi que la plainte doit être suffisamment précise à tout le moins quant au fait incriminé.

C’est la condition légale pour bénéficier de la protection. Il s’agit de permettre aux parties en cause d’entendre les problèmes soulevés, d’en discuter et de tenter de trouver une solution en vue de l’amélioration des relations de travail.

En l’occurrence, la cour ne retient pas que ces éléments soient présents dans la plainte déposée par l’intéressée, qui prend plutôt l’allure d’une plainte « blanche » dont le seul objectif serait d’éviter un licenciement pour motif grave pressenti. Ne figurent dans la plainte que des références à une détresse psychique ayant entraîné une incapacité de travail, etc., aucun grief concret ne figure dans celle-ci ni, d’ailleurs, dans le questionnaire envoyé par le contrôle du bien-être.

Pour la cour, les conditions légales pour bénéficier de la protection ne sont dès lors pas réunies, vu l’indigence de la plainte dans sa motivation.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt de la Cour du travail de Mons réside dans la nuance apportée quant à la notion de motivation de la plainte déposée, comme en l’espèce, auprès de l’inspection du contrôle du bien-être. Il y a une exigence certaine de précision, même si la loi ne fait pas référence à l’obligation de motivation.


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