Terralaboris asbl

Allocations de chômage et exercice d’un mandat d’administrateur (gratuit) au sein d’une société

Commentaire de C. trav. Mons, 3 mars 2010, R.G. 2009/AM/21.587

Mis en ligne le mardi 19 octobre 2010


Cour du travail de Mons, 3 mars 2010, R.G. 2009/AM/21.587

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour du travail de Mons rappelle les règles à respecter par un chômeur qui veut exercer une activité d’administrateur de société pendant son chômage et les lourdes sanctions qui peuvent découler du constat d’une situation irrégulière.

Les faits

Une Dame X. bénéficie d’allocations de chômage depuis 1987. L’année suivante elle fait une déclaration signalant qu’elle vit seule. Sa situation est modifiée ultérieurement en chef de ménage, vu qu’elle habite avec sa fille.

Suite à un contrôle en 1991, il apparaît qu’elle cohabite avec un Sieur W., qui exerce une activité de gérant salarié d’une société coopérative. Il s’avère que la chômeuse est administrateur-associé de cette société. Celle-ci paie le loyer de l’habitation de l’intéressée. Il appert également de l’enquête qu’un chantier de démolition de la coopérative se trouve à son domicile.

Dans son audition, elle contestera à la fois la cohabitation et l’exercice d’une activité au sein de la coopérative, expliquant qu’elle a payé elle-même son loyer jusqu’à une période remontant à deux mois avant le contrôle et que ce qui est payé par la coopérative correspond à une indemnité d’occupation du terrain jouxtant sa maison, terrain devant être évacué à bref délai.

La décision de l’ONEm est qu’il y a travail effectué par la chômeuse, de nature à contribuer à sa propre subsistance et à celle de sa famille, ainsi que cohabitation. En conséquence, il y a exclusion des allocations pour une période de trois ans, récupération de l’indu, cessation de l’indemnisation à dater de la fin de la période d’exclusion et sanction administrative de 22 semaines.

La procédure

L’intéressée introduit un recours devant le tribunal du travail de Mons, demandant que la décision soit mise à néant. Le tribunal du travail de Mons constate que l’intéressée avait exercé une activité professionnelle et ne pouvait dès lors conserver le droit aux allocations de chômage, n’ayant pas fait la déclaration de son activité au moment de l’entame de celle-ci. Elle doit donc être exclue des allocations de chômage depuis le 1er octobre 1988, le tribunal considérant qu’il est sans intérêt d’examiner la question de la cohabitation.

La position de la Cour

Sur appel de l’intéressée, la Cour du travail de Mons a rendu un arrêt en date du 9 décembre 2002 ordonnant la réouverture des débats. La Cour a vidé le litige, dans cet arrêt du 3 mars 2010, dans lequel elle applique l’article 126 de l’arrêté royal du 20 décembre 1963, devenu articles 44 et 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. Il s’agit des conditions d’exercice de l’activité accessoire, étant une exception au principe selon lequel le chômeur doit, pour bénéficier des allocations de chômage, être privé de travail et de rémunération.

La Cour relève que l’article 128, § 1er (actuellement art. 48 de l’arrêté royal) permet l’exercice de l’activité moyennant quatre conditions, cumulatives, étant : (i) la déclaration à faire au moment de l’introduction de la demande (sauf exception) ; (ii) l’exigence de la plage horaire (interdiction entre 7 et 18 heures) ; (iii) le type de profession exercée et (iv) les conditions relatives à l’exercice de cette activité antérieurement pour le compte d’un tiers (la Cour relevant que la réglementation actuelle exige une durée minimum de trois mos précédant la demande d’allocations).

La Cour rappelle qu’il est de jurisprudence bien établie que l’activité de mandataire de société constitue une activité effectuée pour son propre compte. C’est la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass., 3 janvier 2005, Pas., 2005, I, p. 1 et Cass., 30 novembre 2002, Chron. Dr. Soc., 2003, p. 311), qui se justifie d’autant plus lorsque le mandataire dispose de parts sociales de la société commerciale (Cass., 18 juin 2001, J.T.T., 2001, p. 373) ou s’il possède des actions de la société (Cass., 22 octobre 2001, S.00.0108F).

La Cour poursuit en rappelant la jurisprudence régulièrement rendue sur la question du mandat d’administrateur même gratuit. Sa gratuité n’implique pas pour autant qu’il est bénévole et désintéressé puisqu’il a pour objet d’assurer au travers de l’exercice du pouvoir ainsi conféré la gestion, la prospérité de la société et de rentabiliser le capital investi par la production de revenus affectés aux besoins du ménage ou de profits tirés des capitaux investis.

La Cour précise qu’il n’y a pas lieu de distinguer selon le type de mandat exercé : tout administrateur a intérêt à la bonne marche de la société, vu qu’il détient des parts sociales ou des actions. Il exerce, ce faisant, une activité pour compte propre et celle-ci n’est pas autorisée dans le chef d’un chômeur si elle ne respecte pas les conditions qui sont actuellement celles des articles 45 et 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Il est indifférent de préciser qu’il s’agirait d’un mandat d’administrateur-délégué, de gérant ou encore de simple administrateur : dès lors que le chômeur est titulaire d’un mandat dans une société commerciale et qu’il s’est abstenu de faire la déclaration au moment de la demande d’allocations, il y a exclusion d’office du bénéfice des allocations depuis le premier jour d’indemnisation.

La Cour ajoute qu’il faut assimiler à un défaut de déclaration la déclaration inexacte ou incomplète, et ce toujours selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 3 Janvier 1995, cité).

L’exclusion doit être totale et seule peut être limitée la récupération des allocations perçues. Cette limitation va être fonction de la preuve qu’apportera le chômeur de la limitation de l’activité à certains jours ou à certaines périodes, preuve qui repose entièrement sur lui. Il n’appartient dès lors pas à l’ONEm d’établir que le chômeur a effectué une activité irrégulière pendant toute la période du chômage. La chômeuse doit dès lors - et elle seule - prouver que son activité de mandataire de société s’est limitée à certains jours ou à certaines périodes. A défaut pour celle-ci d’apporter une telle preuve, la Cour constate que le premier juge a, à bon droit, confirmé la décision administrative et que l’appel doit être non fondé sur cette question.

Reste, cependant, encore la question de la cohabitation. Sur celle-ci la Cour rappelle les règles de preuve, étant que la charge de la preuve de la détermination de la catégorie familiale à laquelle appartient le chômeur se répartit entre l’ONEm et celui-ci. Le montant des allocations est déterminé sur la base de la déclaration de la situation familiale que celui-ci a faite. S’il y a contestation du taux, l’ONEm doit établir que la situation telle qu’elle a été déclarée n’est pas correcte. Si la preuve de l’inexactitude de la déclaration est établie, la charge de la preuve est renversée et c’est au chômeur à prouver qu’il se trouve dans une situation lui permettant de bénéficier du taux d’isolé ou de personne ayant charge de famille.

La Cour renvoie ici à divers arrêts de la Cour de cassation, et à de la doctrine sur la question et reprend notamment un arrêt qu’elle a rendu en date du 23 janvier 2002 (Chron. Dr. Soc., 2003, 309), selon lequel l’article 110, § 2, 2° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 reconnaît la qualité d’isolé uniquement au travailleur qui habite seul et que dès lors qu’il est établi qu’un chômeur vit sous le toit d’une autre personne mais qu’il prétend cependant avoir la qualité de travailleur isolé – ou même celle de bénéficiaire avec personne à charge -, il doit faire la preuve qu’il n’y a pas de cohabitation, c’est-à-dire qu’il ne règle pas en commun avec la personne sous le toit de laquelle il vit les dépenses du ménage.

Appliquant ces règles au cas d’espèce, la Cour réforme le jugement en ce qu’il a estimé que cette question était sans intérêt. L’arrêt confirme la décision administrative en ce qu’elle attribue à l’intéressée la qualité de cohabitante. La sanction est également confirmée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est rendu dans une espèce qui n’est pas rare, étant en infraction à la fois avec les obligations du chômeur qui souhaite exercer une activité accessoire et celles du cohabitant. La Cour rappelle les principes sur les deux questions, reprenant, de manière très claire et très documentée, les règles de preuve en la matière.


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