Terralaboris asbl

Notion de capacité de gain en soins de santé et indemnités

Commentaire de C. trav. Mons, 3 mars 2010, R.G. 2004/AM/19.373

Mis en ligne le mardi 19 octobre 2010


Cour du travail de Mons, 3 mars 2010, R.G. n° 2004/AM/19.373

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour du travail de Mons rappelle que, pour bénéficier des indemnités légales, il faut en cas d’incapacité de travail, avoir eu une capacité de gain. Celle-ci se mesure en fonction de l’insertion sur le marché du travail.

Les faits

Monsieur D. est en état d’incapacité de travail depuis février 2000 pour des « troubles dépressifs ».

Il a, dans son passé professionnel, été de garçon de courses pendant une période de six mois environ, a ensuite à charge de l’ONEm, a suivi une formation professionnelle au Forem et est retombé à charge de l’ONEm, ceci pour la période fin 1974 à 1980. Il dépend de son organisme assureur depuis septembre 1980 et retombe à charge de l’ONEm en octobre 1999, pour une courte période, étant remis en incapacité de travail en février 2000.

En septembre 2000, le médecin-conseil de son organisme assureur, se fondant sur un rapport d’expertise neuropsychiatrique, estime qu’il n’y a plus incapacité de travail au sens de l’article 100 de la loi coordonnée, et ce à partir du 11 septembre 2000. Il estime que la cessation des activités n’est plus la conséquence directe du début de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels. Pour lui, l’intéressé n’aurait jamais eu de capacité de gain, l’incapacité reconnue précédemment relevant d’un état pathologique préexistant à l’entrée sur le marché du travail.

Une procédure est introduite, l’intéressé estimant présenter une perte de capacité supérieure à 66%.

La position du tribunal

Par jugement du 27 mai 2003, une expertise est ordonnée et elle conclura à l’existence dans le chef de l’intéressé de l’incapacité de travail exigée par l’article 100. Cette décision est entérinée par un second jugement du tribunal du travail de Mons, rendu le 3 septembre 2004.

La position des parties en appel

L’organisme assureur interjette appel au motif qu’il n’y aurait jamais eu aptitude au travail normal dès lors que, avant le début des activités professionnelles (en 1974), il y aurait déjà une perte de capacité de gain. L’organisme assureur se fonde sur les conclusions du neuropsychiatre, selon lesquelles on pouvait difficilement imaginer que l’intéressé puisse fonctionner dans un milieu professionnel, que celui-ci soit normal ou protégé. Pour l’organisme assureur, le lien causal exigé entre la cessation de l’activité et le début de l’aggravation des lésions ou des troubles fonctionnels n’existe pas, vu qu’il y avait inaptitude préalable, et ce depuis de nombreuses années.

Quant à l’intéressé, il soutient qu’il a travaillé après la fin de ses études et qu’il a dû disposer d’une capacité de travail normale, en conséquence. Il tire également argument du rapport d’expertise dans lequel il est fait état d’une aggravation au fil des décennies de troubles de la personnalité.

La position de la Cour

La Cour constate que sans le reconnaître expressément l’organisme assureur admet que son médecin-conseil aurait commis une erreur manifeste d’appréciation dans la gestion du dossier d’incapacité de travail de l’intéressé, puisque depuis près de vingt ans (soit de 1980 à 1999 et encore pour une courte période en 2000), il l’a reconnu incapable de travailler au regard des conditions légales exigées.

Pour la Cour, s’il y a une erreur à l’origine d’une décision administrative rien n’empêche ladite autorité de procéder à la révision de celle-ci. Lorsque l’erreur lui est imputable, la décision de révision, après avoir été portée à la connaissance de l’assuré social, ne peut valoir que pour l’avenir. Il s’agit d’une matière d’ordre public et l’on ne peut, ainsi que le relève expressément l’arrêt, concevoir qu’une situation médicale non conforme aux principes d’intervention de l’assurance maladie-invalidité puisse indéfiniment perdurer. Il n’existe pas en droit belge de droit pour un assuré social à se voir perpétuer indéfiniment à son avantage les effets d’une décision erronée. La Cour reprend la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 3 mai 1993, J.T.T., 1994, p. 8) ainsi qu’un arrêt qu’elle a elle-même rendu (C. trav. Mons, 26 avril 2006, R.G. 19.623). L’exigence de cause à effet entre la cessation de l’activité et la survenance des lésions empêche, dans le chef des assurés sociaux dont la capacité de gain était déjà réduite au début de leur occupation vu l’existence d’un état antérieur, d’être reconnus incapables sans aggravation de l’état de santé (l’arrêt renvoie ici à GSP, Titre IV, Ch. II, p. 214, n° 470 et ss.).

En conséquence, s’il y a début d’une activité professionnelle alors que l’intéressé présente déjà une réduction de la capacité de gain inférieure à 66%, il ne peut y avoir reconnaissance de l’incapacité de travail que si la cessation de cette activité résulte soit d’une aggravation de cet état de santé antérieur déficient soit de la survenance d’une nouvelle affection qui entraînerait une réduction des deux tiers de la capacité de gain.

Lors de l’entrée sur le marché du travail, l’assuré social doit justifier d’une capacité de gain de plus d’un tiers. En conséquence, l’aggravation de l’état de santé qui ramène à zéro une capacité déjà inexistante au regard des critères de l’article 100 n’ouvre pas le droit aux indemnités prévues par cette législation.

La Cour rappelle encore que l’on ne peut perdre une seconde fois une incapacité de travail qui avait déjà été perdue par le passé (revenant ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mars 1998, Arr. Cass., 1985-86, p. 907).

Si, dans sa rédaction initiale l’article 56, § 1er de la loi du 9 août 1963 n’imposait que deux conditions pour qu’il y ait incapacité de travail (cessation de toute activité et existence de lésions ou de troubles fonctionnels réduisant la capacité de gain à deux tiers), l’arrêté royal n° 22 du 23 mars 1982 a exigé trois conditions, étant (i) la cessation de toute activité ; (ii) l’exigence que cette cessation soit la conséquence du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels et (iii) l’exigence d’une réduction de deux tiers de la capacité de gain.

Cet arrêté royal est intervenu suite à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 26 mars 1979, Pas., I, p. 877) qui avait interprété de manière stricte l’article 56 et avait conclu que la définition qui y était donnée ne faisait pas de distinction selon la cause des lésions ou des troubles fonctionnels qui étaient visés, non plus que selon l’état de santé antérieur du travailleur.

Actuellement, pour déterminer la réduction de la capacité de gain, il faut considérer l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés au moment de l’interruption de travail et non seulement les lésions ou troubles fonctionnels nouveaux ou l’aggravation qui est la cause directe de cette interruption. Si au début de la période d’incapacité la personne était effectivement au travail ou si elle a eu au cours de la même période d’assurance des périodes d’activité (impliquant qu’elle a été apte au travail à un moment donné), il n’est pas difficile de déterminer si l’interruption de l’activité constitue la conséquence directe d’une aggravation de l’état de santé. Cependant, si des personnes présentant un handicap ou une affection congénitale, est exigée la preuve d’une réelle insertion sur le marché du travail et non de simples essais non concluants. Ainsi de courtes périodes d’emploi dans le cadre d’un travail intérimaire ne constituent pas la preuve d’une capacité de gain préalable et suffisante. Il faut une insertion réelle sur le marché du travail régulier. De même, le bénéfice d’allocations de chômage n’est pas suffisant pour établir l’aptitude au travail.

La Cour considère qu’il faut donc déterminer avec précision l’époque à prendre en considération, c’est-à-dire l’entrée effective ou présumée sur le marché du travail et examiner si après cette date l’intéressé a apporté la démonstration soit de l’exécution de prestations de travail conséquentes soit de la survenance d’une aggravation invalidante après cette entrée sur le marché du travail. Corrélativement, il doit établir qu’il a présenté une capacité suffisante entre le moment de cette entrée sur le marché du travail et celui où l’affection en cause est devenue invalidante.

La Cour va dès lors désigner un expert avec une mission très spécifique, reprenant l’ensemble de ces questions, à régler eu égard à la faible carrière professionnelle de l’intéressé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons, très documenté sur les références de doctrine et de jurisprudence pertinentes, reprend les exigences légales en matière de reconnaissance d’une incapacité de travail, conditions essentielles pour l’octroi des indemnités. Elle rappelle que le critère essentiel est la preuve d’une réelle insertion sur le marché du travail et non l’existence d’essais non concluants.


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