Terralaboris asbl

Accident de travail et accident de la circulation : demande de déclaration de jugement commun faite devant les juridictions du travail

Commentaire de C. trav. Mons, 12 octobre 2010, R.G. 2009/AM/21.621

Mis en ligne le mercredi 22 juin 2011


Cour du travail de Mons, 12 octobre 2010, R.G. n° 2009/AM/21.621

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 12 octobre 2010, la Cour du travail de Mons, admet que l’entreprise d’assurances peut appeler l’assureur R.C. en déclaration de jugement commun afin d’asseoir le fondement de son recours subrogatoire.

Les faits

Un ouvrier couvreur demande réparation des séquelles d’un accident. Il explique qu’il était occupé de décharger des déchets d’une camionnette stationnée sur le parking de l’entreprise et que, s’étant mal réceptionné, il s’est tordu le pied droit.

L’entreprise d’assurance conteste l’événement soudain au motif que le fait de poser le pied à terre en descendant d’un véhicule constitue un geste banal de la vie courante, qui aurait pu être posé en tout autre temps et tout autre lieu.

L’ouvrier introduit, en conséquence, une action devant le tribunal du travail.

La position du tribunal

Par jugement du 15 janvier 2009, le Tribunal du travail de Tournai a fait droit à sa demande. L’affaire s’était compliquée, l’assureur loi ayant cité l’assureur automobile en intervention et déclaration de jugement commun. A cette demande, le tribunal répondit qu’elle était non fondée.

La position des parties en appel

L’assureur-loi interjette appel d’une part sur la question de l’événement soudain (pour lequel il persiste à considérer qu’il devrait contenir un élément spécial, distinct, épinglé comme ayant pu causer la lésion) et d’autre part sur la demande dirigée contre l’assureur automobile sur la base des articles 48bis et 48ter de la loi du 10 avril 1971. Il explique sur ce deuxième point que sa demande a pour seul objet de rendre commun et opposable le jugement intervenu et qu’il ne demande pas au tribunal de statuer sur l’application ou non de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, c’est-à-dire sur la question de l’accident de roulage, cette matière n’étant pas de sa compétence.

Les autres parties demandent la confirmation du jugement.

La position de la Cour

La cour va, dans un premier temps, longuement rappeler la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la question de l’événement soudain, qui peut très bien consister dans l’exercice habituel et normal de la tâche journalière, à la condition que dans celui-ci soit épinglé un élément qui a pu produire la lésion.

La cour va rejeter le point de vue de l’assureur-loi, qui exige un effort violent, une défectuosité du sol ou encore tout autre élément particulier qui aurait soumis l’organisme du travailleur à une agression.

Elle rappelle très judicieusement que raisonner de la sorte reviendrait à réintroduire la condition d’anormalité, rejetée de manière constante par la Cour de cassation.

Mais c’est sur la question de la demande en intervention et déclaration de jugement commun que la cour réserve des développements particuliers.

La question est en effet de savoir le sort qui sera réservé à l’accident dans le cadre de la loi du 21 novembre 1989 (article 29bis) étant de savoir si la manipulation liée au chargement ou au déchargement d’un véhicule entre dans son champ d’application. Le véhicule en question n’a en effet pas été impliqué dans un accident de la circulation mais était utilisé en tant qu’outil de travail.

L’intérêt de la question, au stade de la procédure pendante devant les juridictions du travail, est que l’article 259bis de la loi du 21 novembre 1989 dispose que, à l’exception du dommage matériel, tous les dommages résultant des lésions corporelles ou du décès causés à toute victime d’un accident de la circulation (ou à ses ayants droit) dans lequel est impliqué un véhicule automoteur sont indemnisés par l’assureur couvrant la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du détenteur du véhicule – sauf s’il y a faute inexcusable dans le chef de la victime, qui serait la seule cause de l’accident.

Il y aura dès lors des situations de concours lorsque l’accident en cause constitue également un accident du travail.

Dans la loi du 10 avril 1971, les règles de concours sont prévues aux articles 48bis et 48ter : (i) l’entreprise d’assurances doit payer les indemnités légales, (ii) il ne peut y avoir cumul des indemnisations et (iii) l’entreprise d’assurances (ainsi que le FAT) ont une action subrogatoire à concurrence de leurs débours contre l’assureur responsabilité civile ou le Fonds commun de garantie automobile dans la limite des droits que la victime aurait pu exercer en vertu de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989.

La cour du travail relève que l’action subrogatoire est l’action de droit commun, qui relève de la compétence des juridictions civiles et non de celle des juridictions sociales. Il s’agit d’une action absolument distincte de l’action de la victime en reconnaissance de l’accident.

Cependant, l’entreprise d’assurances étant subrogée dans les droits de la victime à concurrence de ses décaissements, la cour rappelle qu’elle a le droit de poser les bases de son éventuelle action subrogatoire future en faisant appeler en déclaration de jugement commun le tiers responsable devant le tribunal du travail. Le but de cet appel en déclaration de jugement commun est d’éviter qu’il puisse ultérieurement invoquer la relativité de la chose jugée.

Il y avait dès lors lieu, pour la cour du travail, de faire droit à la demande en déclaration de jugement commun qui a un caractère purement conservatoire et n’implique nullement que l’action subrogatoire soit déclarée fondée. Le juge qui sera saisi de l’action subrogatoire devra décider si l’accident du travail, qui a été admis comme tel par les juridictions du travail, constitue ou non un accident de la circulation au sens de l’article 29bis. C’est la base de l’action subrogatoire, mais qui devra être jugée sans référence à la loi du 10 avril 1971. Cette question échappe, pour la cour, à la compétence des juridictions du travail.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt est double, puisque

  • la cour y rappelle, dans une jurisprudence constante, que les faits tels qu’ils sont décrits (à les supposer bien sûr dûment établis) constituent un événement soudain ;
  • en ce qui concerne la demande en intervention et en déclaration de jugement commun, l’arrêt rappelle le principe selon lequel l’entreprise d’assurances, tenue à indemniser dans le cadre de la loi du 10 avril 1971, peut poser dans cette procédure les bases de son recours subrogatoire ultérieur : c’est, cependant, le juge saisi de la notion d’accident de la circulation qui devra statuer sur le fondement.

Sur ce deuxième point, il peut être noté que dans un arrêt du 4 octobre 2010 (R.G. n° 2005/AB/46785), la Cour du travail de Bruxelles a rappelé que, pour qu’il y ait accident de la circulation, il faut qu’il y ait déplacement de véhicule. La cour du travail fait référence dans sa décision à un arrêt de la Cour de justice Benelux A83/2 du 23 octobre 1984. En conséquence, un accident survenant lors du déchargement d’un véhicule à l’autre ne répond pas à cette condition.

Par ailleurs, dans un arrêt du 6 février 2009 (C.07.0341.N), la Cour de cassation a considéré que, vu les constatations de l’espèce, selon lesquelles l’accident était un accident du travail étranger à toute participation à la circulation routière des moyens de transport, des piétons ou des animaux visés par le code de la route, sans rapport avec les risques de la circulation routière, il ne pouvait être considéré qu’il s’agissait d’un accident de la circulation.


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