Terralaboris asbl

L’employeur peut-il fouiller un vestiaire personnel au travailleur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 mai 2011, R.G. 2009/AB/52.260

Mis en ligne le mardi 5 juillet 2011


Cour du travail de Bruxelles, 2 mai 2011, R.G. n° 2009/AB/52.260

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 mai 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes en matière de droit à la vie privée sur les lieux du travail et rejette, en cas de violation de ce droit, les preuves obtenues susceptibles de constituer un motif de licenciement.

Les faits

Une nettoyeuse au service d’une société est convoquée par sa hiérarchie à un entretien. Il lui est expliqué que des effets appartenant à l’entreprise ont été découverts dans son armoire-vestiaire (couverts emballés, bouteille de champagne et bouteille de bière dans un coffret cadeau). Cette découverte a été faite, après que l’armoire avait été forcée, étant fermée à clé. Il s’agissait du vestiaire attribué à l’intéressée.

Celle-ci conteste les faits, donnant une explication. Après que la direction lui eut proposé un changement d’horaire afin qu’elle ne se trouve plus seule dans les bureaux, l’intéressée refuse celui-ci vu des problèmes de transport.

Elle est licenciée quelques semaines plus tard moyennant paiement d’une indemnité de rupture.

Elle introduit une procédure devant le tribunal du travail en licenciement abusif.

Position du tribunal du travail

Par jugement du 23 avril 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à sa demande, au motif que la preuve a été obtenue d’une manière irrégulière, c’est-à-dire en violation du droit de l’intéressée au respect de sa vie privée. La preuve est écartée.

Position de la cour du travail

La cour du travail rappelle les principes relatifs à l’administration de la preuve, étant d’une part l’étendue du droit à la vie privée et d’autre part l’admissibilité d’une preuve obtenue de manière irrégulière. En vertu de l’article 22 de la Constitution, ainsi que de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti. Des conditions sont prévues, permettant de tenir en échec le caractère absolu de ce droit, mais le champ d’application de ces dispositions est considéré comme étendu. Elles s’appliquent dans les relations entre employeurs et travailleurs, ainsi que dans le cadre des activités professionnelles en général.

La limite à l’exercice de ce droit, étant l’autorisation d’une ingérence dans la vie privée, doit se faire en tenant compte de l’attente raisonnable du citoyen à voir son droit respecté. La cour précise qu’il s’agit de déterminer concrètement, compte tenu de la nature et des circonstances du contrôle opéré, si le travailleur pouvait raisonnablement s’attendre à voir respecter sa vie privée.

La cour rappelle une abondante jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’interception de communications téléphoniques sur le lieu du travail, de surveillance des communications téléphoniques, courriels et connexions à internet, de fouille de tiroirs d’un bureau ainsi que, en dehors du contexte d’une relation de travail, l’enregistrement des communications téléphoniques.

Il en découle que tant l’article 22 de la Constitution que l’article 8 de la C.E.DH. admettent des ingérences dans la vie privée, celles-ci devant toutefois répondre à une triple condition : (i) elles doivent avoir une base légale, (ii) elles doivent poursuivre un objectif légitime et (iii) elles doivent être raisonnablement proportionnées pour atteindre cet objectif.

La cour insiste sur l’exigence d’un nécessaire équilibre entre les intérêts de l’employeur et le droit du travailleur au respect de la vie privée : il y a un contrôle de proportionnalité à exercer. La tâche du juge est dès lors de soupeser si l’objectif poursuivi par l’employeur qui s’ingère dans la vie privée du travailleur ne pouvait être atteint d’une manière moins attentatoire aux droit de celui-ci.

En ce qui concerne l’admissibilité d’une preuve obtenue de manière irrégulière, la cour pose la question de savoir si elle peut être utilisée par l’employeur dans le cadre du litige et elle rappelle les controverses existant tant en doctrine qu’en jurisprudence, la Cour de cassation ayant actuellement admis en matière pénale que toute preuve obtenue irrégulièrement n’est pas toujours inadmissible. C’est au juge de déterminer les conséquences de l’irrégularité (Cass., 2 mars 2005, Chron. D.S., 2006, p. 10 et Cass., 14 octobre 2003, R.C.J.B., 2004, p. 405). Dans un autre arrêt plus récent (Cass., 2 septembre 2009, R.G. P.09.0960.F), la Cour de cassation a confirmé que ces principes s’appliquent à la preuve obtenue au mépris d’un droit fondamental, ainsi le droit à la vie privée.

La cour rappelle encore l’arrêt de la Cour suprême du 10 mars 2008 (J.M.L.B., 2009, p. 581) en matière de chômage, qui avait balisé les critères à retenir par le juge dans son appréciation : caractère purement formel de l’irrégularité, conséquence sur le droit ou la liberté protégés par la règle violée, circonstance que l’irrégularité n’a pas été commise intentionnellement par l’autorité, que la gravité de l’infraction excède manifestement celle de l’irrégularité, irrégularité touchant uniquement un élément matériel de l’infraction, etc.

La cour applique dès lors cette démarche au cas d’espèce, étant de savoir si l’employeur établit à suffisance de droit et de manière régulière un motif lié à la conduite, à savoir un vol.

Elle retient que l’armoire-vestiaire était attribuée individuellement à la travailleuse pour y ranger ses effets personnels et qu’elle était fermée à clé, cette clé n’étant pas en possession de la direction.

Elle conclut à l’ingérence dans la vie privée de l’ouvrière, vu que le directeur a forcé la porte de l’armoire en l’absence et à l’insu de celle-ci. La circonstance qu’il ait appelé un délégué de l’organisation syndicale à laquelle elle était affiliée est considérée comme sans incidence. Le délégué syndical n’était, en effet, manifestement pas mandaté pour marquer son accord sur l’ouverture de l’armoire et ne pouvait, par sa présence, cautionner la légalité de l’acte.

L’ouvrière pouvait ainsi raisonnablement s’attendre à ce que son armoire ne soit pas ouverte sans son consentement et – a fortiori – qu’elle ne soit pas forcée en son absence. La cour renvoie encore à la jurisprudence en matière de fouille d’un sac personnel et rappelle que la Cour du travail de Bruxelles a déjà statué, précédemment, dans l’hypothèse d’un vestiaire fermé à clé (C. trav. Bruxelles, 5 octobre 2004, R.G. 42977).

Pour la cour du travail il y a ici absence de proportionnalité. La société aurait ainsi pu interroger l’ouvrière sur la disparition des objets ou l’inviter à ouvrir son vestiaire. Elle pouvait également s’adresser aux forces de l’ordre mais ne pouvait s’arroger le pouvoir de forcer de sa propre initiative la porte de l’armoire-vestiaire.

La cour conclut à l’illégalité de la preuve et constate, par ailleurs, que la société n’offre pas d’apporter la preuve d’autres faits que ceux qu’elle a constatés lors de l’ouverture de l’armoire. Elle rejette enfin que les déclarations de l’intéressée puissent constituer un aveu et rappelle que l’aveu obtenu par l’utilisation de preuves illicites est lui-même entaché d’irrégularité.

La cour réserve encore quelques considérations quant à l’application de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation aux litiges entre employeurs et travailleurs et – tout en déclarant ne pas prendre position à ce sujet – elle constate qu’à la supposer applicable, cette jurisprudence ne permettrait en tout état de cause pas de retenir les preuves ici présentées, vu que l’obtention des preuves est entachée d’un vice préjudiciable à leur crédibilité, la cour relevant par ailleurs que, vu l’ancienneté des faits, le dossier ne comporte aucune preuve - régulière ou non - de la réalité des reproches, puisque ni le représentant de l’employeur, ni le délégué syndical présent, n’ont attesté de ce qui aurait été trouvé dans le vestiaire.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles reprend en de termes succincts mais complets la controverse en matière de régularité de la preuve et, à cet égard, il fixe de manière claire, dans la ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’étendue du droit à la vie privée sur les lieux du travail et les règles qui s’imposent à l’employeur à cet égard.


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