Terralaboris asbl

Licenciement de l’ouvrier : contrôle des motifs invoqués

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2010, R.G. 2009/AB/52.451

Mis en ligne le mardi 19 octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 28 juin 2010, R.G. n° 2009/AB/52.451

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 28 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles reprend, après un rappel d’ensemble de règles applicables, les diverses étapes du contrôle des motifs du licenciement et rappelle des questions importantes sur le plan de la preuve.

Les faits

Un travailleur entre au service d’une sprl le 4 mai 2004 et y exerce les fonctions de magasinier-technicien. Il tombe en incapacité de travail le 25 juin 2007 et sa dernière période de maladie court jusqu’au 23 septembre 2007.

Il est licencié le 24 septembre, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Le document C4 mentionne comme motif du chômage : « réorganisation ».

Un courrier est alors adressé à la société mettant celle-ci en demeure de le reprendre au travail, à défaut de quoi l’intéressé signale se réserver le droit de réclamer les indemnités de rupture.

Par courrier en réponse, le conseil de la société expose que le licenciement est intervenu pour raisons économiques et indépendamment de questions relatives à l’exécution du contrat de travail par l’intéressé.

Suite à l’intervention de l’organisation syndicale, qui conteste le motif invoqué, l’échange de correspondance se poursuit mais ne permet pas de régler le litige.

La décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail est saisi par une citation du 22 septembre 2008 par laquelle est demandée la condamnation de la société au paiement d’une indemnité pour licenciement abusif à majorer des intérêts légaux et judiciaires ainsi que des dépens.

Par jugement du 13 juillet 2009, il accueille la demande et condamne la société au montant correspondant, les intérêts étant les intérêts légaux et les intérêts judiciaires depuis la citation.

Position des parties devant la Cour

Suite à l’appel interjeté par la société, la Cour est saisie de la question du caractère abusif ou non du licenciement, la société soutenant que celui-ci ne peut être qualifié de tel, au motif qu’il serait à la fois lié à l’aptitude et à la conduite du travailleur et fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

Ce dernier, de son côté, considère que la preuve n’est pas apportée de ces allégations et qu’il a été licencié parce qu’il ne se serait pas adapté à la nouvelle organisation de la société. Il fait également valoir qu’il retrouvé du travail et exerce sans aucun problème une activité d’assistant-directeur de production, ce qui atteste de ses qualités professionnelles.

La position de la Cour

La Cour va, pour départager ces deux thèses, se livrer à un rappel très fouillé des principes (qu’elle fait d’ailleurs habituellement dans les décisions qu’elle rend sur la question). Elle rappelle les règles selon lesquelles lorsque le licenciement a un lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur (conduite même non fautive ou critiquable) le licenciement n’est pas abusif. N’a ainsi pas ce caractère le licenciement intervenu lorsque l’employeur a des critiques raisonnables quant à l’aptitude professionnelle ou à la conduite du travailleur. Même une faute légère peut justifier le licenciement à la condition que la décision de l’employeur ne soit pas la conséquence d’un caprice et soit prise raisonnablement dans l’intérêt de l’entreprise. Par ailleurs, les circonstances qui n’impliquent pas que des fautes soient commises par le travailleur peuvent autoriser le licenciement (la Cour revenant à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation sur cette question).

Lorsque le licenciement est fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, il n’est pas abusif même si la réorganisation du service n’est pas due au travailleur et même si elle peut lui causer préjudice. Pour l’appréciation de ces nécessités, la Cour rappelle qu’il faut se situer au moment du licenciement. Lors de cette appréciation, il faut partir du principe que les intérêts économiques de l’employeur priment l’intérêt individuel du travailleur. Ceci découle du principe selon lequel l’employeur est responsable de l’organisation de l’entreprise et que le tribunal peut exercer un contrôle sur l’existence du motif de licenciement mais non sur l’opportunité de la décision prise. Enfin, pour la Cour, le choix du travailleur à licencier est souverainement décidé par l’employeur.

En ce qui concerne les exigences de preuve, la Cour rappelle que l’employeur ne doit pas seulement établir la preuve d’un fait de la conduite du travailleur mais également le lien de causalité entre cette conduite et le licenciement. L’employeur doit ainsi établir que la conduite du travailleur, tel qu’invoquée comme motif de licenciement, ou son absence d’aptitude, existent réellement. S’il s’agit de nécessités du service, celles-ci doivent également être avérées. En cas d’absence de preuve - et la Cour rappelle particulièrement la situation en matière de motif grave – dès lors que le fait invoqué (comme motif grave) n’est pas établi, le licenciement est abusif vu que le motif allégué n’existe pas.

En ce qui concerne le lien entre le motif et le licenciement, il ne suffit pas, pour la Cour, qu’un lien quelconque soit mis en avant. Au contraire, il faut que les éléments invoqués constituent la raison déterminante de la décision prise. Une autre lecture serait en contradiction avec le texte de l’article 63. Par conséquent, lorsque le travailleur invoque que son licenciement est abusif, l’employeur doit établir les faits invoqués par lui et en outre prouver que les raisons qu’il invoque sont à la base de la décision de licencier ou peuvent raisonnablement constituer celles-ci.

Les juridictions du travail exercent un contrôle marginal. Ceci implique l’exercice d’un contrôle marginal du caractère raisonnable de la mesure à partir des éléments produits par l’employeur. Le fait que ce contrôle soit marginal implique qu’il n’appartient pas au juge de décider qu’un comportement déterminé est ou non adéquat mais de vérifier si le motif de licenciement est valable, c’est-à-dire, en d’autres termes si un employeur raisonnable aurait ou n’aurait pas recouru à une telle mesure de licenciement sur la base d’un tel motif.

Appliquant ces principes en l’espèce, la Cour constate que l’intéressé fut licencié au motif de coût en personnel élevé, joint à une récession du chiffre d’affaires. La société est donc tenue d’établir les nécessités de fonctionnement de l’entreprise qui auraient, en conséquence de coût de personnel trop important et de difficultés économiques, impliqué la réduction du nombre de techniciens de trois à deux.

La Cour va considérer que la preuve de ce fait n’est pas établie, la société ne prouvant pas le motif par une simple déclaration d’un comptable à laquelle sont joints des éléments relatifs au chiffre d’affaires pour la période de 2006 à 2008. Pour la Cour, ces pièces ne constituent pas la preuve légale requise, ne permettant pas de se faire une idée de la réalité du motif invoqué.

Constatant par ailleurs que la société invoque également un motif tirée de la conduite ou de l’aptitude, elle relève que, s’agissant de motifs indépendants, ils doivent être examinés séparément.

La société dépose des attestations de collègues et de clients faisant état de la qualité médiocre des prestations de l’intéressé et du peu de conscience professionnelle qu’il avait. La Cour admet qu’il faut examiner ces attestations avec prudence mais que, en l’espèce, elles n’apparaissent pas comme étant dictées par l’employeur et que les faits qui y sont repris peuvent être considérés comme établis. Cependant, reste à examiner encore le lien entre ces faits et la décision de licencier. Pour la Cour, ce lien n’est pas établi au motif qu’ils se seraient produits un certain temps avant le licenciement et que l’intéressé avait été absent pour incapacité de travail pendant trois mois avant la rupture. Ainsi, une attestation relate des faits survenus neuf mois avant la rupture du contrat de travail, une autre quatre mois. Vu l’absence de lien entre ceux-ci et la résiliation du contrat, le licenciement est abusif.

Enfin sur la question des intérêts, la Cour du travail considère qu’il s’agit de rémunération et que l’intérêt légal est dû, en application de l’article 10 de la loi sur la protection de la rémunération. La base est le brut, l’indemnité étant due après le 1er juillet 2005.

Intérêt de la décision

Cet important rappel des règles applicables que fait la Cour du travail dans cette décision a un intérêt évident. L’examen de la Cour passe par le crible des principes qu’elle a rappelés et, en l’espèce, il s’avère que, s’agissant de plusieurs motifs invoqués, la Cour rappelle qu’il faut les examiner séparément et que, pour ce qui est du motif tiré de la conduite professionnelle, même si des faits sont établis, encore faut-il que l’employeur prouve le lien entre ceux-ci et la décision de rupture.

Enfin, sur la question débattue des intérêts, question qui dépend de la nature de l’indemnité elle-même, la Cour opte pour le caractère rémunératoire. Rappelons qu’une autre partie de la jurisprudence considère qu’il s’agit d’un dommage moral et que de ce fait l’intérêt n’est pas légal mais moratoire.


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