Terralaboris asbl

Avantages particuliers perçus lors de la rupture du contrat de travail et compatibilité avec l’octroi d’allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 avril 2011, R.G. 2008/AB/51.288

Mis en ligne le vendredi 15 juillet 2011


Cour du travail de Bruxelles, 13 avril 2011, R.G. n° 2008/AB/51.288

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 avril 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’article 46 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne donne pas en son § 1er une liste exhaustive des sommes et avantages ayant, au sens de la réglementation chômage, un caractère rémunératoire.

Les faits

Dans le cadre de la privatisation de la CGER, conformément à diverses conventions collectives de travail conclues au sein de l’entreprise, Monsieur V. bénéficie du régime de retraite de son employeur à l’âge de 55 ans et perçoit la liquidation des avantages de son assurance groupe. Il reçoit ainsi une rente convertie en capital ainsi qu’une seconde rente, équivalente au montant de la pension légale pour une personne isolée, et ce jusqu’à ses 60 ans. Il reprend, ultérieurement, une activité professionnelle d’employé, suite à laquelle il demande le bénéfice des allocations de chômage.

Il se voit exclu du bénéfice de celles-ci au motif qu’il n’y a pas privation de rémunération.

Il introduit un recours devant le tribunal du travail de Verviers.

Position du Tribunal du travail de Verviers

Le tribunal fait droit à la demande de l’intéressé, considérant - en réponse à un argument complémentaire de l’ONEm relatif à l’absence de caractère involontaire du chômage vu la rupture du contrat de travail d’un commun accord – qu’il n’y a pas en l’espèce abandon d’emploi, les avantages versés par la CGER pouvant par ailleurs être cumulés avec des allocations de chômage.

Position de la Cour du travail de Liège

Sur appel de l’ONEm, la cour confirme l’absence d’abandon d’emploi et ordonne des enquêtes.

L’arrêt de la Cour de cassation

L’ONEm introduit un pourvoi devant la Cour suprême et celle-ci casse l’arrêt de la Cour du travail de Liège pour non réponse aux conclusions de l’ONEm.

Position de la Cour du travail de Bruxelles

La Cour du travail de Bruxelles est saisie d’un argument supplémentaire invoqué par l’intéressé, relatif à la recevabilité de la requête d’appel, signée par un conseiller n’ayant pas, selon lui, qualité pour représenter l’ONEm en justice. En ce qui concerne la recevabilité de l’appel de l’ONEm, la cour du travail considère cependant ne pas devoir examiner ce motif, la Cour du travail de Liège ayant déclaré l’appel recevable et ce point n’étant pas visé par la cassation. Elle renvoie encore pour autant que de besoin à l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu sur la question de la délégation du pouvoir de représentation d’un organisme devant les juridictions du travail (arrêt n° 12/2010 du 18 février 2010), dans lequel celle-ci a considéré que n’est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution l’interdiction de délégation figurant dans la loi du 25 avril 1963 sur la gestion des organisme d’intérêt public et de prévoyance sociale.

Sur le fond, la cour examine la notion de rémunération au sens de l’article 46 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage à la fois dans sa version antérieure et dans sa version postérieure à l’arrêté royal du 9 mars 1999. Celui-ci a en effet modifié le 5° de la disposition réglementaire, qui prévoyait précédemment qu’étaient rémunératoires l’indemnité ou les dommages et intérêts, à l’exception de l’indemnité pour dommage moral, auxquels le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail, et il lui a substitué une hypothèse nouvelle, étant qu’est visée l’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail à l’exception de l’indemnité pour dommage moral et de l’indemnité qui est octroyée en complément de l’allocation de chômage.

L’article 46 a par ailleurs été complété afin de préciser qu’est une indemnité octroyée en complément de l’allocation de chômage celle (ou partie de celle) octroyée suite au désengagement d’un chômeur involontaire si l’indemnité n’a pas été considérée par les parties comme une indemnité de préavis ou encore si elle ne peut se substituer en tout ou en partie aux avantages octroyés dans le cadre d’un régime normal de licenciement étant donné que ces derniers avantages ont été réellement octroyés.

En l’espèce, la cour constate qu’il y a eu un plan de désengagement établi au moment de la fusion de la CGER à l’occasion de sa privatisation, plan mis en œuvre par une convention collective contenant un régime de disponibilité et modifiant le règlement d’assurance de groupe pour le personnel touché par cette mesure.

Reprenant les termes de l’article 46 de l’arrêté royal, qui dispose que sont « notamment » considérés comme rémunération les montants qu’il énumère, la cour considère qu’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. Ainsi, reprenant sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 5 janvier 2011, R.G. n° 2002/AB/43.096), elle cite l’exemple d’un revenu de remplacement visant à couvrir un dommage patrimonial, qui – tout en ne satisfaisant pas aux conditions de l’article 46, § 1er pour être considéré comme un complément aux allocations de chômage – est cependant une rémunération au sens de l’article 44 du même arrêté.

La cour en conclut qu’en supposant que le capital de retraite ne soit pas considéré comme rémunération, la rente versée mensuellement entre 55 et 60 ans est cependant une rémunération au sens de l’article 44. Il s’agit d’un revenu de remplacement destiné à compenser le fait qu’entre 55 et 60 ans le travailleur ne bénéficie pas encore de sa pension légale. Elle va dès lors couvrir une perte de revenus professionnels et ne peut être considérée comme un dommage moral.

En outre, elle tient lieu temporairement de pension légale et ne peut de ce fait être considérée comme un complément d’allocation de chômage au sens de l’article 46, § 1er.

La cour souligne également, renvoyant sur cette question à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 28 février 2008, R.G. n° 20.851), que la rente permet de garantir et de faire payer pendant la période qui suit la mise en disponibilité et jusqu’à l’âge de la retraite légale un revenu de remplacement qui, complété du capital de l’assurance groupe (ou de la rente correspondant à celui-ci) permet au travailleur de couvrir à concurrence de 70% la perte de rémunération. L’on ne peut dès lors considérer qu’il s’agirait d’une indemnité octroyée en complément de l’allocation de chômage. Il s’agit au contraire d’une indemnité à laquelle le demandeur pouvait prétendre suite au contrat que le liait à la CGER, prévoyant en règle le principe de la stabilité de l’emploi, et à la rupture de contrat intervenue.

La cour considère dès lors ne pas devoir examiner le caractère volontaire ou non du départ, vu la conclusion ci-dessus.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, rendu dans le cadre des articles 44 et 46 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, vient confirmer d’une part que les indemnités visées à l’article 46 de l’arrêté royal n’ont pas un caractère limitatif et d’autre part que, même si certains avantages alloués en cas de rupture du contrat de travail ne peuvent être considérés comme des compléments aux allocations de chômage, ils peuvent cependant avoir un caractère rémunératoire ne rendant pas possible l’octroi des allocations elles-mêmes.


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