Terralaboris asbl

Notions d’inaptitude et d’aptitude limitée ou partielle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 juin 2010, R.G. 2007/AB/50.031

Mis en ligne le jeudi 28 octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 30 juin 2010, R.G. n° 2007/AB/50.031

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 30 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les critères d’aptitude à retenir dans les cas de suspension des allocations pour chômage de longue durée.

Les faits

Une dame D., ayant travaillé essentiellement dans l’Horéca, bénéficie d’allocations de chômage depuis 1991 et ce jusqu’en 1997, époque à laquelle elle est indemnisée dans le cadre de l’assurance soins et santé et indemnités. Cette prise en charge durera environ deux ans. Elle obtient alors à nouveau le bénéfice des allocations de chômage. Le 18 juillet 2002, lui est notifié un avertissement de suspension pour cause de chômage de longue durée. Un recours administratif est introduit et est rejeté, les revenus du ménage dépassant le plafond en-deçà duquel il ne peut y avoir de suspension.

Un recours est introduit par l’intéressée auprès de la Commission administrative nationale, sur la base d’une aptitude limitée au travail.

Suite à un examen médical auquel elle a été convoquée par l’ONEm, le médecin délégué par celui-ci conclut à une inaptitude permanente de 25%, les restrictions visant le travail dans une atmosphère poussiéreuse ou enfumée, ainsi que le port de charges de plus de 10 kgs. En conséquence, le recours est rejeté.

L’ONEm prend deux décisions (sans attendre l’issue du recours), étant la suspension du droit aux allocations en raison du chômage de longue durée et une exclusion en raison de l’inaptitude au travail.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

La position du tribunal du travail

Par jugement du 18 mars 2005, le tribunal, s’estimant insuffisamment informé, ordonne une réouverture des débats sur la question de l’aptitude au travail.

Un deuxième jugement est rendu le 17 mars 2006, l’ONEm ayant exposé que, si l’intéressée avait présenté une inaptitude temporaire de 66% sur la base d’une maladie ponctuelle non précisée, elle n’avait que 25% d’inaptitude permanente de travail.

Suite à la désignation d’un expert, devant donner son avis sur l’existence d’une inaptitude permanente de 33% au moins ainsi que d’une aptitude très limitée au travail depuis le début du chômage, le tribunal du travail confirme la décision attaquée. Il suit en cela l’avis de l’expert qui avait conclu qu’à la date litigieuse Madame D. ne présentait pas une incapacité de travail supérieure ou égale à 33% et que depuis le début du chômage elle ne présentait pas une limitation permanente d’aptitude au travail tant au niveau physique que psychique, et ce en dehors d’une incapacité totale reconnue par la mutuelle.

L’intéressée introduisit un recours contre ce jugement.

La position de la Cour du travail

La Cour du travail rappelle que les dispositions applicables sont essentiellement les articles 80 et suivants de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. A l’époque des faits, il prévoit la possibilité que le droit aux allocations de chômage d’un cohabitant soit suspendu si la durée du chômage dépasse 1,5 fois la durée moyenne régionale en fonction de sa catégorie d’âge et de son sexe. En vertu de l’article 82, § 2, la suspension peut être évitée en cas d’aptitude très limitée au travail ou d’aptitude au travail partielle caractérisée par une aptitude physique ou mentale inférieure aux exigences habituelles de la profession (alinéa 1er, 2°) ou si le chômeur est atteint d’une inaptitude permanente au travail de 33% (aliéna 4).

La Cour constate qu’il y a lieu de repréciser certaines notions, étant que pour l’inaptitude permanente au travail, il faut se référer au travail en général et non à la dernière profession exercée (la Cour citant C. trav. Mons, 5 mars 1999, R.G. 14.633). Pour la Cour, cette notion d’inaptitude permanente se rapproche de celle d’invalidité en assurance maladie et invalidité mais doit également prendre en compte d’autres éléments (âge, qualification professionnelle, faculté d’adaptation, possibilité de réadaptation et capacité concurrentielle sur le marché général du travail). La Cour renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 janvier 1998 (Chron. Dr. soc., 2002, p. 197), qui avait considéré en outre que le recours conjoint au BOBI (barème officiel belge des invalidités) et au dictionnaire des professions se justifiait pour apprécier cette notion.

La Cour renvoie encore à une étude de P.-P. WATRIN (P.-P. WATRIN, « Analyse de la notion d’inaptitude au travail de 33% au moins dans la réglementation du chômage », Chron. Dr. Soc., 2005, p. 509), pour qui les chômeurs qui présentent une inaptitude permanente au travail de plus de 33% mais de moins de 66% constituent une catégorie de personnes qui ont toujours une capacité de travail suffisante pour être considérées comme aptes sur le marché du travail au sens de l’article 100 de la loi coordonnée mais dont la capacité de travail est réduite au point qu’elles ont des difficultés importantes à se réinsérer ou à se maintenir sur le marché du travail. Pour l’auteur, ceci explique, à côté de conditions socio-économiques, une prise en charge souvent longue par l’ONEm.

La Cour poursuit qu’il faut vérifier la date à laquelle l’inaptitude ou l’aptitude limitée ou partielle doivent être vérifiées, étant que pour l’inaptitude permanente il faut voir si elle atteint 33% à la date de l’avertissement, ce qui permet au chômeur d’éviter la mesure de suspension du droit aux allocations de chômage ; par contre, l’aptitude très limitée au travail ou partielle ne vise pas la seule date de l’avertissement, la vérification de cette condition devant être faite pour la période de chômage (la Cour renvoyant ici à C. trav. Liège, sect. Namur, 10 janvier 2002, Chron. Dr. Soc., 2002, p. 508). Cette deuxième condition doit par ailleurs être vérifiée par rapport aux exigences habituelles de la profession. Est en outre précisé que, pour les périodes caractérisées par une aptitude très limitée ou partielle, la preuve d’efforts exceptionnels en vue de rechercher un emploi ne doit pas être apportée.

En l’espèce, si la mission confiée à l’expert par le premier juge faisait la distinction entre les deux critères, il faut constater que la réponse apportée par celui-ci n’est pas complète, puisque n’y figure pas une conclusion quant à l’aptitude limitée ou partielle qui aurait été présentée par l’intéressée par rapport aux exigences habituelles de sa profession. La Cour conclut dès lors qu’elle ne peut se considérer comme suffisamment informée par le rapport en cause, qui contient encore d’autres lacunes et elle désigne un autre expert.

Intérêt de la décision

La décision ci-dessus rappelle qu’il y a, dans cette problématique, deux notions à distinguer, étant d’une part l’inaptitude permanente de 33% au moins et d’autre part l’aptitude très limitée au travail ou l’aptitude partielle caractérisée par une aptitude physique ou mentale inférieure aux exigences habituelles de la profession.

C’est eu égard à ces deux critères qu’il y a lieu d’apprécier une mesure de suspension des allocations pour chômage de longue durée.


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