Terralaboris asbl

Un étudiant peut il encore être considéré comme cohabitant avec son père, en incapacité de travail, alors qu’il a pris en location un studio et s’y est domicilié ?

Commentaire de C. trav. Mons, 20 avril 2006, R.G. 19.288

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Mons, 20 avril 2006, R.G. n° 19.288

Terra Laboris asbl – Pascal Hubain

La notion de cohabitation n’est pas formellement définie dans la législation assurance indemnités. Comment doit-elle dès lors être appréciée ?
Pour la cour du travail de Mons, dans un arrêt du 20 avril 2006, il y a cohabitation dès lors qu’est prouvé, malgré des domiciles distincts, le maintien d’une dépendance économique et financière totale.

Les faits

Mr H.J., veuf et père d’un fils, est reconnu incapable de travailler depuis le 6 mai 1996 et bénéficie d’indemnités au taux prévu pour les titulaires avec personne à charge.

Son fils a poursuivi des études d’architecte paysagiste dans une école supérieure, du 15 septembre 2000 au 6 juillet 2001. Il s’est domicilié dans un studio d’étudiant, en sorte que son père est repris, depuis le 6 novembre 2000, comme isolé dans les registres de la population.

Après avoir consulté, le 2 juillet 2001, le registre national, la mutuelle de Mr H.J., l’UNMS, a considéré qu’il ne pouvait plus être considéré comme un titulaire avec personne à charge mais bien comme un titulaire isolé.

Le 6 juillet 2001, la mutuelle a dès lors notifié à Mr H.J. une décision de récupération d’un indu, soit la différence entre les deux taux, pour la période de novembre 2000 à juin 2001.

Entre temps, ayant échoué son année scolaire, le fils de Mr H.J. s’est à nouveau domicilié chez son père, dès le 6 août 2001.

Mr H.J. n’a pas réagi immédiatement à la notification de l’indu ni aux rappels reçus.

Toutefois, le 17 septembre 2001, Mr H.J. a contesté la décision de récupération devant le tribunal du travail de Charleroi et l’UNMS a de son côté également déposé une requête pour obtenir la condamnation de son affilié à lui rembourser une somme de 3.762, 63 €.

La décision du tribunal

Après avoir joint les deux causes, par un jugement du 28 juin 2004, le tribunal rejettera la demande de la mutuelle pour la période litigieuse, du 6 novembre 2000 au 30 juin 2001.

Le tribunal a en effet estimé que le fils de Mr H.J. était bien resté à charge de ce dernier.

Pour le tribunal du travail, les notions de « travailleur ayant charge de famille » et de « cohabitation » visées par l’article 225 § 1er de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 doivent être appréciées avec souplesse.

En l’espèce, l’enfant Grégory est resté financièrement à charge de son père pendant l’année scolaire 2000/2001.

La domiciliation de l’enfant à une autre adresse n’a pas interrompu la communauté de vie entre le père et le fils.

La réglementation ne prévoit pas que l’inscription au registre national constitue une présomption irréfragable.

La position des parties en appel

Par requête du 2 août 2004, l’UNMS a interjeté appel de ce jugement devant la cour du travail de Mons.

L’UNMS considère que rien dans le dossier ne permet de prouver ni une communauté de vie ni une prise en charge financière du fils par son père, pendant la période litigieuse.

Pour l’UNMS, la production par le fils d’une attestation de non perception de revenus professionnels ou d’un revenu d’intégration n’implique pas la formation d’un ménage de fait pas plus que la poursuite des études ne démontre que le fils est resté à charge de son père, ce dernier ne prouvant pas avoir versé une quelconque somme à son fils.

L’UNMS estime que l’inscription du fils de Mr H.J. au registre de la population constitue une présomption de non cohabitation que son affilié ne renverse pas.

Enfin, ni la simple poursuite des études du fils ni la perception par Mr H.J. des allocations familiales pendant la période litigieuse ne prouvent la communauté de vie et la prise en charge financière du fils par le père.

La décision de la cour

La cour du travail de Mons reproduit tout d’abord le texte de l’article 225 § 1er, 3° de l’arrêté royal du 3 juillet 1996, qui définit la notion de « travailleurs ayant personne à charge ».

En l’espèce, il s’agit du titulaire qui cohabite avec un ou des enfants visés à l’article 123 § 3 (à l’exception de la condition d’âge prévue par cette dernière disposition - 25 ans).

La cour du travail de Mons relève toutefois que ni la loi coordonnée du 14 juillet 1994 ni l’arrêté d’exécution du 3 juillet 1996 ne définit formellement la notion de cohabitation pour l’assurance indemnités.

Elle se réfère alors à l’article 225 § 1er alinéa 8, qui précise que pour être considéré comme personne à charge il faut ne pas exercer d’activité professionnelle, de pas bénéficier d’un revenu et être financièrement à charge du titulaire lui-même (et non d’une autre personne faisant partie du ménage).

Pour la cour du travail, la cohabitation correspond à une dépendance économique et financière.

Etant donné que le fils de Mr H.J. est inscrit comme isolé dans les registres de la population, c’est à Mr H.J. de prouver par d’autres documents probants que la situation réelle ne correspond pas avec l’information officielle.

La cour du travail estime que cette preuve est faite par la production de :

  • un certificat de fréquentation scolaire pour l’année 2000/2001 ;
  • une attestation de la caisse d’allocations familiales selon laquelle les allocations familiales ont continué à être payées au père pendant la même année scolaire ;
  • une attestation sur l’honneur du fils déclarant qu’il n’a perçu aucun revenu ni demandé l’aide du Cpas pour la même période ;
  • une attestation du Cpas d’Etterbeek sur le territoire duquel se trouve le studio d’étudiant, confirmant qu’il n’a jamais été aidé par ce centre.

La cour relève également qu’après avoir échoué au terme de l’année 2000/2001, le fils s’est bien réinscrit au domicile du père.

Pour la cour du travail, au travers d’un faisceau de présomptions précises et concordantes, il est prouvé qu’il y a bien maintien d’une dépendance économique et financière totale du fils par rapport à son père

La cour du travail de Mons confirme dès lors le jugement dont appel.

L’intérêt de la décision

Les assurés sociaux n’ont pas toujours conscience des conséquences que peut entraîner sur leurs droits ou ceux de leurs proches, l’accomplissement de formalités administratives, telles qu’une domiciliation prouvée par une inscription au registre national des personnes physiques.

Or, à l’occasion d’un contrôle de leurs droits, c’est sur la base d’une telle inscription qu’un organisme de sécurité sociale vérifie leur situation réelle.

L’inscription au registre national ne peut constituer une présomption irréfragable. L’inadéquation entre la réalité administrative et la réalité de fait peut toujours être prouvée par un faisceau de présomptions précises et concordantes.

La cohabitation n’est pas formellement définie pour l’assurance indemnités. Elle se déduit de la définition donnée par un autre texte de la notion de « personne à charge » et doit être comprise comme une dépendance économique et financière.


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