Terralaboris asbl

Quelles sont les conditions d’assimilation des journées de chômage économique pour le droit aux vacances annuelles des ouvriers ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 novembre 2006, R.G. 43.043

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Bruxelles – 06/11/2006 – R.G. N° 43.043

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans plusieurs arrêts du 6 novembre 2006, statuant dans des espèces similaires, la cour du travail de Bruxelles a rappelé l’enseignement de la Cour de cassation, en ce qui concerne les conditions d’assimilation des journées de suspension du contrat de travail pour chômage économique en matière de vacances annuelles.

Les faits

Une importante société de construction de véhicules avait mis son personnel ouvrier en chômage économique pendant 45 jours sur une période de 4 mois, chômage économique qui avait été accepté par l’ONEm.

La société avait en effet averti le Conseil d’entreprise de son intention de fermer la division d’assemblage auto à Vilvoorde. Une convention collective fut alors conclue prévoyant un plan social destiné à régler les conséquences de la fermeture. Vu les engagements pris par la direction de créer de nouveaux postes, il fut décidé qu’un nombre déterminé de travailleurs introduiraient une demande via la Commission paritaire n° 111 (dont l’entreprise dépendait) afin de pouvoir bénéficier des allocations de chômage pendant une période de 13 semaines, avec reprise d’une semaine sur quatre conformément à la réglementation. La direction s’était engagée à faire le maximum pour qu’une cellule de remise à l’emploi tente de reclasser les intéressés. La Commission paritaire donna un avis favorable à ce plan et un arrêté royal fixa les conditions dans lesquelles le manque de travail pour raisons économiques, dans les entreprises d’assemblage de véhicules personnels, situées dans l’arrondissement de Vilvoorde, pouvait suspendre les contrats de travail du personnel ouvrier. En application de celui-ci, les suspensions de contrat intervinrent et le système fut mis en route à partir du 1er septembre 1997 pour une période de 18 mois. Les intéressés bénéficièrent ainsi des allocations de chômage.

La Caisse de paiement des congés payés refusa l’assimilation de cette période avec du travail effectif, de telle sorte que les travailleurs concernés furent privés de 4 jours de vacances annuelles, correspondant à ladite période.

Un recours fut introduit devant le tribunal du travail de Louvain.

La décision du tribunal

Le tribunal débouta les intéressés, considérant qu’il n’y avait pas de chômage économique, au motif qu’il s’agissait d’une décision de fermeture, la période en cause étant mise à profit pour négocier un plan social. Pour le tribunal, afin d’être assimilées à des journées de travail effectif, les journées en cause devaient être la conséquence de circonstances économiques conjoncturelles et devaient être suivies d’une reprise du travail.

La position des parties en appel

Les travailleurs faisaient valoir que le chômage économique était la conséquence d’une diminution du chiffre d’affaires et que celui-ci intervenait donc dans un contexte purement économique. Ils soulignaient que la réglementation, étant en l’espèce l’arrêté royal du 14 septembre 1997, ne donnait aux institutions de sécurité sociale qu’un pouvoir d’appréciation limité en ce qui concerne les raisons économiques invoquées par une entreprise et que l’Office national de vacances annuelles et les Caisses de vacances étaient liées par la décision de l’ONEm, dès que celui-ci avait admis le chômage économique en cause. Ils relevaient encore que le directeur de la Caisse de congés, en sa qualité de membre de Fabrimétal, avait été présent lors des négociations du plan social et qu’il avait négligé d’informer les intéressés des risques qui pourraient survenir quant à la non-reconnaissance de l’assimilation des journées en cause sur le droit aux vacances annuelles.

Pour la Caisse, il ne s’agissait pas d’une situation conjoncturelle mais structurelle, étant la fermeture de l’entreprise. La suspension du contrat implique, par définition, que les parties ne sont dégagées de leurs obligations qu’à titre tout à fait provisoire tandis que dans le cas d’espèce, les contrats de travail se terminaient, du fait de la fermeture des activités d’assemblage.

La Caisse contestait également l’interprétation à donner aux dispositions de l’arrêté royal pris, concernant les conditions requises et considérait avoir, de même que l’Office national des vacances annuelles, un pouvoir d’appréciation sur l’existence d’une cause réelle de suspension du contrat pour chômage économique et ne pas être liée par la position de l’ONEm, d’autant que l’Office ne contrôlait que très rarement la réalité du motif invoqué.

La position de la Cour

La Cour rappela les dispositions légales et réglementaires (article 14 de l’arrêté royal du 30 mars 1967 en matière de vacances annuelles et article 51, § 1 et 2 de la loi sur les contrats de travail) et releva qu’aucun de ces textes ne définissait ce qu’il fallait entendre par « chômage économique ». S’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 10 décembre 1962, la Cour conclut que par « cause économique », il fallait entendre un manque temporaire de travail ne pouvant déboucher que sur la suspension du contrat de travail. Les intéressés réunissant, en l’espèce, les autres conditions pour bénéficier de l’assimilation de journées dans le cadre de leurs droits en matière de vacances annuelles, la Cour releva plus particulièrement que l’arrêté royal d’exécution de la loi en matière de vacances annuelles prévoit dans son article 20, e), ainsi que dans l’article 21, § 3, que le nombre de jours d’interruption de travail se calcule en fonction du trimestre à partir des données communiquées par l’employeur des journées de travail assimilées, journées pour lesquelles la cause de l’absence sur les lieux du travail est mentionnée.

Pour la Cour, il en ressort que la législation en matière de vacances annuelles vise par « journées assimilées » au titre de chômage économique celles communiquées par l’employeur au bureau de chômage et donc à l’ONEm. C’est d’ailleurs la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 7 févr. 2005, S.040152/N/1 et Cass. 20 sept. 2004, Chron. Dr. Soc., 2005, 01). La Cour du travail rappelle le mécanisme de notification des journées de chômage économique, procédure qui permet à l’ONEm de rejeter ou d’accepter les dépenses et d’autoriser, en cas d’acceptation, la liquidation des allocations.

La Cour du travail dit devoir suivre cette position de la Cour de cassation et ce, dans le souci de la sécurité juridique pour les travailleurs concernés par la législation en matière de vacances annuelles. Pour la Cour, il est inacceptable que différentes institutions de sécurité sociale puissent interpréter différemment des termes vagues tels que « chômage économique ».

Elle rappelle l’arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 13 novembre 2003 (contre lequel un pourvoi fut introduit et rejeté par l’arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 2004), qui a considéré qu’une situation de ce type peut enfreindre le principe de légitime confiance.

Elle note également qu’un arrêté royal du 10 novembre 2004 a modifié les articles 16, 14° et 20,5° de l’arrêté royal du 30 mars 1967 sur les vacances annuelles afin de mieux circonscrire la notion de chômage économique et de déterminer les compétences respectives des institutions de sécurité sociale en matière de vacances annuelles.

Les dispositions actuelles visent notamment la possibilité de refus d’assimilation si la suspension du contrat est la conséquence d’une organisation déficiente ou d’une mauvaise gestion de l’entreprise ou, encore, présente un caractère structurel (cette dernière situation étant définie comme le manque de travail qui est propre à la nature de l’activité de l’entreprise ou du secteur et qui vise à devenir permanent, par le fait qu’il persiste de manière presque ininterrompue durant plusieurs exercices ou présente un déséquilibre par rapport aux prestations de travail des mêmes travailleurs). Actuellement, l’Office national des vacances annuelles ainsi que les caisses spéciales de vacances peuvent vérifier et apprécier de manière autonome la conformité de la déclaration de ces journées d’interruption de travail aux règles découlant de l’arrêté royal du 30 mars 1967.

La Cour du travail a estimé ne pas devoir appliquer ces nouvelles dispositions au cas d’espèce, celles-ci étant entrées en vigueur le 3 décembre 2004 et n’ayant pas d’effet rétroactif. Sur la base des dispositions en vigueur à l’époque, elle conclut que la discussion relative au caractère conjoncturel ou structurel des motifs économiques n’est pas pertinente.

Intérêt de la décision

La question de l’assimilation des jours de chômage temporaire pour manque de travail résultant de causes économiques en matière de vacances annuelles avait fait l’objet d’interprétations divergentes en jurisprudence. La question se cristallisait essentiellement sur le pouvoir des caisses de vacances annuelles de remettre en cause la réalité des causes du chômage temporaire alors que celle-ci avait été reconnue par l’ONEm.

Selon un premier courant, représenté par le jugement ayant donné lieu à l’arrêt commenté et émanant essentiellement du nord du pays, les caisses peuvent apprécier la validité de la suspension du contrat et imposer au travailleur, en cas de refus d’assimilation, de prouver la réalité de la cause économique invoquée par l’employeur. Ce courant pénalise ainsi fortement les travailleurs concernés, qui ne disposent en général pas des moyens permettant de justifier les décisions de l’employeur.

La Cour de cassation est intervenue dans le débat, par un premier arrêt du 20 septembre 2004 (ci-dessus), censurant le courant jurisprudentiel précité. Elle décide en effet que la législation sur les vacances annuelles entend par journées assimilées de chômage économique les journées dont l’appréciation est confiée exclusivement à l’Office national de l’emploi.

Afin de contrer cette jurisprudence, la réglementation a été ensuite modifiée (par arrêté royal du 10 novembre 2004), reconnaissant légalement un pouvoir autonome d’appréciation des caisses. Dans un arrêt ultérieur du 7 février 2005, la Cour de cassation a précisé que cet arrêté royal n’est pas interprétatif (ci-dessus).


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