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Allocations familiales pour travailleurs indépendants : conséquences sur la récupération de l’indu de déclarations inexactes ou incomplètes

Commentaire de C. trav. Mons, 14 janvier 2011, R.G. 2005/AM/19.682

Mis en ligne le vendredi 22 avril 2011


Cour du travail de Mons, 14 janvier 2011, R.G. n° 2005/AM/19.682

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 14 janvier 2011, la Cour du travail de Mons, rappelle la distinction à faire, en ce qui concerne les déclarations d’un travailleur indépendant quant à sa qualité d’attributaire d’allocations familiales. La cour examine celles-ci sous l’angle de la prescription de la demande de récupération de l’indu.

Objet du litige

La cour du travail est saisie d’une demande de récupération d’allocations familiales payées indument pour un période du 1er janvier 1993 au 31 mars 1996. Un premier arrêt a été rendu, dans lequel le caractère indu des prestations est acquis. Reste, cependant, à régler deux questions étant d’une part celle du délai de prescription applicable pour la récupération et d’autre part une demande formulée par la mère relative au remboursement de récupérations opérées par retenues compensatoires.

Position de la cour du travail

En ce qui concerne le délai de prescription applicable à la récupération, l’arrêté royal du 8 avril 1976 établissant le régime des prestations familiales en faveur des travailleurs indépendants, tel qu’applicable à l’époque, contient une règle (art. 40, § 1er) fixant le délai de prescription à trois ans (porté à cinq ans depuis l’arrêté royal du 7 septembre 2003). Celui-ci est de trente ans si les prestations payées indument ont été obtenues à la suite de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes.

La question est de savoir si une déclaration inexacte (étant une déclaration d’affiliation dont il ressort que la mère est reprise comme administratrice d’une société coopérative et son époux comme conjoint aidant – alors que ce dernier était administrateur de la société et administrateur unique) a ou non un caractère frauduleux.

L’intéressée avait tenu pour responsable de cette déclaration le préposé du secrétariat social et avait déposé une plainte contre lui, pour faux en écriture. Vu le classement sans suite de cette plainte, des éléments permettent de constater qu’une confusion existait quant au statut du mari et qu’un renseignement avait été repris par le secrétariat social dans les documents administratifs, présentant celui-ci comme n’étant plus indépendant (suite à une faillite). Il y a, dès lors, erreur du secrétariat social et la cour relève que de ce fait il est plausible que le délégué de la caisse d’assurances sociales ait pu croire de bonne foi qu’il avait, de ce fait, le statut d’aidant de son épouse, nouvelle affiliée. Vu d’autres éléments de fait relevés dans le dossier pénal, étant les déclarations de l’intéressée essentiellement, la cour arrive à la conclusion qu’il n’y a pas faux en écriture mais que les circonstances dans lesquelles la déclaration inexacte a été recueillie permettent de conclure à l’absence de toute intention malicieuse.

Et c’est précisément le critère que la cour du travail va exiger, pour que soit retenu le recours à des manœuvres frauduleuses : il faut que la personne ait la volonté de tromper ou d’obtenir un avantage auquel elle n’a pas droit. La simple méconnaissance de la loi et le seul fait de ne pas procéder à une déclaration – même si celle-ci est imposée par la loi – ne constituent pas la manœuvre frauduleuse requise, dès lors qu’il n’y a pas intention de tromper.

Reprenant ensuite la doctrine (J.-F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, Larcier, 2006, p. 73 et s.), la cour rappelle la définition de la déclaration inexacte : c’est celle qui est sciemment contraire à la vérité, ainsi que celle de la déclaration incomplète : c’est celle remplie par l’assuré social qui savait, du fait de ce caractère incomplet, qu’il allait bénéficier de l’octroi d’un avantage.

C’est également, ainsi que le retient la cour du travail, l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 17 sept. 1979, Pas., 1980, I, p. 49).

En l’espèce, il ressort des éléments de fait que, si l’on est en présence d’une déclaration inexacte, l’on ne peut considérer que celle-ci a été faite sciemment. De ce fait, le délai de prescription applicable n’est pas celui de trente ans.

Vu l’ancienneté de la période concernée, vu par ailleurs l’absence d’acte interruptif valablement intervenu, la cour conclut à la prescription de la demande de répétition de l’indu.

Elle rappelle encore que la caisse ne peut se prévaloir d’une lettre recommandée qu’elle aurait adressée à l’intéressée. En effet, les exigences de l’article 40, alinéa 2 de l’arrêté royal du 8 avril 1976 sont précises : les causes de prescription sont, en la matière, non seulement celles du Code civil mais également l’interruption par la réclamation des paiements indus notifiés au débiteur par lettre recommandée à la poste. Toute lettre recommandée ne peut dès lors avoir ce caractère. Il faut, pour interrompre la prescription dans le cadre de l’action en recouvrement, une lettre recommandée par laquelle la caisse d’assurances sociales réclame les paiements indus.

Cette notion est également explicitée par la cour, dans l’interprétation qu’elle donne à l’article 1139 du Code civil (selon lequel le débiteur est constitué en demeure par une sommation ou par un autre acte équivalent) : est exigé un acte contenant une interpellation dont le débiteur a dû nécessairement induire qu’il était mis en demeure (et la cour rappelle ici également l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 28 mars 1994, Pas, 1994, I, p. 317).

Elle précise encore que, pour valoir acte interruptif de prescription, l’acte en cause ne doit laisser planer aucun doute dans l’esprit du débiteur. En conséquence, si la mention de l’interruption de la prescription est considérée comme idéale, la cour admet également que puisse être exprimée clairement la volonté du créancier de voir exécuter l’obligation principale en cause. C’est la notion de réclamation telle que reprise dans la réglementation ici applicable. Ces exigences ne sont pas rencontrées en l’espèce, vu que la lettre recommandée n’exprime pas clairement la volonté de la caisse de récupérer les paiements indus.

Par ailleurs, statuant sur les retenues compensatoires, la cour constate, en deux attendus, que dès lors la prescription affecte l’exigibilité de la dette et que l’action en récupération d’indu est prescrite, la dette n’était pas exigible. De ce fait, les retenues compensatoires ont été réalisées sans base légale. Le droit de retenue compensatoire présuppose en effet l’existence non contestée d’un indu sujet à répétition, c’est-à-dire l’existence d’une dette liquide et exigible.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons est intéressant à deux titres, d’une part en ce qu’il rappelle la distinction fondamentale entre une déclaration fausse ou sciemment incomplète d’une part et une déclaration inexacte ou (seulement) incomplète de l’autre, ainsi que les effets de celles-ci sur la prescription.

La cour reprécise, par ailleurs, les exigences relatives à une mise en demeure qui se veut interruptive de prescription.


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