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Droit à la GRAPA - droit propre - application du règlement européen (CE) 1408/71 – prestation spéciale à caractère non contributif

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2011, R.G. 2009/AB/52.657

Mis en ligne le mardi 8 mars 2011


Cour du travail de Bruxelles, 13 janvier 2011, R.G. 2009/AB/52.657

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 13 janvier 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, en vertu du règlement 1408/71 et de la jurisprudence de la CJUE, la GRAPA ne relève pas d’une prestation réservée sur une base non discriminatoire aux seuls travailleurs (et non à leur famille).

Les faits

Une Italienne vit en Belgique depuis 1990 avec son époux, également italien. Celui-ci bénéficie d’une pension, complétée par une somme calculée sur la base du revenu garanti aux personnes âgées (GRAPA). L’intéressée n’a quant à elle jamais travaillé, ni en Belgique ni à l’étranger.

Elle introduit une demande auprès de l’ONP et, après diverses vicissitudes administratives, le bénéfice de la GRAPA lui est refusé définitivement.

Elle introduit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui fait droit à la demande.

L’ONP interjette appel.

Position des parties devant la Cour

Pour l’ONP, l’intéressée ne relève pas d’une des catégories visées à l’article 4 de la loi du 22 mars 2001, qui a institué la garantie de revenus aux personnes âgées. L’ONP relève qu’il s’agit de prestations non contributives et que l’intéressée ne peut être considérée comme tombant sous l’application du règlement (CE) 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971.

Celle-ci plaide que la GRAPA est une prestation au sens de l’article 4, § 2bis du règlement (CE) 1408/71 et qu’elle est régie par les conditions prévues à l’article 10bis du même texte. Elle considère que, en tant que membre de la famille d’un salarié, elle doit bénéficier de l’égalité de traitement. Elle demande à la Cour de rejeter la thèse de l’ONP, selon laquelle les membres de la famille d’un travailleur ne peuvent prétendre qu’à des droits dérivés.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail rappelle d’abord les types de bénéficiaires de la GRAPA énumérés à l’article 4 de la loi, dont le 2° est ici en cause, étant les personnes qui tombent sous l’application du règlement CEE n° 1408/71. La Cour poursuit en précisant que cette liste doit être complétée par les ressortissants d’un Etat partie à la Charte sociale européenne, en application de la loi du 6 mai 2009 (Moniteur Belge, 19 mai 2009 – dont l’entrée en vigueur n’est pas encore connue, cependant). Cette extension est en l’occurrence sans incidence.

La Cour rappelle, ensuite, les caractéristiques de la GRAPA : il s’agit d’un droit propre et la Cour reprend l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 juin 2010 (C. const., 10 juin 2010, n° 69/2010), qui a repris toute l’évolution de ce droit. L’extension progressive du champ d’application personnel de la GRAPA s’est, selon la Cour constitutionnelle, faite dans la double perspective de satisfaire aux exigences nées des engagements internationaux de la Belgique, tout en imposant un lien avec le pays et en maintenant un certain parallélisme avec les autres régimes non contributifs.

Pour la Cour du travail, sont ainsi traités sur le même pied les personnes de nationalité belge, les apatrides, les refugiés reconnus, les personnes qui tombent sous l’application du règlement CE ou qui ressortissent d’un Etat avec lequel la Belgique a conclu une convention de réciprocité, ainsi encore que les autres personnes de nationalité étrangère pour autant qu’elles puissent établir un droit ouvert à une pension belge.

En l’espèce, l’intéressée a sa résidence principale en Belgique, elle est de nationalité italienne et le seul point à régler est de savoir si elle rentre dans la catégorie de personnes tombant sous l’application du règlement (CE) 1408/71.

Celui-ci vise en effet les régimes de sécurité sociale « généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs ». Il définit ce qu’il y a lieu d’entendre par « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » et la Cour de Justice est intervenue pour confirmer que la GRAPA belge figure parmi ce type de prestations. La Cour du travail renvoie également à l’article 70 du nouveau règlement (CE) 883/2004, entré en vigueur le 1er mai 2010.

Si l’ONP ne conteste pas que la GRAPA relève du champ d’application du règlement européen, il conteste en l’occurrence que l’intéressée appartienne à la catégorie de travailleurs soumis ou ayant été soumis au régime de sécurité sociale d’un ou de plusieurs Etat(s)-membre(s) de l’UE. En effet, elle n’est pas un travailleur (ni salarié ni non salarié), n’ayant jamais eu d’activité professionnelle, n’ayant non plus jamais cotisé à un régime de sécurité sociale.

La Cour rappelle cependant que le règlement (CE) 1408/71 s’applique non seulement aux travailleurs mais également aux membres de leur famille. L’intéressée est, en l’espèce, membre de la famille d’un travailleur salarié, étant l’épouse d’un travailleur italien qui a été occupé en Belgique et qui bénéficie en Belgique d’une pension (d’origine étrangère) et d’une GRAPA prévue par la loi belge. Elle est dès lors, au sens du règlement, membre de la famille de ce travailleur.

La Cour rejette, en conséquence, la thèse de l’ONP, dont elle rappelle qu’elle reviendrait à considérer qu’un membre de la famille d’un travailleur, qui lui-même entre dans le champ d’application personnel du règlement, se trouverait exclu du régime de la GRAPA s’il ne pouvait démontrer un droit personnel à un régime de sécurité sociale belge ou encore à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat-membre de l’UE. Cette condition n’est, comme le rappelle la Cour, pas requise dans le chef d’un ressortissant belge.

La Cour aborde également la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dont les fameux arrêts GAYGUSUZ (CEDH, 18 septembre 1997, req. 17371/90, Rec., 1996-IV, n° 14) et STEC (CEDH, 6 juillet 2005, req. 65731/01 et 65900/01). Cette jurisprudence n’ayant pas fait l’objet de débats, la Cour estime cependant pouvoir trancher en l’état, les éléments de droit européen étant suffisants pour vider le litige.

Si les Etats-membres ont la liberté de déterminer les conditions auxquelles une personne doit répondre pour bénéficier d’un régime de sécurité sociale relevant du règlement (CE) 1408/71, ces conditions de droit national ne peuvent pas avoir pour conséquence d’exclure une personne qui entre dans le champ d’application du règlement alors que ces mêmes conditions ne sont pas exigées pour les nationaux. Il s’agit de l’obligation de respecter le principe d’égalité de traitement, qui interdit toute discrimination sur la base de la nationalité, dans les domaines d’application du traité. Ce principe est confirmé dans l’article 3 du règlement (CE) 1408/71 notamment, et ce pour les matières de sécurité sociale précisées en son article 4. Il ne peut, non plus, pour la Cour, être fait appel à la jurisprudence européenne, qui a affirmé l’exigence d’un droit propre et non dérivé : pour la Cour, cette restriction – d’ailleurs précisée dans divers arrêts de la Cour de Justice, dont CABANIS-ISSARTE (CJCE, 30 avril 1996, C-308/93, Rec., p. 2097) – ne s’applique pas ici, dans la mesure où elle vise les prestations qui ont vocation à s’appliquer exclusivement aux travailleurs, ainsi les allocations de chômage. La Cour précise également que, dans l’arrêt ci-dessus, la Cour de Justice a rappelé que les distinctions entre droit propre et droit dérivé ont tendance à s’estomper, eu égard à la tendance à l’universalisation de la couverture de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

Cet important arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, rendu en matière de prestations non contributives et de leur application en droit européen, rappelle que, depuis 2001, le droit à la GRAPA a été individualisé : il s’agit d’un droit propre dans le chef du demandeur alors que, précédemment, existait un « taux ménage ». En l’occurrence, la Cour rappelle également qu’avant cette modification législative, l’époux de l’intéressée aurait pu obtenir ce taux et que celle-ci en aurait bénéficié indirectement dans des conditions identiques.

La décision rappelle enfin que la distinction opérée dans les différents systèmes nationaux entre ce qui est droit propre et ce qui est droit dérivé est sans incidence lorsqu’il s’agit d’une prestation dont peut bénéficier la famille d’un travailleur. Les membres de cette famille doivent se voir appliquer la législation sociale de l’Etat du travailleur dans les mêmes conditions que les nationaux. Cette règle ne vaut bien sûr pas lorsqu’il s’agit d’une prestation dont seul le travailleur peut revendiquer le bénéfice, et ce sur une base non discriminatoire, ce qui n’est pas le cas de la GRAPA.


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