Terralaboris asbl

Activation des chômeurs et sanction : examen de proportionnalité au regard de l’article 6, 1° de la C.E.D.H.

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 17 novembre 2009 et 22 juin 2010, R.G. 8.825/09

Mis en ligne le mercredi 17 novembre 2010


Cour du travail de Liège (Namur), 17 novembre 2009 et 22 juin 2010, R.G. 8.825/09

TERRA LABORIS ASBL

Dans deux arrêts des 17 novembre 2009 et 22 juin 2010, la Cour du travail de Liège analyse la nature de la sanction prévue par l’article 59quinquies de l’A.R. du 25 novembre 1991, notamment au regard de l’article 6, 1° de la C.E.D.H. et conclut qu’il s’agit d’une sanction pénale mais qui doit respecter le principe de proportionnalité.

Les faits

M. D. est exclu pendant quatre mois du bénéfice des allocations d’attente au motif qu’il n’a pas respecté les engagements souscrits dans le contrat signé le 16 juin 2008 au cours du premier entretien d’évaluation de son comportement de recherche active d’emploi. Il introduit un recours devant le tribunal du travail de Namur à l’encontre de cette décision.

Le jugement a quo

Par un jugement du 4 juin 2009 (R.G. n°08/2505/A), la 6e chambre du tribunal annule la décision du directeur, considérant que les obligations contractuelles ont été respectées ou remplacées par une autre démarche (au lieu de recontacter le FOREm, le chômeur s’est rendu au carrefour emploi).

La position des parties en appel

M.D. ne comparait pas. L’ONEm soutient que le contact avec le FOREm constitue une démarche de base et que les preuves de recherche d’emploi n’ont pas été communiquées.

L’arrêt du 17 novembre 2009

La Cour du travail analyse tout d’abord le rôle du juge en matière d’exclusion pour non-respect du contrat d’activation. Elle relève que, plutôt que de parler de contrat, il eût été plus judicieux de parler d’engagements unilatéraux mais qu’il n’empêche que le chômeur est tenu de les respecter, sans que leur caractère adéquat puisse être remis en cause par le juge.

Par contre, dès lors qu’un pouvoir est donné aux facilitateurs de vérifier le respect par équivalent du contrat (Vade mecum à l’usage des facilitateurs, ONEm 2005 p.34), le juge peut aussi procéder à cette appréciation.

La Cour du travail décide qu’en l’espèce, au vu des éléments de la cause, le principe d’une sanction s’imposait.

Elle s’interroge ensuite sur ses modalités et ordonne la réouverture des débats en relevant que l’arrêté royal ne permet pas, dans le cadre de la procédure d’activation, de moduler la sanction.

L’arrêt du 22 juin 2010

La Cour du travail analyse tout d’abord la nature de la mesure d’exclusion au regard de l’article 6 .1° de la C.E.D.H. Elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme, pour qualifier une mesure de sanction en matière pénale, a recours à 3 critères : la qualification juridique de l’infraction selon le droit national, la nature de l’infraction et enfin la nature et la gravité de la sanction et qu’il suffit qu’un de ces critères soit présent pour que cette qualification soit retenue.

La mesure n’est pas qualifiée d’infraction en droit belge. Mais la réglementation sur le chômage vise l’ensemble des bénéficiaires des allocations et la mesure de l’article 59quinquies a un caractère à la fois répressif et dissuasif. En outre, les sanctions - financièrement très lourdes - ont un objectif dissuasif et répressif. Elles sont donc de nature pénale. La Cour du travail partage donc l’avis de J. F. Neven et E. Dermine sur le caractère pénal de la sanction (Le contrôle de l’obligation pour les chômeurs de rechercher activement un emploi in Actualités de droit social, CUP, n° 116, p. 132).

Le principe de proportionnalité de la sanction permet alors d’appliquer une mesure inférieure à celle prévue par le texte réglementaire si celle-ci est disproportionnée par rapport à l’infraction commise. L’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation en matière fiscale (Cass., 12/12/2008, Pas., n°726 et Cass. 13/02/2009, Pas., n°121) permet à la Cour de conclure que le juge peut, lorsqu’une sanction a une nature pénale, disposer de plus de pouvoirs que l’administration.

Eu égard aux efforts fournis par le chômeur, qui lui ont permis de quitter le chômage, la Cour juge la sanction de 4 mois tout à fait disproportionnée et déraisonnable et la remplace par un avertissement.

La question d’une discrimination entre les bénéficiaires d’allocations devient ainsi sans intérêt.

Intérêt des décisions

La première confirme l’analyse sur les pouvoirs du juge de vérifier par équivalent le respect par le chômeur de ses engagements adoptée notamment par la Cour du travail de Mons dans l’arrêt du 19 mai 2010 également commenté.

Par contre, la Cour du travail de Liège adopte, au sujet de la nature de la mesure une analyse totalement différente de celle retenue par cet arrêt. Le débat est donc loin d’être clos…


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