Terralaboris asbl

Incapacité de travail : rappel des conditions d’exercice d’une activité autorisée

Commentaire de C. trav. Mons, 19 mai 2010, R.G. 2009/AM/21.554

Mis en ligne le mardi 5 octobre 2010


Cour du travail de Mons, 19 mai 2010, R.G. n° 2009/AM/21.554

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 19 mai 2010, la Cour du travail de Mons rappelle les conséquences de l’exercice d’une activité non autorisée pendant une période d’incapacité de travail, ainsi que les règles en matière de remboursement des indemnités indûment perçues.

Les faits

Une dame S. a exercé la profession d’infirmière depuis 1972. En 1978, elle a entrepris une activité indépendante complémentaire, s’occupant de la gestion d’un portefeuille d’assurances, d’activités de comptabilité et également de prestations pour la Caisse d’Epargne. Dans le cadre de celle-ci elle a été aidée par son mari, par ailleurs, comptable salarié.

L’incapacité de travail a débuté en 1984. En ce qui concerne l’activité indépendante, l’INASTI a établi à l’époque un rapport dont il ressortait que, si l’activité était enregistrée au nom de l’épouse, c’était en réalité le mari qui gérait cette affaire (réception des clients, gestion du portefeuille …). Il bénéficiait, en réalité, de l’aide de son épouse dans les tâches administratives, de telle sorte que l’INASTI conclut que l’activité était poursuivie au nom de Madame par son mari.

L’année suivante, celle-ci fut autorisée à reprendre ses fonctions d’infirmière salariée à mi-temps et reprit en outre ses activités d’aidante. En 1995 elle mit fin à son emploi d’infirmière à mi-temps et reprit la gestion d’une agence de la CGER.

La mutuelle lui fit, alors, en 1998 une mise en demeure de rembourser des indemnités d’incapacité primaire et d’invalidité pour la période de 1984 à 1996, le tout correspondant à un montant supérieur à 40.000€.

Dans un deuxième courrier recommandé la mutuelle précisait qu’elle avait tenu compte du délai de prescription de trente ans pour la période de 1984 à 1993 et de cinq ans pour celle de 1993 à 1996. La première période est fondée sur l’article 106, § 1er, 9° de la loi du 9 août 1963 et la seconde sur l’article 174, alinéa 3 de la loi coordonnée le 14 juin 1994.

Un recours fut introduit par l’intéressée.

Peu de temps après, en 1999, suite à une communication de l’INAMI selon laquelle elle devait être assujettie au statut social des travailleurs indépendants depuis 1993 à titre accessoire d’abord et à titre principal ensuite, la mutuelle notifia un nouvel indu relatif aux prestations « petits risques » accordées à tort dans le régime général.

Un recours fut également introduit contre cette décision.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Tournai statua par jugement du 3 mars 2009.

Il conclut à la prescription de la demande de récupération d’indu au motif que l’intéressée établissait que la partie défenderesse était au courant de sa situation professionnelle depuis 1979 puisque sur ses cartes de membre figurait une double mention « employée – indépendante ». Elle communiquait également d’autres éléments de fait, dont la transmission de ses bons de cotisation d’indépendant, qui furent enregistrés à la banque carrefour à partir de 1993. Le tribunal ne retint dès lors pas l’intention frauduleuse dans son chef et constata que le délai de prescription était celui de deux ans.

La position des parties en appel

La mutuelle conteste la règle de prescription, considérant que celle-ci ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir, et ce au motif que les requêtes contestant le fondement des récupérations suspendent les effets exécutoires de la décision, la récupération ne pouvant courir qu’à partir du moment où ces décisions seraient confirmées. Pour l’organisme assureur, il n’y a pas lieu de prendre comme point de départ la demande reconventionnelle mais les décisions qu’elle a prises en 1998 et 1999, décisions à caractère interruptif de prescription et dont les effets auraient été suspendus du fait de l’introduction des recours judiciaires.

Quant à l’assurée sociale, elle confirme que l’organisme assureur devait être pleinement informé de la situation et reprend les éléments de fait correspondants, repris dans l’historique des relations entre parties. Elle fait également valoir que la mutuelle a commis une erreur dans la gestion de son dossier vu qu’elle disposait de tous les éléments lui permettant de connaître sa situation exacte. Du fait qu’elle a agi dans la transparence la plus grande, elle ne peut se voir reprocher un comportement frauduleux en vue de bénéficier d’indemnités d’incapacité et de remboursements de soins de santé. Elle demande en conséquence l’application de la règle de prescription de deux ans.

La position de la Cour

La Cour doit, dans un premier temps, constater s’il y a eu ou non activité exercée sans autorisation du médecin-conseil. Elle rappelle que, pour être reconnu incapable de travailler, il faut que le travailleur salarié ait mis fin à une activité professionnelle, que ce soit à titre principal ou accessoire ou à une activité non professionnelle entraînant l’économie de dépenses (ce qui augmente ainsi indirectement son patrimoine). S’il y a reprise du travail, il y a en conséquence fin de l’incapacité de travail, situation qui va viser l’exercice de toute occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui. Est ainsi visée l’activité même occasionnelle ou exceptionnelle. Il s’agira de toute activité à caractère productif effectuée dans le cadre de relations sociales, et ce même s’il n’y a pas de rémunération mais services d’ami (la Cour rappelant ici l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 1992, Larcier Cass., 1992, n°518). L’exception à cette règle est le maintien de l’incapacité en cas de reprise à la condition que soient respectés les articles 100, § 1 et, 100, § 2 et 101 de la loi coordonnée. Il découle de ces dispositions, en effet, que la date de l’incapacité ne peut coà¯ncider avec celle de la reprise de travail autorisé. Or, en l’espèce, il faut constater que si Madame S. a été reconnue en incapacité de travail à dater du 1er mai 1984 elle n’a en réalité jamais mis fin à son activité de travailleuse indépendante. Il s’agit d’une activité exercée à temps partiel à tout le moins sans interruption jusqu’au moment où elle fut nommée gérante indépendante d’une agence CGER, date à laquelle cette activité devint une activité principale. Celle-ci ne peut être contestée.

La Cour va alors examiner de manière approfondie les règles en matière de prescription, à savoir les principes généralement admis en matière de manœuvres frauduleuses. En l’absence de définition dans la loi du 14 juillet 1994 il faut se référer au droit commun et elle rappelle sa propre jurisprudence selon laquelle il faut entendre par là tout agissement malhonnête réalisé malicieusement en vue de tromper un organisme assureur pour son propre profit, pouvant aussi bien consister en des actes positifs qu’en des abstentions ou attitudes passives (voir notamment C. trav. Mons, 3 avril 1992, Bull. INAMI, 1992, p.338). Rappelant encore que la fraude ne se présume pas et qu’elle ne peut être déduite de la considération selon laquelle l’assuré social pouvait se renseigner quant à l’étendue de ses obligations, elle va constater que de telles manœuvres ne sont pas présentes en l’espèce, l’organisme assureur restant en défaut de les établir.

Il en découle que le délai de prescription est celui prévu à l’article 174, alinéa 1er, 5° et 6° de la loi, soit le délai de deux ans. Il doit débuter à la fin du mois au cours duquel les prestations payées indûment ont été versées. La Cour rappelle que les requêtes introductives d’instance introduites par l’assurée sociale n’ont produit aucun effet interruptif dont l’organisme assureur pourrait se prévaloir en ce qui concerne sa propre demande reconventionnelle qui ne constitue pas un moyen de défense par rapport à la demande principale mais une demande parfaitement autonome, vu qu’elle avait pour objectif de se voir délivrer un titre exécutoire aux fins de récupérer un indu. La demande devait ainsi être introduite par voie judiciaire dans un délai de deux ans suivant respectivement les décisions de 1998 et 1999.

Elle rappelle encore que l’adage « contra non valentem agere non currit praescriptio » ne constitue pas un principe général de droit et que l’organisme assureur était parfaitement en mesure d’introduire sa demande (reconventionnelle) dans le délai de deux ans ayant pris cours le lendemain de la notification des décisions de récupération d’indu.

Intérêt de la décision

Cet arrêt très fouillé de la Cour du travail de Mons rappelle les règles en matière d’exercice d’une activité autorisée pendant une période d’incapacité de travail et, surtout, les délicates questions de la prescription d’une demande de remboursement d’indu.


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