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Accident du travail et demande d’allocation de décès : pas de présomption légale

Commentaire de C. trav. Mons, 15 mars 2010, R.G. 2007/AM/20.531

Mis en ligne le mardi 5 octobre 2010


Cour du travail de Mons, 15 mars 2010, R.G. 2007/AM/20.531

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 15 mars 2010, la Cour du travail de Mons rappelle les règles de preuve relatives à une demande d’allocation de décès dans le chef d’un ayant droit d’une victime d’accident du travail.

Les faits

Monsieur C. fut victime d’un grave accident du travail le 29 novembre 1956. Cet accident entraina l’amputation de la jambe droite et un taux d’incapacité permanente de 65% lui fut reconnu. Ce taux fut porté à 75% à partir du 1er mars 1987, une allocation d’aggravation lui étant octroyée à ce moment.

Le 1er mai 2004, il fit une chute en arrière dans sa salle de bain alors qu’il ne portait pas sa prothèse et décéda. Pour la veuve, Madame M., il s’agit d’une suite directe de l’accident du travail et elle introduit, en conséquence, une demande d’allocation de décès. Une telle allocation peut en effet être octroyée, si la preuve est fournie que le décès de la victime est survenu par suite d’un accident du travail, et ce après l’expiration du délai de revision (arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail – art. 10).

Suite au refus du Fonds des Accidents du Travail au motif d’absence de lien causal entre le décès et l’accident, Madame M. introduit une procédure devant le tribunal du travail de Charleroi.

La position du tribunal

Par jugement du 19 janvier 2005, le tribunal ordonne la désignation d’un expert, lui confiant la mission de déterminer s’il existait ou non un lien causal entre l’accident de 1956 et le décès survenu en 2004.

L’avis de l’expert est qu’il n’est pas possible de démontrer formellement l’existence de ce lien.

Le premier juge entérine dès lors ce rapport et déclare l’action non fondée, considérant essentiellement que Madame M. doit rapporter la preuve du lien causal, que l’expert a rempli sa mission avec soin et que sa conclusion ne permet pas de faire droit à la demande.

La position des parties en appel

Madame M. demande, vu les circonstances, une atténuation de la charge de la preuve, considérant que vu les circonstances de l’accident les exigences de preuve doivent être appréciées « avec plus de modération » que s’il y avait eu un témoin. Elle fait valoir que son mari ne portait pas la prothèse, au moment de l’accident et qu’il ne se justifiait donc pas de privilégier l’hypothèse d’un malaise, plutôt que d’accepter comme hautement probable que la chute fut la conséquence directe de l’amputation de la jambe. L’expert n’ayant pas exclu formellement cette thèse et les médecins traitants ayant attesté au dossier que la manœuvre d’apposition de la prothèse était à l’origine du déséquilibre et de la chute, c’est celle-ci qui a entraîné le décès, suite à une hémorragie interne. L’appelante fait également valoir le passé médical de son mari, exempt de tout problème lié à des pertes de conscience et d’équilibre.

Quant au FAT, il renvoie à l’arrêté royal du 10 décembre 1987, dont le texte est clair en ce qu’il met à charge de l’ayant droit la preuve du lien causal direct entre l’accident et le décès, lien qui fait défaut en l’espèce. Il fait particulièrement valoir que l’on ne peut suivre l’appelante lorsqu’elle considère qu’en cas de doute celui-ci doit lui profiter.

La position de la Cour

La Cour rappelle qu’en la matière les principes sont clairs, en ce qui concerne l’exigence de preuve : l’ayant droit doit établir le lien de causalité et c’est au regard de cette exigence probatoire que le tribunal a désigné un expert, l’expertise constituant un moyen pour l’appelante de prouver l’existence du lien causal. Il n’existe en effet, pour la demande d’allocation de décès, pas de présomption légale. La Cour reprend les considérations de fait telles que relevées par l’expert sur les circonstances de l’accident et retient en outre que l’expert a constaté, à partir du dossier médical, des antécédents relativement lourds (maladie de Still, état dépressif, hypertension artérielle), l’intéressé prenant par ailleurs de nombreux médicaments. Pour l’expert, il y a de nombreux éléments indépendants de l’accident du travail pouvant justifier une perte d’équilibre et, par ailleurs, il ne manque pas de rappeler l’absence d’éléments probants concernant les circonstances entourant le décès, la question de savoir si la victime portait sa prothèse n’étant pas claire. L’expert relève encore que rien ne permet de savoir si la chute a été provoquée par un malaise cardio-respiratoire ou si celui-ci en est le résultat.

Après avoir repris ces considérations en détail, la Cour rappelle que, si la mission de l’expert - qui ne peut avoir pour objet que des constatations ou un avis d’ordre technique - consiste précisément à départager deux thèses, il n’en irait autrement que lorsqu’il appert que l’expert n’a pas apprécié correctement les éléments de base sur lesquels il devait fonder son appréciation. Dans cette hypothèse, le juge peut en effet s’écarter de ses conclusions.

Or, en l’espèce, le juge ne disposant pas lui-même d’éléments lui permettant de statuer, il a confié à l’expert le soin de trancher la contestation d’ordre médical et la Cour en conclut qu’il y a lieu de faire confiance à celui-ci dans la mesure où il n’est pas démontré qu’il aurait commis des erreurs.

La Cour relève encore que, dès qu’existe un avis d’expert, chaque partie a le droit de soumettre à l’appréciation du juge ses griefs concernant celui-ci, mais pour autant qu’elle développe des remarques et critiques pertinentes. Ce n’est pas le cas en l’espèce et la Cour retient que les conclusions sont précises, concordantes et motivées de façon adéquate.

Rappelant encore les règles dégagées par la Cour de cassation dans divers arrêts en ce qui concerne la preuve (Cass., 10 déc. 1976, Pas., 1977, I, p. 410 et Cass., 10 sept. 1999, Pas., I, p. 1164) la Cour fait sienne la conclusion selon laquelle l’incertitude ou le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doit être retenu au détriment de celui-ci qui avait la charge de la preuve.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

A l’occasion d’une demande d’allocations consécutive à un décès d’un accidenté du travail, la Cour du travail de Mons rappelle qu’il n’y a en l’espèce aucune présomption légale et que les règles de preuve de droit commun s’appliquent. S’il y a un doute ou une incertitude, la preuve légale n’est pas rapportée.

La Cour réserve également quelques considérations sur le rôle de l’expertise en cas de contestation d’ordre médical, ainsi que la place que celle-ci a dans la procédure judiciaire, l’expertise pouvant être contestée dans certaines conditions, mais jouant un rôle central dans le litige, dès lors que le juge a confié à l’expert le soin de l’éclairer sur le cœur de la contestation.


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