Terralaboris asbl

Travailleur indépendant : cessation d’activité et droit aux indemnités de maladie

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 avril 2011, R.G. 2007/AB/50.237

Mis en ligne le mercredi 6 juillet 2011


Cour du travail de Bruxelles, 8 avril 2011, R.G. n° 2007/AB/50.237

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 8 avril 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’interdiction pour l’indépendant d’exercer, pendant une période d’incapacité de travail indemnisée, une activité soit en son nom propre soit par personne interposée.

Les faits

Un architecte tombe en incapacité de travail fin 1983. La cessation d’activité est confirmée quelques mois plus tard par l’INASTI, vu la persistance d’une hospitalisation. L’intéressé confirme cette cessation totale définitive au début 1985.

Trois ans plus tard, en 1988, il demande à l’INASTI d’assimiler sa période d’incapacité à une période d’activité. L’INASTI le refuse, au motif qu’il n’y aurait pas eu cessation d’activités. C’est début 1990 qu’une décision médicale de fin d’incapacité intervient. L’indemnisation cesse à ce moment.

L’organisme assureur va alors considérer que les indemnités d’incapacité de travail versées de 1984 à la date de la fin de la période d’incapacité admise (début 1990) ont été payées indûment et il va réclamer de ce chef un montant de l’ordre de 25.000€.

La position du tribunal

Le tribunal du travail va rejeter la demande, au motif d’irrecevabilité.

Les décisions antérieures de la Cour du travail de Mons

La Cour du travail de Mons a rendu plusieurs décisions, entre 1997 et 2000, admettant la demande de l’organisme assureur fondée à concurrence de +/- 750€, essentiellement au motif que celui-ci n’avait pris aucune décision de retrait de la décision antérieure des autorités médicales de contrôle, qui pour la période litigieuse avaient admis l’incapacité de travail. La cour a également considéré que la décision de l’INASTI avait un objet propre et restreint, sans effet sur le litige.

L’arrêt de la Cour de cassation du 9 septembre 2002 (S.01.0034.F)

La Cour de cassation a cassé le dernier l’arrêt rendu par la Cour du travail de Mons, le 13 décembre 2000. Elle a rappelé que, en vertu de l’article 97, alinéa 1er, de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité (applicable à l’époque des faits), celui qui, par suite d’erreur ou de fraude, a reçu indûment des prestations de l’assurance soins de santé ou de l’assurance indemnités, est tenu d’en rembourser la valeur à l’organisme assureur qui les a octroyées.

En cas d’erreur ou de fraude, le paiement effectué par l’organisme assureur ouvre, par lui-même, le droit au remboursement. Partant, lorsque l’erreur ou la fraude concerne la cessation effective des tâches afférentes à l’activité que le travailleur indépendant assumait avant le début de son incapacité de travail, le droit de récupérer l’indu en application dudit article 97 n’est pas subordonné à la condition qu’une décision rectifiant, retirant ou annulant celle ayant reconnu initialement l’état d’incapacité de travail ait été prise.

L’arrêt qui refuse de faire droit à la demande de récupération de l’indu par le motif qu’une telle décision n’est pas intervenue viole l’article 97 de la loi du 9 août 1963.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 avril 2011

En conséquence de l’ arrêt de la Cour de cassation, l’organisme assureur demande à la Cour du travail de Bruxelles de constater la poursuite de l’activité indépendante ainsi que la fraude. L’organisme assureur réclame dès lors la totalité du remboursement de l’indu. Il faut valoir un argument à titre subsidiaire sur le délai de prescription au cas où la cour retiendrait que celui-ci ne commence à courir qu’à dater de la mise en demeure ; il formule la même demande qu’à titre principal mais pour une période restreinte, correspondante à un indu de l’ordre de 13.000€. Il postule également à titre plus subsidiaire encore que, s’il y avait lieu de retenir un délai de prescription de deux ans, l’indu serait de l’ordre de 4.300€.

La position de la cour du travail

La cour du travail reprend le libellé des articles 19 et 20 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités en faveurs des travailleurs indépendants et rappelle que la réglementation en matière de pension des travailleurs indépendants prévoit la possibilité de demander à l’INASTI l’assimilation des périodes d’incapacité de travail à une période effective d’activité. Dans l’hypothèse de l’assimilation, l’intéressé conserve le bénéfice du statut social mais est dispensé du paiement des cotisations correspondantes. La condition essentielle de l’assimilation est d’avoir d’une part cessé toute activité et d’autre part d’être reconnu en incapacité de travail.

La cour rappelle que la notion de cessation d’activité doit s’entendre de manière plus stricte que pour ce qui concerne l’indemnisation proprement dite, étant qu’est visée l’activité exercée par l’indépendant non seulement en son nom propre mais également par personne interposée s’il bénéficie en tout ou en partie des revenus produits par cette activité. Une décision de la même cour (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2009, RG n° 49 637) a appliqué cette règle au cas de l’avocat qui n’exerce pas l’activité lui-même mais qui pendant l’incapacité de travail fait appel à des collaborateurs. Il n’y a pas de cessation d’activité au sens requis.

La cour se penche ensuite sur la question de savoir s’il y a eu en l’espèce manœuvres frauduleuses, permettant d’allonger le délai de prescription. Elle rappelle que pour la Cour de cassation (Cass., 4 décembre 2006, S.05.0071.F notamment), les manœuvres frauduleuses ne se déduisent pas de la seule considération qu’un assuré social pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations à l’égard de l’organisme assureur ou encore de la constatation de la poursuite de l’activité sans déclaration. Il faut démontrer l’intention de tromper.

En l’espèce, la cour du travail considère que le refus de l’INASTI n’est pas déterminant puisque la notion de cessation d’activité à prendre en considération est plus restrictive que celle figurant dans l’arrêté royal du 20 juillet 1971.

Elle constate ensuite que l’intéressé a continué à percevoir des profits de profession libérale fort importants pour la période considérée. Après déduction de charges également importantes, il a bénéficié d’un revenu net positif (selon avertissements extraits de rôle) très appréciable. La cour constate par ailleurs que pendant la période litigieuse l’intéressé, qui détenait déjà une société anonyme effectuant des travaux d’expertise, a constitué avec deux personnes dont son épouse une société d’atelier d’architecture et qu’il en détenait la quasi-totalité des parts. Cette deuxième société a également, pendant la période considérée, généré un chiffre d’affaires très élevé.

La cour relève qu’aucune des deux sociétés ne pouvait fonctionner sans l’activité de l’intéressé, puisqu’il était seul à être inscrit à l’ordre des architectes.

Elle va dès lors rejeter les explications données vainement par celui-ci, selon lesquelles ses collaborateurs faisaient tout le travail et, par ailleurs, que les honoraires qu’il avait perçus auraient été des arriérés se rapportant à des activités précédant sa période de maladie.

Elle en conclut qu’il y a manœuvres frauduleuses, s’appuyant sur les éléments du dossier, dont les déclarations faites.

Sur la prescription, elle constate que celle-ci est acquise pour les prestations versées pendant la période qui précède les cinq années avant une lettre recommandée de mise en demeure adressée en 1991. L’indu est donc de l’ordre de 13.000€.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision réside, bien sûr, dans l’acception du terme « cessation de l’activité professionnelle » au sens de l’article 28, § 3 de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. Cette notion est plus restrictive que dans l’article 20bis de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance indemnités en faveur des travailleurs indépendants, puisqu’il s’agit de viser toute activité exercée par l’indépendant en son nom mais également par une personne interposée dans la mesure où l’intéressé bénéficie en tout ou en partie des revenus produits par cette activité.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be