Terralaboris asbl

Prestation à l’étranger : point de départ de l’action en récupération

Commentaire de C. trav. Liège, 1er avril 2010, R.G. 2003/AL/31.708

Mis en ligne le lundi 7 février 2011


Cour du travail de Liège, 1er avril 2010, R.G. n° 2003/AL/31.708

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 1er avril 2010, la Cour du travail de Liège règle un cas d’application de l’article 45 du Règlement communautaire 574/72, qui organise les modalités de paiement de prestations de sécurité sociale à titre provisionnel.

Les faits

Un assuré social introduit un demande devant le tribunal du travail de Liège en paiement de la différence entre le taux auquel il prétend (chef de ménage) et celui perçu (isolé) pour une période débutant le 14 novembre 1989.

Par conclusions déposées le 18 novembre 1996 (ainsi que le 5 septembre 2001), l’organisme assureur introduit une demande reconventionnelle en remboursement d’un montant supérieur à 11.000€. Il s’agit d’une demande de remboursement d’indu compte tenu d’une pension perçue en Italie (pension payée par l’INPS) par application des règles européennes et notamment des Règlements CEE 1408/71 et 574/72.

L’organisme assureur assigne également l’INAMI en intervention et garantie.

Position du tribunal du travail

Le tribunal du travail de Liège considère la demande originaire non fondée vu la prescription. Par contre, l’action en répétition d’indu introduite à titre reconventionnel est déclarée fondée et l’intéressé est condamné à rembourser. Le tribunal déclare, enfin, non fondée la demande d’intervention en garantie, et ce vu que l’organisme assureur n’est condamné à aucune somme envers l’intéressé.

L’appel

L’intéressé forme appel du jugement maintenant sa demande originaire et demandant que l’action de l’organisme assureur soit déclarée prescrite, vu qu’elle concerne les réclamations antérieures à novembre 1994 (les premières conclusions étant déposées en novembre 1996).

Position de la Cour du travail

La Cour se prononce essentiellement sur la prescription de l’action originaire et de l’action reconventionnelle.

Quant à l’action originaire, il n’est plus contesté qu’elle est prescrite, n’ayant pas été introduite dans les deux ans à partir de la fin du mois au cours duquel les prestations devaient être payées.

Quant à l’action en récupération intentée par l’organisme assureur, la Cour du travail rejoint le tribunal en ce qu’il a déclaré celle-ci non prescrite. En effet, le paiement par l’organisme assureur a eu lieu à titre provisionnel sur la base de l’article 45 du Règlement européen 574/72. L’INAMI n’a été informé par l’organisme italien de la non récupération des sommes payées à l’intéressé au titre de pension qu’en date du 27 juin 2000. Pour la Cour, c’est donc seulement à partir de cette date que l’organisme assureur a été averti de manière certaine de la double indemnisation donnant lieu à la récupération sur la base de l’article 136 de la loi du 14 juillet 1994.

La Cour rencontre, cependant, un argument contenu dans les conclusions déposées au nom de l’intéressé (entre-temps décédé), argument fondé sur l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 19 juin 2003 (en cause P/INPS, arrêt n° C-34/02), qui qualifierait une telle situation comme contraire au droit européen.

La Cour du travail constate que cette position ne peut être suivie dans le cas d’espèce. En effet, en vertu de l’article 45 du Règlement CEE 574/72 (§ 1er), si l’institution d’instruction constate que le requérant a droit aux prestations au titre de la législation qu’elle applique sans qu’il soit nécessaire de tenir compte des périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous la législation d’autres Etats membres, elle verse immédiatement ces prestations à titre provisionnel. Elle informe le requérant en attirant explicitement son attention sur le caractère provisoire et non susceptible de recours de la mesure prise à cet effet (§ 4). La Cour relève que l’intéressé a signé un document « subrogation » en son temps : il était donc parfaitement au courant du caractère provisoire des paiements, ce qui ressort d’ailleurs expressément du libellé du document.

La Cour relève que les Règlements 1408/71 et 574/72 ne comportent pas de règle générale de prescription trouvant leur fondement dans le droit communautaire. Ceci a d’ailleurs été confirmé dans l’arrêt de la Cour de Justice sur lequel s’appuie le demandeur, puisque la Cour y a rappelé que ces règlements n’assurent que la coordination des législations nationales en matière de sécurité sociale. C’est donc le droit national qui est applicable à une situation résultant du paiement indu à un intéressé qui percevrait plusieurs pensions en raison de son affiliation à des régimes de sécurité sociale de différents Etats. Le droit national doit cependant respecter le principe communautaire d’équivalence, principe qui impose que les modalités procédurales de traitement de situations trouvant leur origine dans l’exercice d’une liberté communautaire ne soient pas moins favorables que celles concernant le traitement de situations purement internes, ainsi que le principe communautaire d’effectivité, qui impose que ces modalités procédurales ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits résultant de la situation d’origine communautaire.

Ces principes s’appliquent à l’ensemble des modalités procédurales de traitement de situations qui trouvent leur origine dans l’exercice d’une liberté communautaire, que ces modalités soient de nature administrative ou judiciaire, telles les dispositions nationales applicables à la prescription et à la répétition de l’indu ou celles imposant aux institutions compétentes de prendre en considération la bonne foi des intéressés ou de contrôler régulièrement leur situation en matière de pensions (texte de l’arrêt de la Cour de Justice).

La Cour du travail reprend, en conséquence, l’article 174, 5° de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, qui prévoit un délai de deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel le paiement des prestations indues a été effectué, disposition qui contient une exception, dans le cadre de l’article 132 § 2, étant que l’organisme assureur doit exercer son droit de subrogation vis-à-vis de l’organisme belge ou étranger débiteur d’une prestation indemnisant la même incapacité de travail. Le droit de l’organisme assureur d’introduire une action en récupération ne naît, en conséquent, qu’au moment où l’assuré social reçoit le paiement en vertu de la législation étrangère conformément au règlement communautaire européen et que l’organisme belge en a été prévenu : ce n’est qu’à ce moment que la prescription de l’action en récupération prend cours (la Cour renvoyant à C. trav. Mons, 29 juin 1994, Bull.inf. INAMI, 1995/2 p. 112 ainsi qu’a Cass., 12 février 1975, Pas., 1975, I, 624).

Reprenant les éléments de fait, la Cour du travail retient que l’INAMI n’a été informé d’une décision prise par l’INPS d’Agrigente que le 14 avril 1998 et que l’INAMI n’a été informé par l’INPS que le 27 juin 2000 de sa décision de ne pas poursuivre la récupération de son côté. Pour la Cour du travail ce n’est que le 27 juin 2000 que l’INAMI a pu savoir que les sommes versées en Italie étaient restées définitivement acquises à l’intéressé et qu’en conséquence une récupération pour cumul avec les prestations belges pouvait être tentée.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail commenté reprend les règles applicables en matière de versement provisionnel de prestations telles que définies par l’article 45 du Règlement CEE 574/72 et rappelle l’enseignement de la Cour de Justice des Communautés Européennes, selon lequel il faut se reporter aux dispositions nationales applicables en matière de prescription et de répétition d’indu, en respectant, cependant, le principe communautaire d’équivalence et celui d’effectivité.


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