Terralaboris asbl

Aide apportée au conjoint indépendant : la bonne foi et la fraude

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 septembre 2009, R.G. 48.349/W

Mis en ligne le jeudi 28 octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 9 septembre 2009, R.G. n° 48.349/W

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 9 septembre 2009, la Cour du travail de Bruxelles place sur le plan de la preuve le débat relatif à l’existence de la bonne foi ou de la fraude dans le chef d’un chômeur qui offre son aide à son conjoint indépendant.

Les faits

Monsieur S. est bénéficiaire d’allocations de chômage depuis le 21 novembre 1988. Il déclare, à cette époque, vivre avec son épouse et ses enfants, la première étant au chômage. En octobre 1998, il la déclare « sans revenus », les allocations de chômage de celle-ci ayant été suspendues en application de l’article 80 (chômage de longue durée).

Entre-temps, en avril 1994, le couple fonde une sprl, dont Madame est nommée gérante rémunérée. La sprl exploite une taverne. L’épouse de Monsieur S. est affiliée au statut social des travailleurs indépendants et perçoit, en 1995, 1996 et 1997 des rémunérations.

Le fonds de commerce est cédé le 20 mai 1998 à une autre société. La sprl n’est pas mise en liquidation.

Le 11 juin 1998, l’épouse de Monsieur S. sollicite le bénéfice des allocations de chômage.

En décembre 1998, l’ONEm procède à une enquête. Au cours de celle-ci Monsieur S. déclarera qu’il donnait effectivement un coup de main à son épouse pour la tenue de la taverne, et ce après 22 heures et jusqu’à la fermeture. Il justifiera sa présence pour des motifs de sécurité (son épouse étant seule dans la taverne, elle-même située dans un quartier qualifié de dangereux).

L’ONEm exclut Monsieur S. du bénéfice des allocations de chômage par décision du 12 mars 1999. L’exclusion est fondée sur l’article 50 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (absence de déclaration de la cohabitation avec un travailleur indépendant). L’ONEm ordonne par ailleurs la récupération des allocations de chômage depuis le 1er mai 1994, appliquant ainsi la prescription quinquennale (estimant dès lors qu’il y a eu fraude). Par ailleurs, l’ONEm inflige à Monsieur S. deux sanctions d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage différentes, l’une de 13 semaines sur pied de l’article 153 (déclaration inexacte) et l’autre de 15 semaines sur base de l’article 154 (qui sanctionne l’absence de déclaration de l’activité sur la carte de pointage). Il est donc exclu à concurrence de 28 semaines. Le montant de l’indu s’élève quant à lui à plus de 31.000€.

La position du tribunal

Le tribunal confirme la décision administrative (exclusion du droit aux allocations de chômage depuis le 1er mai 1994) mais limite la période de récupération aux trois dernières années ainsi que la durée des sanctions, ramenée à 4 et 8 semaines.

La position de la Cour

Après avoir rappelé les dispositions de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 applicables au présent litige, la Cour du travail constate que, pendant la période litigieuse, Monsieur S. était soumis à l’application de l’article 50 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, en vertu duquel il ne pouvait bénéficier d’allocations de chômage du fait de sa cohabitation avec un travailleur indépendant que s’il en avait fait la déclaration au moment de la demande d’allocations. La Cour constate qu’il cohabitait effectivement avec une travailleuse indépendante et qu’ainsi il était en mesure d’apporter à celle-ci une aide appréciable pour l’exploitation du commerce. La Cour retient donc l’application de l’article 50, excluant l’intéressé du bénéfice du droit aux allocations de chômage.

La Cour relève par ailleurs que Monsieur S. a effectivement apporté une aide, dont elle relève que l’ampleur ne peut être établie avec certitude sur la base de cette déclaration. Elle note cependant que cette aide n’était pas limitée à la gestion des biens propres tandis qu’elle pouvait être intégrée dans le courant des échanges économiques. Encore, souligne la Cour, elle procurait à l’intéressé un avantage, par le biais de la valorisation de sa part du capital de la société exploitante du commerce. Elle retient dès lors l’exercice d’une activité pour son propre compte au sens des articles 44 et 45 de l’arrêté royal, lequel justifie également la décision d’exclusion du bénéfice du droit aux allocations de chômage. La période d’exclusion d’étend du 1er mai 1994 (date du début des activités de la sprl en tant qu’exploitante de la taverne) au 20 mai 1998 (date de la cession du fonds de commerce).

En ce qui concerne la récupération des allocations indues, la Cour estime que l’intéressé ne prouve pas sa bonne foi tandis que l’ONEm ne prouve pas la fraude. La Cour retient en effet que l’intéressé n’établit pas avoir informé l’organisme de paiement de l’activité de son épouse tandis qu’une erreur de renseignements dans le chef de celui-ci est encore possible. Par ailleurs, elle retient que l’intéressé ne prouve pas que l’aide apportée était si minime qu’il pouvait ignorer de bonne foi qu’elle était interdite tandis que l’ONEm ne prouve pas l’ampleur de l’activité, permettant d’en déduire que l’intéressé devait savoir avec certitude qu’elle était interdite.

Enfin, au sujet de la double sanction infligée, la Cour la reconnaît justifiée dans le principe mais, vu les incertitudes quant à l’ampleur de l’activité et dès lors de la gravité des manquements, elle confirme la limitation du nombre de semaines d’exclusion telle que fixée par le tribunal.

Intérêt de la décision

Cette décision se prononce sur l’application de l’article 50 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 qui n’est plus actuellement en vigueur. En effet, depuis le 1er avril 2001, le chômeur qui cohabite avec un travailleur indépendant n’a plus à faire la déclaration préalable de sa cohabitation.

La décision présente un intérêt :

  • d’une part en ce qu’elle retient qu’une aide ponctuelle apportée au commerce exploité par une société appartenant pour partie au chômeur constitue une activité pour son compte propre, susceptible d’être sanctionnée sur la base des articles 44 et 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ;
  • d’autre part, les développements de la Cour quant à l’existence de la fraude sont intéressants, la Cour déplaçant le débat sur le plan de la preuve. Elle se fonde à la fois sur l’existence d’informations de l’organisme de paiement quant aux déclarations obligatoires ainsi que sur l’étendue des prestations permettant de déterminer si oui ou non le chômeur devait avoir une certitude quant au caractère interdit de l’activité exercée.

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