Terralaboris asbl

Critères permettant de retenir la qualité de représentant de commerce

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mai 2010, R.G. 2008/AB/50.895

Mis en ligne le vendredi 5 novembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 5 mai 2010, R.G. 2008/AB/50.895

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 mai 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que peut bénéficier de la qualité de représentant de commerce l’employé dont les fonctions sont itinérantes et qui démontre la réalité d’activités de prospection et de visite de la clientèle en vue de la négociation ou de la conclusion d’affaires.

Les faits

Un contrat d’emploi est signé entre un travailleur et une société, pour des fonctions de « Business Development Executive » le 1er mars 2004.

En cours d’exécution du contrat, un avenant est signé, par lequel des commissions sur les commandes enregistrées par la société sont allouées à l’employé, commissions dont le mode de calcul et le taux sont arrêtés de manière précise, ainsi qu’un objectif en termes de budget à atteindre.

Un désaccord survient entre les parties en ce qui concerne les conditions de prestation et la société fait parvenir à l’employé un contrat d’agent commercial indépendant, ce qu’il n’accepte pas.

Quelques jours après l’intervention de son conseil, il est licencié, moyennant préavis de 3 mois. Ce préavis sera presté.

Une procédure est introduite en paiement d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’une indemnité d’éviction (et des commissions).

Le jugement du Tribunal du travail

Par jugement du 22 janvier 2008, le Tribunal du travail de Nivelles accueille partiellement la demande, statuant sur le complément d’indemnité complémentaire de préavis. Le Tribunal réserve le poste de commissions et déboute l’employé du surplus de sa demande.

Celui-ci interjette appel.

Position des parties devant la Cour

L’employé fait valoir des éléments relatifs au calcul de l’indemnité complémentaire de préavis mais, surtout, persiste dans sa réclamation d’une indemnité d’éviction. Il estime avoir exercé les fonctions de représentant de commerce et avoir apporté une clientèle à la société.

Celle-ci conteste devoir un complément d’indemnité compensatoire de préavis, vu les données de l’espèce. Elle conteste en outre la base de calcul des intérêts.

Les parties sont également opposées sur la question des dépens, le demandeur ayant formé une demande de répétibilité des frais et honoraires d’avocat, et ce avant la modification de l’article 1022 du Code judiciaire par la loi du 21 avril 2007.

Position de la Cour

Sur l’indemnité compensatoire de préavis, la Cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation et insiste sur le fait que le juge est tenu de se fonder uniquement sur les éléments existant au moment du congé. Il ne peut avoir égard aux événements ultérieurs et particulièrement à la circonstance que l’intéressé se serait reclassé très rapidement.

Eu égard aux éléments propres à la cause (1 an et 8 mois d’ancienneté, une rémunération de base de l’ordre de 96.000 €, un âge de 45 ans et des fonctions de « Business Development Executive »), la Cour retient que les premiers juges ont adéquatement fixé la durée du préavis à 5 mois. Reste, ainsi, dû un complément de 2 mois.

Sur l’indemnité d’éviction, la Cour reprend les fonctions contractuellement convenues, considérant qu’elles semblent désigner un « responsable commercial ». Ceci n’implique pas, mais n’empêche pas non plus, que l’intéressé ait pu avoir la qualité de représentant de commerce, qualité qui peut apparaître de l’examen des fonctions effectivement exercées.

Pour la Cour, il n’y pas lieu à cet égard de se limiter à une « job description ». C’est le travail effectué qui va déterminer si l’employé peut revendiquer ou non ce statut : il faut dès lors voir s’il avait pour mission principale de prospecter et de visiter la clientèle en vue de la négociation ou de la conclusion d’affaires.

L’employeur soutient à cet égard que ses responsabilités portaient sur le développement et le « management » efficace des relations clientèle selon la mission et la politique de qualité de la société. Il considère qu’était également visée une « communication efficiente » ainsi que le suivi des clients et la collection des plaintes.

Enfin, il fait valoir le caractère sédentaire des tâches, à titre principal.

La Cour se livre à un examen des conditions d’exécution du travail et retient que le contrat prévoit que l’employé effectuera tous les déplacements nécessaires à la bonne exécution de son travail, ayant à sa disposition un véhicule de fonction et une carte de carburant couvrant ses déplacements professionnels.

Le dossier établissant qu’il avait pour mission de contacter et de visiter les clients (en ce compris les clients potentiels) en vue de développer les affaires, la Cour constate la réalité de visites de clients et de prospects en Belgique et à l’étranger, ainsi que la présence à des foires commerciales et des congrès dans lesquels il travaillait à établir des listes de prospects et à prendre des rendez-vous. En outre, d’autres éléments du dossier, ainsi des notes de frais, vont permettre de relever que l’activité déployée générait des frais importants à charge de l’employeur, ce qui confirme la réalité de déplacements nombreux, des rendez-vous, des dîners d’affaires, etc.

L’ensemble de ces éléments est, pour la Cour, de nature à établir le caractère itinérant des fonctions et la réalité d’activité de représentation commerciale.

La Cour en conclut, s’appuyant d’ailleurs sur d’autres éléments factuels, que le demandeur a eu une double activité : d’une part une activité de prospection et, d’autre part, une activité de négociation et de conclusion d’affaires. L’activité de prospection résulte des contacts pris, et ce par des moyens divers et notamment par la visite de clientèle. Des documents contractuels fixent d’ailleurs les objectifs à atteindre et le mode de calcul des commissions. Quant à l’activité de négociation et de conclusion d’affaires, elle résulte d’échange de courriels internes, faisant notamment état de finalisation de projets et d’affaires en cours à la fin de la période de préavis.

La Cour examine ensuite la question de l’apport de clientèle, la société soutenant l’inexistence de celui-ci. Pour la Cour, cet apport est bien réel et il est non négligeable (environ 17 clients). Le nombre de nouveaux clients apportés ne doit pas être notable et elle rappelle qu’il faut tenir compte de la nature du produit offert, ainsi que de la particularité des affaires traitées par le représentant de commerce et de l’importance du chiffre d’affaires généré par son activité. Par ailleurs, l’apport résulte non seulement de la constatation de nouveaux clients mais également du développement de la clientèle existante.

Statuant, enfin, sur les intérêts et les dépens, la Cour retient que les intérêts devaient être calculés sur le brut, dans la mesure où le droit au paiement est né, en l’espèce, après le 1er juillet 2005. Quant aux dépens, vu la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d’avocats et son arrêté royal d’exécution du 26 octobre 2007, les indemnités de procédure sont fixées de manière forfaitaire et, s’agissant, en l’espèce, d’une demande se situant entre 40.000,01 € et 60.000 €, le montant de base est de 4.500 € par instance. La Cour retient que le travailleur l’ayant emporté en grande partie en son appel principal et la société succombant en son appel incident, celle-ci doit être condamnée à l’ensemble des dépens, soit à deux fois 4.500 € plus les frais de citation.

Intérêt de la décision

Nous retiendrons essentiellement la question de l’analyse des fonctions, en vue de déterminer s’il y lieu de qualifier le contrat au sens de l’article 4 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, soit un contrat de représentant de commerce. La Cour rappelle non seulement qu’il faut examiner la nature de l’activité (prospection et visites) mais également que la mission principale du représentant doit être de tendre à la négociation ou la conclusion d’affaires. Quant à l’apport de clientèle, celui-ci doit être apprécié essentiellement en fonction du produit offert et du chiffre d’affaires généré.


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